« Faire ensemble » autre chose que le travail tout en gardant la solidarité qu’on trouve dans le travail

Antoine, régisseur général à la mairie de Saint-Nazaire

Parole recueillie par Pierre et mise en récit par Jean-Pierre et Pierre.

Le VIP, scène de musiques actuelles à l’intérieur de la base sous-marine

Il n’y a pas de petite manifestation culturelle. Le régisseur général que je suis, au sein du « Service Technique Animation Régie Événementielle » de la mairie de Saint-Nazaire, sait qu’il y aura beaucoup de travail pour régler ce qui ne se voit pas derrière le moindre projet d’expo ou de spectacle. À côté de ce qui sera exposé à la lumière et aux regards, il y a toujours eu quelque chose que les organisateurs n’avaient pas prévu. Je suis du côté de la partie immergée de l’iceberg. 

La première étape de mon travail consiste à rencontrer ceux qui sont à l’initiative de l’événement – associations, organismes municipaux ou para-municipaux – et à étudier le dossier qu’ils présentent. Il s’agit de relever ce qui pourrait poser question : l’endroit, la date, les conditions dans lesquelles ils veulent que ça se passe, la sécurité, les arrêtés municipaux à prendre. Ensuite, tout passer en revue avec eux, tout préparer à l’avance de manière à ce que le collègue qui me relaiera sur le terrain et les organisateurs eux-mêmes puissent faire en sorte que les choses se déroulent dans les meilleures conditions possibles, avec les moyens que la municipalité peut mettre à leur disposition.

Avant d’en arriver à cette fonction en Régie Générale, j’ai justement été, durant dix-huit ans, ce qu’on appelle dans notre service un « régisseur d’événements ». J’intervenais dans les salles de spectacles et les lieux culturels ou associatifs de la ville, pour réaliser la mise en place des actions. C’est là que j’ai peaufiné mes connaissances dans les techniques du spectacle, du son, de la lumière, ainsi que de la vidéo qui est devenue d’un usage de plus en plus courant. C’est tout ce bagage-là qui m’a servi pour devenir régisseur général et appréhender l’ensemble des manifestations. 

À Saint-Nazaire, il n’y a pas trop de 4 postes de régisseurs généraux puisque, lors de l’année passée, nous avons traité un grand nombre de manifestations petites ou grandes. Nous devons donc avancer simultanément sur 10 ou 20 dossiers à la fois, au gré des informations qui nous parviennent. Tel organisateur nous rappelle pour préciser un point secondaire, un autre nous fournit un élément capital qu’il avait oublié. Parce qu’on oublie toujours quelque chose. C’est l’imprévisibilité qui met du sel dans notre métier et qui entretient l’obsession du détail. C’est une gymnastique intellectuelle qui nous oblige à passer constamment d’un sujet à un autre, du principal au secondaire, d’un évènement de grande envergure à l’exposition d’une petite association puis à la mise en place de manifestations récurrentes comme les « Féeries » de fin d’année avec la mise en lumière des espaces publics, les spectacles de « Saint-Nazaire côté plage » qui se prolongent toutes les vacances d’été ; sans parler des « Débords de Loire » de la « Grande marée », la « Folle journée », etc. Ce qui compte, à mes yeux, c’est moins le prestige de l’événement, ou sa taille en termes de budget et de fréquentation, que la qualité des gens qui l’organisent. Ils n’ont parfois aucune idée de la technicité de ce qu’ils demandent, de l’ampleur des moyens qu’il faudra mobiliser. Mais ils ont la passion. Ils ont des rêves, des idées. Et j’aime les aider à s’approcher au plus près de l’idée qu’ils s’en faisaient au départ. 

Quelques alvéoles de la base sous-marine

Un des évènements qui m’ont le plus marqué est l’exposition Raumlaborberlin réalisée en 2016 dans une partie de l’ancienne base sous-marine qu’on appelle le « LIFE »1. Le thème en était le recyclage des déchets. Les spectateurs qui entraient dans l’alvéole 14 de cette ancienne base se retrouvaient devant un énorme mur d’appareils électroménagers – frigos, machines à laver, etc. – puis  ils pouvaient circuler parmi des modules d’architecture expérimentale réalisés à partir de matériaux des industries locales. Il y avait notamment une sorte de nid fait avec des fers à béton. Plus loin, on pouvait voir une cabane construite avec ces morceaux d’aluminium qui servent à fabriquer les huisseries. Tout avait été récupéré dans les déchetteries du coin. Les auteurs de cette exposition – un groupe d’architectes berlinois – articulaient leur travail avec celui d’une équipe de construction locale dans laquelle figurait notre service municipal ainsi que des intermittents-du-spectacle locaux. Il s’agissait d’utiliser les compétences professionnelles des uns et des autres pour créer des structures à partir de ces objets de récupération, et de les habiller de lumières…  Le LIFE s’était par exemple rapproché de cinq ou six casses des environs dont les employés se demandaient bien quel usage serait fait des objets qu’on récupérait chez eux. Lorsqu’ils ont vu le résultat, ils ont été époustouflés. De leur côté, les personnels du service de la propreté publique de la communauté de communes, qui, entre autres, gère les bennes, avaient remisé de vieux vêtements de travail à moitié fluo. L’équipe du Raumlaborberlin les a cousus ensemble pour en faire une sorte de montgolfière installée à l’entrée du LIFE. C’était absolument extraordinaire parce qu’il y avait du génie. Non seulement cette exposition unique portait l’empreinte de la ville et de son activité mais l’équipe du Raumlaborberlin y avait associé les gens d’ici. Elle s’adressait aux Nazairiens – qui sont venus nombreux – pour les faire réfléchir sur l’écologie, le retraitement des matériaux à partir de ce qu’il y avait « déjà-là ».

Dans la même veine, je me souviens aussi de Krijn de Koning, artiste néerlandais, qui avait réalisé un énorme labyrinthe en bois dans le LIFE avec des charpentes peintes de couleurs vives. C’était un voyage visuel étonnant. Il nous a fallu transporter des structures de 5 mètres par 4 à travers le LIFE. Pour cela, on avait installé des ponts roulants sur les rails laissés par l’armée allemande dans l’alvéole 14. On retrouvait ainsi la base sous-marine, le souvenir de la guerre, les installations que la Kriegsmarine utilisait pour charger les U-Boots. D’un autre côté, ce labyrinthe enchevêtré et coloré rappelait les Chantiers de l’Atlantique avec ses enfilades de masses colorées et de coursives. 

Parmi les centaines de manifestations que j’ai eu à encadrer, il en est de moins impressionnantes mais tout aussi importantes.  Ça a pu être de simples réunions, des petites expositions intimistes comme celles qui se tiennent à Villès-Martin dans un ancien fort du XIXème siècle aménagé en lieu culturel. J’ai pu y travailler sur l’exposition de la section « peinture » de l’Université Inter-âge de Saint-Nazaire. J’en ai aidé les membres à régler la lumière et à concevoir l’accrochage. C’est un très bon souvenir. Ces gens ne sont pas d’immenses artistes. Ils ne cherchent pas la consécration. Ils sont juste désireux de partager leur envie de continuer à créer, d’apprendre, même à plus de  60 et 70 ans. 

Il y a plus de 650 associations recensées sur la commune et nous contribuons à notre échelle à soutenir leur besoin de « faire ensemble » autre chose que le travail tout en gardant la solidarité qu’on trouve dans le travail. Je vois dans cet exceptionnel foisonnement associatif la marque du passé de Saint-Nazaire. Un des meilleurs exemples en est le Centre de Culture Populaire (CCP) qui va fêter ses 60 ans en 2023. Cette association est née du besoin des salariés d’amener de la culture, du divertissement dans leur vie autour du travail ou avec des collègues de travail : monter avec les salariés une compagnie de théâtre, une chorale, un club d’échecs. Or, les travailleurs avaient exprimé ce besoin bien avant l’existence des comités d’entreprise qui, dans la région nazairienne, ont fini par se mettre en association pour créer le CCP avec les syndicats et, dès lors, poursuivre en commun leurs projets culturels. 

La « Soucoupe » : le palais des sports

Dans ce petit lieu du fort de Villès-Martin, j’ai beaucoup aimé aussi, dernièrement, contribuer à installer des sortes de fresques réalisées par des enfants des écoles. C’étaient de magnifiques panneaux de 1,20 m sur 80 cm qui représentaient la vie en société vue par les enfants. À une autre échelle et en d’autres lieux, le regard sur notre environnement urbain a été le sujet de l’expo « Cargo » qui a manifesté une volonté de se battre pour mettre l’architecture de la ville à l’honneur. J’ai pu alors participer à un superbe travail de mise en espace au jardin des plantes, dans la grande avenue Léon-Blum qui relie la mairie au front de mer, dans l’ancienne Chapelle des Franciscains, aménagée en salle d’exposition, à la gare, sur les abribus. Il y avait par exemple des photos de la « Soucoupe », le palais des sports en béton brut avec ses formes futuristes, ses rampes d’escalier en zigzag dans une lumière étonnante… Et d’autres éléments d’un patrimoine urbain qu’on peut voir ici, juste à côté de nous, et dont le caractère multiple est caractéristique de Saint-Nazaire. 

Cette disparité des bâtiments et des formes urbaines est particulièrement frappante dans le quartier du port tout proche du centre ville. On trouve là le théâtre et l’école des beaux-arts construits à partir des ruines sauvegardées de la gare atteinte par les bombes en 1942. Juste en face, une imposante usine d’huile végétale partage la base sous-marine avec le VIP (scène de musiques actuelles) et le LIFE (espace d’expositions). Tout ça coexiste et, finalement, se marie.  C’est une invite à prolonger le regard, à travers la perspective des alvéoles de la base sous-marine maintenant ouvertes, en direction des bassins du port et des chantiers navals ; puis à poursuivre vers le boulevard du front de mer rénové, où la foule des Nazairiens se presse dès qu’il y a un rayon de soleil ; et, pour finir, à longer la côte jusque vers le quartier de Saint-Marc sur Mer.

Street-art à Saint-Nazaire

L’image de Saint-Nazaire-ville-littorale a longtemps été éclipsée par Saint-Nazaire-ville-industrielle. Comme s’il y avait contradiction. La maison où j’habite personnellement fait partie d’un groupe d’habitations bâties tout au bout du petit port de Méan où se situaient les premiers chantiers navals de la ville. Ce sont trois maisons jumelles qui ont les pieds dans l’eau quand les grandes marées coïncident avec de fortes dépressions. Mais les armateurs qui ont construit la maison en 1848 ont pensé à la surélever de trois marches, ce qui a suffi à nous préserver des débordements de la tempête Xynthia…  De chez moi, on a vue sur l’embouchure du Brivet, le pont de Saint-Nazaire, le port autonome et puis, un peu plus loin, la raffinerie. Il y a l’estuaire de la Loire, la mer proche, la vasière avec sa végétation particulière sur fond de zone portuaire et industrielle. On ne sait pas pourquoi, mais ça fonctionne. Ça a un sens. Je trouve ça beau. 

Mon métier de régisseur général m’a appris qu’il n’y a pas de petite manifestation, comme il n’y a sans doute pas de petit ni de grand paysage. L’essentiel est difficile à définir. C’est un mélange de vie, de partage et de passion. 

Antoine

1 LIFE: « Lieu International des Formes Émergentes »

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