Trouver un terrain d’entente

Émilien, entrepreneur en rénovation immobilière

À Saint-Nazaire, un immeuble épargné par les bombes et ses récents voisins

Le métier que j’exerce aujourd’hui suppose de s’adapter en permanence aux clients et aux imprévus. C’est une occasion quotidienne d’apprendre. J’ai en effet créé mon entreprise il y a quelques années et je pilote désormais une activité dans le bâtiment et la rénovation, un secteur économiquement porteur, sur un territoire caractérisé par une grande diversité sociale et économique et une grande diversité de besoins. À La Baule, on n’a pas la même clientèle qu’à Saint-Nazaire, Montoir, Donges ou même Pontchâteau. 

Sur Saint-Nazaire, on est dans un environnement d’après-guerre, avec beaucoup de constructions en béton réalisées dans les années 50 à 70. Ces bâtiments demandent aujourd’hui à être rénovés, en particulier dans le domaine des économies d’énergie. Puis, au fur et à mesure du développement des Chantiers de l’Atlantique, il a fallu loger la main-d’œuvre arrivée massivement.  Cela a supposé de nombreuses constructions nouvelles qui, elles aussi, doivent être remises à niveau vis-à-vis des normes actuelles d’isolation. Du côté de la Baule-Pornichet les maisons de vacances étaient, il y a trente ans, toutes fraîches, toutes pimpantes. Mais elles se sont progressivement détériorées parce que, occupées seulement deux mois dans l’année, elles ont été délaissées le reste du temps. Les propriétaires, proches de la retraite souhaitent transmettre à leurs enfants des biens réhabilités. Il s’agit moins pour eux de réaliser des économies d’énergie que d’embellir leur appartement ou leur maison. Les familles modestes calculent et se restreignent, elles font des choix. Les Baulois ne comptent pas, ils ont les moyens ; et surtout, ils n’ont pas le même usage de leur habitation que ceux qui, sur les zones plus populaires, y vivent à l’année. 

À Saint-Nazaire, la plage de Villès Martin

Les uns et les autres n’ont évidemment pas la même approche concernant les aides qu’ils pourraient recevoir. Les propriétaires de La Baule ont tendance à ne pas les rechercher, soit parce qu’ils ne veulent pas dépendre d’un service de l’État, soit parce qu’ils supposent qu’en raison du niveau de leurs revenus, ils ne sont pas éligibles. Au contraire, l’espoir d’une aide est forte autour de Saint-Nazaire. Là, j’annonce à mes potentiels clients que mon entreprise dispose d’un service qui peut les guider dans cette recherche; ce qui n’est pas très fréquent. On me dit : « Super ! Combien ça coûte ? » Je réponds : « Rien, cela fait partie du travail que j‘effectue pour constituer le dossier et établir le devis ». La démarche est d’autant plus appréciée que les services étatiques dédiés, comme « France rénov’ » par exemple, sont débordés. Du coup, je ne suis pas attendu de la même manière suivant le lieu où j’interviens. En endossant un rôle de conseil auprès des clients qui sont plus attentifs aux coûts, je ne suis plus vu uniquement comme un chef d’entreprise mais comme quelqu’un qui est capable de les accompagner dans leurs projets de rénovation.

Mon travail est donc, en premier lieu, de savoir orienter les clients aussi bien dans les choix techniques concernant l’aménagement ou l’isolation que dans les questions de financement et d’aide aux investissements. À la limite, monter le dossier et suivre les travaux sont deux métiers différents. C’est pourquoi les tâches sont partagées entre moi-même et Maxime, mon associé. Ce dernier vient des métiers de l’électricité. Il a toutes les compétences pour superviser les chantiers et prendre en charge les commandes de matériel. Pour ma part, je me consacre plutôt à la vente, au travail administratif, aux devis et aux études. Comme nous collaborons avec une trentaine de sous-traitants qui interviennent de façon opérationnelle, mon rôle est, après avoir négocié les prix, de m’entendre avec ces derniers, de manière contractuelle, sur le déroulement des opérations et sur les plannings. 

Même si je demande aux sous-traitants de s’engager à respecter ce contrat, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Un matin, l’un d’eux me fait savoir qu’il veut arrêter son activité, alors qu’on a plusieurs chantiers en cours. C’est un couvreur, une spécialité très difficile à trouver. Comment faire ? Il ressort des discussions que nous avons avec lui, qu’il veut changer, partir dans un autre secteur d’activité : « J’en ai marre d’être dans le froid je n’en peux plus. J’ai 47 ans, je veux faire autre chose. Je vais passer une formation à l’AFPA pour travailler dans l’industrie aéronautique. » Il est vrai que le secteur économique local offre une large palette d’emplois dans toutes sortes de secteurs industriels. La formation qu’il vise est facilement accessible, et l’aéronautique est réputée pour être plutôt confortable en termes de salaires. Maxime et moi comprenons cette fatigue que les conditions climatiques accentuent. De fait, nous sommes en hiver, il y a la pluie, le vent glacé. Au mois de juin, notre couvreur aurait sans doute été dans un autre état d’esprit. Il est donc urgent de trouver un terrain d’entente pour qu’au moins il finisse le chantier commencé. Nous nous sommes alors placés sur le plan humain : notre situation, la sienne, nos engagements respectifs… Et il a terminé le chantier. Ça n’a malheureusement pas été le cas avec un autre artisan sur un autre chantier de rénovation:  il a tellement allongé ses délais que c’est moi-même et Maxime qui avons dû nous substituer à lui pour effectuer les travaux de finitions. C’est ma pire expérience… Et ce n’est pas fini puisque, vexé, il refuse de me transmettre ses factures!  C’est un chantier que j’avais conclu avant l’arrivée de mon associé, à l’époque où j’assurais toutes les fonctions de direction à la fois. La répartition des tâches entre Maxime et moi devrait désormais nous éviter d’autres mésaventures de ce genre. 

Maison brièronne

Parfois aussi, devant les difficultés techniques inattendues, il faut inventer des solutions. Repenser, par exemple, la pose de menuiseries, plus lourdes que prévu parce que le fabricant a ajouté des pièces. Finalement, nous avons ajusté le budget et trouvé dans l’urgence un autre artisan venu en renfort. Le client est content et le résultat est impeccable. Mais il a été indispensable de s’adapter aux circonstances : composer avec la technique et avec les personnes qui travaillent, trouver un compromis avec le client qui ne peut guère dépasser son enveloppe budgétaire. D’autres fois, c’est le projet qui est compliqué. Refaire une salle de bain suppose de revoir l’étanchéité, la faïence, la plomberie, l’électricité, les murs, les parements. Comment mettre tout ça sur un même devis ? La réponse à ces questions nécessite d’y réfléchir à plusieurs. Chaque cas est différent.

Un chantier d’isolation

J’ai acquis cette capacité d’adaptation au cours de deux expériences précédentes qui ont été essentielles pour moi. J’ai, en effet, commencé par travailler dans une structure d’insertion sociale par le travail à Saint-Nazaire. Nous réparions du matériel électroménager pour le remettre en vente. Il s’agissait de proposer du travail à des gens d’origines sociales peu favorisées, des immigrés, des personnes dont la vie n’avait pas été simple ou qui n’avaient pas eu accès à l’éducation ou encore qui n’avaient pas les ressources financières pour se loger comme tout le monde. Dans cette structure, j’encadrais une équipe de vendeurs auxquels j’ai appris le métier. C’est une vraie expérience. Comme j’avais une formation en vente, je transmettais à d’autres  cette activité basée alors sur la “force de l’ancrage”. Cette expérience est autant une expérience professionnelle qu’une expérience humaine. Je me souviens d’Ophélie, enfant adoptée, originaire du Vietnam dont le parcours de vie avait été chaotique. Elle avait presque le même âge que moi quand j’ai commencé à travailler. Je suis devenu son mentor. C’est en tout cas ainsi qu’elle m’appelait. Elle manquait d’encadrement, avait un comportement un peu excessif, mais une grande volonté. Finalement, elle a obtenu un bac +2 en vente avec une certification en électroménager.  C’est une vraie réussite qui m’a appris qu’avec un peu d’empathie et de cadre, en matière de management, on peut faire aller très loin les personnes qui sont sous notre responsabilité. Sans vouloir entrer dans la vie privée, j’ai compris qu’il est très important de considérer quelqu’un comme une personne et pas comme un simple employé.

Je suis ensuite entré dans une entreprise spécialisée dans le gros œuvre comme le levage, le transport et la manutention. Mes clients n’étaient plus des clients particuliers mais des entreprises comme Total ou EDF. Il fallait trouver des solutions techniques en s’adaptant toujours à la complexité du chantier. Il s’agissait par exemple de mettre en place des grues pour installer des pales d’éoliennes sur des nacelles perchées en haut des mâts. S’il me fallait posséder une bonne sensibilité technique, j’avais aussi besoin d’une approche un peu souple. Quand on négocie avec des opérateurs techniques comme des grutiers et des manutentionnaires, on sait que ce sont eux qui ont les clés en mains. Ils sont « cash ». Il faut du doigté… Si ça ne se passe pas bien, ils ne voudront pas effectuer un travail mal préparé. Sans mon expérience précédente, je pense que ça aurait été plus compliqué. 

Ce sont ces  deux expériences qui m’ont incité à créer mon entreprise et à prendre en compte la complexité des situations et des gens. Mais en devenant son propre patron, rien n’est jamais acquis et on risque le surinvestissement. Il y a quelques mois, j’ai eu une petite alerte sur le plan de la santé parce que, pendant un moment, je n’ai pas su me ménager. Il faut, certes, savoir écouter les autres, qu’ils soient riches clients ou gens modestes, qu’ils soient associés, collaborateurs ou sous-traitants. Mais Il faut aussi savoir s’écouter. Maintenant, je me rends compte que cela ne vaut pas la peine d’en faire trop. Si je m’économise, mon travail est de meilleure qualité et mon entreprise tourne mieux. Dans mon nouveau métier qui m’amène à évoluer dans un territoire aussi varié et à rencontrer des gens de tous les milieux, mon regard sur la vie a changé et j’apprends tous les jours sur moi-même. 

Émilien

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