« Mon métier est addictif … je gère de l’humain »

Julia, gestionnaire du personnel à la DRH d’un Conseil Régional

Parole du 7 juillet, mise en texte avec Martine

Je travaille à la DRH au Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes depuis 2008, je suis gestionnaire du personnel des directions de l’économie et du tourisme. Je gère aussi les personnels non enseignants, c’est à dire les personnels techniques (agents d’entretien, cuisiniers, ouvriers en maintenance…) des lycées de la Loire, principalement, et celui de La Duchère, à Lyon.  

Je m’occupe de l’agent de son embauche à sa retraite. Trois cent payes, et ça revient tous les mois ! Mais je ne fais pas que ça. J’établis des actes administratifs pour chaque chose, le temps de travail, les congés, les mises en disponibilité, les détachements et la gestion de la carrière parce que quand on est dans la fonction publique on avance avec des échelons, des grades, et la promotion interne. Pour les collègues qui télétravaillent ou qui ont des temps partiels, je rédige des arrêtés. Et j’en ai aussi quatre qui ont des mandats d’élu politique. Ils ont un quota d’heures à ne pas dépasser dans le mois, je les calcule quand ils me donnent leurs heures de réunion.  

Je fais un travail très administratif, mais je gère surtout des situations humaines puisqu’on aide les gens qui ont des difficultés. Je fonctionne beaucoup par mail, cela me permet de réfléchir avant de leur répondre. Je me sens plus détendue ; le téléphone, je trouve cela très intrusif. On fonctionne ainsi et tout se passe bien.

Par exemple, j’ai récemment eu à gérer une situation totalement insolite. On verse un supplément familial pour les personnes qui ont des enfants de moins de 20 ans. Et là, c’est un monsieur qui fait vraisemblablement un déni du décès de son enfant ou qui fraude l’administration. Ce monsieur continue à attester sur l’honneur qu’il a trois enfants à charge et son établissement nous a apporté la preuve qu’il y en a un qui est décédé. Le document de la mutuelle, qu’il nous a donné, établit qu’il n’en a que deux. Il m’a fourni les actes de naissance datant de moins de 3 mois que je lui ai demandés mais on a l’impression qu’il a mis du blanc sur la partie décès. On essaie de voir s’il y a une jurisprudence pour voir comment résoudre cette situation délicate.

J’ai eu aussi le cas de personnes polygames des Comores. Elles arrivent et ne parlent le français qu’avec difficulté. Je dois leur expliquer que, malgré les trois livrets de famille, on ne peut pas payer de supplément familial pour tous les enfants mais seulement pour ceux vivant en France et qui sont à charge.

C’est un métier qui évolue parce qu’il y a tout le temps de nouvelles lois, de nouveaux décrets. Par exemple, on met en place la loi de déprécarisation qui permet la stagiairisation de contractuels qui entrent dans la fonction publique en catégorie C. La direction s’en préoccupe dès le recrutement, il y a beaucoup de contractuels, parmi les agents d’entretien. Je rédige tous les contrats pour ces personnes. Ils ont un métier usant, donc les titulaires en arrêt sont remplacés par des contractuels, on a même des contractuels qui sont remplacés par d’autres contractuels. Je leur établis des attestations Pôle emploi quand ils ont fini leur contrat. Si une personne quitte un lycée que je gère mais qu’elle reste dans la zone dont j’ai la responsabilité, je continue à la suivre. Et on peut s’attacher à certaines personnes. Je me suis un peu déplacée dans la Loire justement pour aller les rencontrer. Cela leur fait plaisir de me voir et c’est réciproque.

Et boom il y a eu la crise ! L’annonce du confinement a été brutale, le vendredi soir. J’ai été hospitalisée pour une crise de cholécystite aiguë le jour même où il a été annoncé. Et quand je suis sortie de l’hôpital, le lundi, j’en ai profité pour aller récupérer mes affaires au bureau parce je savais qu’il allait y avoir un confinement total. Après mon hospitalisation, j’ai eu quinze jours d’arrêt, ce qui m’a beaucoup simplifié la tâche. J’ai pu m’organiser pour faire la classe le matin à la maison aux enfants tout en préparant mon travail. J’ai un ordinateur portable et un casque avec des écouteurs parce que je faisais déjà du télétravail un jour par semaine, cela n’a pas beaucoup changé. Ce qui a changé, c’est pour les signatures de documents. On a un tableau Excel, on insère un lien et les chefs ont une signature électronique pour les arrêtés ou bien pour les courriers que je tape, mais ce sont souvent des courriers-type.

Il y avait des agents un peu angoissés, donc on essayait de les rassurer par mail et aussi pas mal par Skype. Ils ne savaient pas quand ils allaient reprendre, on avançait tous à tâtons, de semaine en semaine. On leur disait qu’ils seraient tous payés à plein-temps, et ça, c’était déjà très important. Parmi les agents, eux ou leur famille, certains étaient touchés par le covid, ou alors ils souffraient de pathologies à risque donc ils n’osaient pas sortir de chez eux. J’ai même une collègue à qui je me suis permis de demander si elle avait quelqu’un pour faire ses courses, j’étais prête à donner de ma personne pour aller l’aider. Je savais qu’elle souffrait d’une pathologie grave, elle me disait qu’elle était très isolée et ne connaissait personne. Mais finalement un de ses enfant est venu faire ses courses. 

Puis après j’ai repris mon télétravail à plein-temps avec une autorisation spéciale d’absence pour garde d’enfants de moins de 16 ans parce qu’ils sont en 4e, CM2 et maternelle. On a de la chance parce qu’on est bien équipé en ordinateurs et chaque enfant a sa chambre donc ça s’est plutôt bien passé. Enseigner est un métier à part entière donc, forcément, j’étais parfois bloquée.

A travers la haie

Le confinement m’a fait prendre conscience, comme à beaucoup de gens, qu’il y a deux repas à préparer à midi, et le soir. Toute l’organisation et l’intendance étaient très lourd. Par contre, cela m’a permis de me reconnecter avec la nature. J’ai beaucoup fait de jardinage, ou je prenais juste le temps de regarder l’herbe, le vent, les éléments. J’ai aussi beaucoup sympathisé avec mes voisins, on se passait des petits plats à travers la haie. On n’avait jamais vraiment pris le temps de bien discuter. Cela permet de se rendre compte qu’il y a plein de choses superficielles.

Je n’ai pas eu d’excellentes conditions de travail car mon conjoint a un métier de service dans l’après-vente, il est donc tout le temps au téléphone. Comme j’ai besoin de me concentrer dans mon métier, je me suis donc retranchée dans la chambre. Je m’étais mis une planche sur une chaise, c’était un peu bancal et ergonomiquement ce n’était pas terrible mais j’étais isolée et c’est vraiment ce qu’il me fallait.

On faisait une réunion tous les lundis après-midi, en audio sans la visio parce que ça buggait. On est dix-sept dans l’équipe, donc on faisait deux réunions, à une dizaine chacune, avec notre cheffe. On parlait de toutes les nouveautés qui arrivaient, on faisait le point, au fur et à mesure que le confinement avançait. Les collègues des lycées ne travaillaient pas, ceux des directions étaient en télétravail, du coup on a dû faire beaucoup d’arrêtés de télétravail pour les uns, d’autorisations d’absence exceptionnelles, pour les autres. Et il y en avait qui était en maladie ou vulnérables. Pour eux, c’était des documents différents.   

Tout s’est bien passé, le poids de la hiérarchie ne me tombe pas dessus et j’ai un soutien indéfectible de ma cheffe, mes responsables sont très arrangeants aussi avec moi quand j’ai besoin de prendre des congés. On est une super équipe et c’est vraiment très important. Je me dis que quand les besoins de chacun sont pris en compte, tout va bien. Cependant, cela fait 10 ans que j’essaie de passer le concours de catégorie B, je suis en C au dernier grade. Il y a très peu de promotion interne pour passer en catégorie B. On est nombreux, ils regardent l’ancienneté, l’âge. Je vais passer l’examen professionnel en septembre mais ils en prennent peut-être trois sur mille !

Puis j’ai été opérée début juillet. En off j’ai fait un petit peu de télétravail, même si ma cheffe n’était pas d’accord. Quand j’ai ouvert mon ordinateur, j’avais déjà 70 mails ! J’avais pourtant mis un message d’absence et les coordonnées du secrétariat s’il y avait besoin mais si je ne travaille pas un minimum ce sont mes collègues qui le font, on est tous dans le même bateau. On prépare la rentrée de septembre bien en amont, je commence déjà à reprendre les contrats. Hier, par exemple, j’ai envoyé deux contrats à des personnes pour qu’elles le signent avant de partir en vacances. Elles sont rassurées. Pour d’autres, je sais que c’est souvent dans l’urgence qu’elles ont besoin de documents, un bulletin de paie, une attestation. Mon métier est addictif mais si on m’avait dit de revenir au boulot, je ne serai pas revenue, pour ne pas m’exposer au Covid. Je gère de l’humain, le travail ne me pèse pas. Mes enfants ne comprennent pas pourquoi je travaille autant. Ce qu’ils voient, c’est que je suis sur un ordinateur, pour eux, c’est de la paperasse.

Ensuite je suis retournée à mon travail un à deux jours par semaine, le reste du temps j’étais en télétravail. La première fois ça m’a fait très bizarre Il n’y avait quasiment personne dans les services. Et on était tous masqués, on mettait du gel hydroalcoolique dès qu’on sortait faire une photocopie. Tout était mis en place pour qu’on se sente protégés. On est quatre dans notre bureau, on nous avait demandé de faire un roulement pour qu’on ne soit qu’une ou deux. Je n’ai donc pas encore retrouvé mes trois collègues. La cantine a eu du mal à réouvrir parce qu’il n’y avait pas assez de monde. On était très contents de se retrouver à table. Voilà, petit à petit ça revient. Mais bon, on sent que ce n’est plus comme avant.

Parole de Julia, le 7 juillet, mise en texte avec Martine

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