Le film de Gilles Perret sort en salle alors que la colère des agriculteurs fait la Une de l’actualité. Nous y retrouvons le regard aiguisé que le cinéaste porte sur le travail, comme nous avions déjà pu le voir avec « De mémoires d’ouvriers ». Martine a vu « La ferme des Bertrand ».

Gilles Perret vient en voisin filmer la ferme de la famille Bertrand depuis 1972, date du premier documentaire qu’il leur a consacré. Il revient en 1997, puis en 2022. La ferme des Bernard sort cette année, en 2023. Dans ce troisième documentaire, nous nous promenons dans le temps et dans l’espace. Les trois époques s’entrelacent, retour en arrière, comparaisons avec les techniques qui, progressivement prennent le pas sur le travail physique, très dur, de ces paysans montagnards : « Le travail, tout le temps, mais nous pensons qu’il n’y a pas d’autres façons de faire pour essayer de s’en sortir ». Le film commence par la visite d’une autre ferme et de sa trayeuse qui, munie d’une caméra détecte les pis de la vache, les lave et va automatiquement se fixer sur les tétines.
En noir et blanc, en 1972, trois frère, la quarantaine, célibataires, non par choix mais submergés par le travail, « les tontons », comme les appellent les petites filles, cassent des cailloux à la masse, travail manuel abrutissant. En 1997, elles évoquent dans les moindres détails ce travail du quotidiens qu’elles connaissent bien, pour voir leurs parents et leurs oncles s’occuper des bêtes, des champs. En 2022, ce sont les petites-filles et petit-fils qui racontent, prenant tout naturellement la suite du récit de ce travail paysan.
Le temps, ce sont aussi les saisons que l’on voit passer sur Quincy, ce petit village de Haute-Savoie, l’arrivée de la neige, en novembre, sur les sommets environnants, puis l’hiver où les « tontons » ont le temps de faire la sieste dans leur lit ou la tête posée sur la table, après le repas : les vaches restent au chaud à l’étable. Et le printemps où, avec précaution l’on ouvre en grand les battants : les ruminants s’engouffrent dans la lumière, éblouis, puis caracolent comme de jeunes veaux, affolées par toutes ces odeurs, tout ce vert et ce jaune des pissenlits qu’elles s’empressent de brouter.
Et puis, et surtout, il y a le travail. Minutieux, précis, « faire propre ». Cette expression que l’on entend à au moins deux reprise. Il ne suffit pas de « faner » (couper l’herbe, faire les foins) sur les surfaces immense de leur propriété, à la faux bien aiguisée, puis au rotofil, les hommes font le tour des arbres Ce n’est pas pour la quantité d’herbe en plus que çarapporte, c’est, pour détruire les « épines » et les surgeons qui, sinon, en un an deviennent des arbres. Et puis, « ça fait plus propre », plus net. Le plaisir du travail bien fait. Un rapace survole le champ en sifflant, à la recherche de rongeurs dérangés par la faucheuse.
Les petits racontent que quand naît un veau « il est plein de sang » ; « si c’est un mâle, on le vend, si c’est une femelle, on la garde ». Car à la ferme des Bertrand, on produit du lait vendu à la coopérative qui en fait du reblochon, en AOP. Les terrains que l’on voit sur le cadastre sont étendus et bien ramassés autour des bâtiments. Pas question de vendre pour en faire du terrain à bâtir car ce que les touristes aiment, c’est cette nature, ce fromage, tout ce qui caractérise la région, alors s’il n’y a plus que des maisons, les touristes ne viendront plus et eux, et leur ferme, crèveront.
Ils ne sont pas riches, mais la ferme parvient à nourrir « les trois tontons » et une famille entière. La petite, en 1997 le dit très bien : « C’est un petit peu particulier parce que j’ai toute ma famille qui habite ici ». Le village est petit, mais ils ont des voisin, agriculteurs, eux aussi, auprès desquels ils prennent conseil. Ils investissent dans des machines de plus en plus sophistiquées, approuvé par le tonton. Car à La ferme des Bertrand, c’est aussi une histoire de transmission. Du papa, très vieux à ses trois fils, les « tontons ». Le père et deux tontons meurent, puis c’est le neveux et sa femme qui reprennent la ferme « parce que ça nous plaît, la première des choses, c’est ça », et enfin, son fils avec sa mère. Il veut une vie meilleure pour elle, et la solution, c’est acheter cette trayeuse ultramoderne, pour qu’elle puisse prendre sa retraite. Et puis ça donnera peut-être « plus de gouts aux jeunes », les derniers descendant de reprendre la ferme. Mais ce sera une autre histoire, un autre film, peut-être ?
Martine
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