
Parole recueillie et mise en récit par François
Mes racines familiales sont ici à Valensole. Mon père a été agriculteur ; sa ferme est aujourd’hui tenue par un neveu. Mon épouse est née dans un village tout proche. Aussi, après nos vies professionnelle d’agents publics, nous avons fait le choix de nous installer ici à Valensole où nous résidons depuis une dizaine d’années. Au cœur du département des Alpes de Haute-Provence, le plateau de Valensole accueille d’immenses champs de lavandes mais aussi de blé dur. Les villages de ce plateau à 600 mètres d’altitude ont été durement affectés par l’exode rural.
J’y ai fait alors la connaissance de Guy, ex-cadre de la Société Générale et qui a été longtemps conseiller économique dans les ambassades. Nous n’avons pas nécessairement les mêmes opinions sur tout mais la poésie nous a très vite rapprochés. Il y a dix ans, nous avons proposé un petit spectacle de poèmes évoquant le plateau. Bien que très modeste, celui-ci a eu un certain écho. Aussi avons-nous créé une association « Poètes de Hautes-Terres » avec quelques amoureux de notre terroir tel Régis, un authentique fan de Georges Brassens. Mais nous avions plus ou moins conscience qu’une manifestation consacrée uniquement à une poésie locale ne rencontrerait qu’un public restreint. D’où l’idée d’y adjoindre de belles chansons francophones : celles de Charles Aznavour, de Barbara, de Jacques Brel, de Pierre Perret, de Georges Moustaki, de Claude Nougaro, de Jean Ferrat, de Léo Ferré, …
En 2014, Maurice qui animait « Mémoire vivante » nous a rejoint. Cette association fait revivre la mémoire patrimoniale, historique, culturelle mais aussi des savoir-faire locaux en créant des animations tout au long de l’année. C’est à ce moment que le projet d’un festival « Poésies et chansons au pays des lavandes » est né. Sur trois journées, ce premier évènement combinait des spectacles mais aussi de courtes conférences et des lectures entrecoupées de chants. Lui et moi avons fait nôtre la recommandation de Pierre de Ronsard : « La poésie, sans les instruments ou sans la grâce d’une ou plusieurs voix n’est nullement agréable… »
Ces séquences organisées les matins et après-midi étaient et sont toujours en libre accès. Les artistes qui s’y produisent acceptent d’être payés « au chapeau »[1]. Les spectacles du soir étaient ouverts dès nos débuts sur réservation. Durant des années, l’entrée est demeurée fixe : 12 euros. Cette année, j’ai proposé de la porter à 15 euros car certains artistes, vu leur notoriété, ne se produisant pas sans cachet. C’était devenu nécessaire, mais la décision était délicate car notre petit collectif a bien conscience qu’une large majorité de notre public n’est pas épargné par l’inflation.
A partir de 2014, le festival s’est étalé sur une semaine et nous avons pu y associer progressivement un nombre croissant de communes qui nous ouvrent salles de fêtes, cours des écoles et même un cinéma : celui de Valensole. Aujourd’hui, dix communes répondent présent. Distinguer nos élus selon des critères politiques nationaux – droite ou gauche – n’est guère pertinent. Selon moi, ils ont le souci d’administrer au mieux leur petite commune et se réfèrent plus ou moins implicitement à ce que je nommerai un « radical-socialisme bas alpin ».
Cette manifestation culturelle perdure et grandit grâce à deux piliers : l’un artistique et l’autre financier. L’un des membres de notre bureau, Jean-Marc, auteur – compositeur, interprète, mais aussi professeur de guitare, assure à merveille le rôle de découvreur de jeunes talents mais aussi d’artistes confirmés. Ses propositions sont discutées au sein de notre bureau et il est donc, de fait, notre directeur artistique. Dès nos débuts, nous avons eu le souci de respecter à la lettre les obligations auxquelles sont astreintes les associations « Loi de 1901 ». Au sein du bureau, nous pouvons compter sur l’expertise de l’ancien secrétaire général de la mairie de Valensole. En outre, nos comptes sont certifiés chaque année par un commissaire.
En ayant le souci de proposer des spectacles de qualité, exigeants mais respectueux de nos publics et étayés par une gestion rigoureuse, nous avons acquis peu à peu une vraie légitimité aux yeux de nos financeurs : communes, agglomération, département, région. Nombre d’associations, la presse et les médias régionaux relayent notre projet : ce sont des alliés précieux. A côté de ces appuis, il n’y a pas de réelles oppositions. Néanmoins, j’entends parfois dans des cafés des remarques du type : « Ah oui, ce soir, il y a des poètes à la salle des fêtes, des conneries… »
En tant que Président, je me dois d’assurer un management assez subtil. Je me vois souvent avec une burette à huile dans les mains ! Tout au long de l’année et a fortiori lors de la semaine du festival, il est exclu que je donne des ordres à mes collègues. Dans une association, c’est la persuasion douce et constante qui est efficace. Je me dois donc de repérer les bonnes volontés, d’identifier leurs contributions mais aussi d’apprécier les limites de certains qui veulent aller au-delà de leurs forces. Bien sûr, je suis vigilant sur d’inévitables petites tensions interpersonnelles nées d’incompréhensions. Je nomme cela une activité de facilitation. Cela implique de proscrire tout dogmatisme et donc de ne surtout pas mettre en avant mes convictions qui sont d’ailleurs connues de chacun.
Avec les artistes, j’ai toujours la même ligne de conduite. Dès le premiers contacts, souvent plusieurs mois à l’avance, voire un an pour les plus connus, cela passe par une présentation la plus objective possible de notre projet, mais aussi des caractéristiques de notre public, des habitants du plateau auxquels s’ajoutent des touristes. Ma formation scientifique puis mes fonctions pédagogiques m’ont – je pense – préparé à cette vigilance. J’apprécie l’univers des artistes. Combien de rencontres formidables et ce quelle que soit la notoriété – modeste ou médiatique – des uns et des autres ! Mais certains ont des ego démesurés difficiles à cerner dans de premiers échanges. Il m’est arrivé de croire avoir convaincu mon interlocuteur du registre souhaité pour son intervention et puis le jour J … patatras ! J’ai en mémoire, un artiste qui avait cru pertinent de clore son spectacle par une série de propos particulièrement offensants sur la chrétienté, la figure du Christ, la fête de Noël… Rien de cela n’avait été bien sûr prévu. J’étais indigné par ses outrances d’autant que l’un des membres de notre bureau a des engagements dans l’Eglise catholique. Là, après le spectacle je n’ai pu me contenir, je l’ai appelé au téléphone et « interpellé » pour ses blagues nulles, provocatrices, ses sarcasmes « à deux balles » ….
A l’inverse, certains artistes dont on croit connaitre le registre vont nous surprendre d’une autre façon. Ce fut le cas avec Pascal Danel, l’auteur de « La Plage aux romantiques » et de la célébrissime chanson : « Les neiges du Kilimandjaro ». Il nous a livré des chansons d’une grande intensité dont notamment celle qui évoque les trois dernières minutes de la vie d’un homme face à un peloton.
Il y a quelques années, Yves Duteil a répondu à notre invitation. Ayant été maire de Précy sur Marne durant vingt-cinq ans, il a souhaité rencontrer son homologue valensolais. C’est un homme d’une extrême gentillesse. Il avait prévu avant le spectacle de rencontrer les enfants des écoles qui avaient préparé un spectacle pour lui, mais malheureusement son train a été stoppé durant six heures avant qu’il n’entre en scène.
Deux mots résument mon activité : processus et procédures. L’un de mes professeurs à l’Université avait une image forte : « Le processus – disait-il – c’est la Durance, elle court impétueuse, dévale de la montagne et vous ne la maîtrisez guère. Les procédures, c’est l’ensemble des installations du canal de Provence construit pour réguler harmonieusement la précieuse ressource qu’est l’eau ». Donc, pour moi, le processus, c’est le registre du projet, de l’élan créateur, le temps où l’imagination me mobilise pleinement et que je partage avec mes amis du bureau. Les procédures, ce sont les mille et un points de vigilance qu’il faut respecter : les normes de sécurité, les droits d’auteurs, la transparence comptable, ….
Et puis, il y a la gestion des imprévus. Cette année, les orages ont été nombreux. Le spectacle de Céline Faucher[5], une chanteuse québécoise, était programmé un soir dans la cour des écoles de Saint-Martin de Brômes. Quelques heures avant le spectacle, la maire, m’a alerté et toute l’équipe des bénévoles a réaménagé la salle des fêtes. La proximité du public avec l’artiste a créé une ambiance extraordinaire que nous n’aurions peut-être pas eue dans la configuration initiale ! Durant cette semaine, je n’ai pas arrêté de courir d’un lieu à un autre en étant toujours debout pour présenter les artistes, les écouter après leur prestation et surtout être attentif aux réactions du public. A la fin du festival j’étais « cuit » et j’ai eu besoin d’une semaine de récupération !
Lors des premiers festivals, j’avais organisé des balades poétiques pour faire découvrir les paysages du plateau. Mais au bout de trois ans, j’y ai renoncé. Des personnes s’y inscrivaient sans apprécier leur résistance physique : marcher deux heures au soleil fin juin ce n’est pas rien. D’autres étaient chaussées de simples espadrilles. En outre, certains randonneurs étaient abondamment parfumés ; ils réveillaient les abeilles des ruches placées au bords des champs de lavande…
Cette année, nous fêtons le quatre-vingtième anniversaire de la Libération. Pour cette conférence-débat, je me suis efforcé d’écrire un texte aussi précis et objectif que possible sur l’Occupation et la Résistance locale notamment en ayant recueilli des témoignages. En ces temps incertains, c’est une évocation qui m’est apparue nécessaire. Ce travail documentaire a aussi satisfait mon goût pour l’Histoire qui m’avait déjà conduit, il y a quelques années, à publier un livre où j’évoquais la vie puis le départ en août 14 d’un grand oncle. Modeste agriculteur bas-alpin, il est tombé au combat quelques semaines plus tard dans les Vosges[2].
Parfois mes proches et des amis me questionnent sur mes multiples activités : ils me voient comme un hyperactif. C’est vrai, c’est un trait de ma personnalité. Au regard de mon histoire familiale et de ma vie professionnelle, le militantisme, la création de liens m’ont toujours animé. Le festival, réalisé avec mes copains, est une manifestation de ce besoin. Si la poésie, la chanson française, la musique, … créent du plaisir, réunissent des personnes mieux que les bistros et qu’ainsi ils ne succombent pas trop à l’abrutissement télévisuel, n’est-ce pas déjà une petite contribution pour favoriser un climat social plus serein ? Mais les années passent. Après dix ans d’engagement comme président de l’association, je me dis que cela suffit et qu’il est sain d’être vigilant sur la dynamique de notre projet initial. Aussi, j’ai préparé ma succession. Si je vais demeurer au sein de l’équipe, un collègue déjà présent au bureau, va me succéder dès l’an prochain.
Jacques
[1] Mode de rémunération où l’artiste présente à la fin de sa prestation un chapeau et invite les spectateurs à y déposer quelques pièces ou billets.
[2] Bec Jacques, Vous étiez paysan, Manosque, Editions Saint-Trophime, 2017
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