“ On me regarde pour me comprendre ou pour voir l’eczéma sur mon visage ? ”

Stéphanie, fondatrice et directrice de l’association Française de l’Eczéma

Représentation de « À fleur de peau »
au Théâtre de la tour Effeil – 2024

À l’époque où je participais à des congrès de dermatologie alors que j’étais sujette à des crises d’eczéma, j’étais, parmi toutes les associations présentes, la représentante qu’on voyait le plus. Quand j’allais rendre visite aux autres congressistes sur leurs stands, ces derniers me parlaient vraiment de leur association et des actions qu’ils promouvaient. Mais, dès que je m’exprimais, l’attention se concentrait sur mon cas personnel.  Cela résume assez bien les difficultés que j’ai constamment dû surmonter, et justifie le fait que l’eczéma soit reconnu comme maladie invalidante, classée « affection de longue durée ». 

Depuis que je suis petite, c’est comme si ma peau était une passoire et que tout ce qui la traverse était considéré par mon système immunitaire comme un ennemi. La réaction se manifeste par des rougeurs, des démangeaisons, un assèchement de l’épiderme. Chez moi, ces symptômes ont été assez violents. À l’âge de 18 ans, l’eczéma est arrivé jusque sur mon visage et sur mon cou. C’était la période où je commençais à imaginer ma vie de jeune adulte. Ça a été assez compliqué. Pour faire face, j’ai commencé à écrire un blog qui m’a permis de rencontrer des personnes qui souffraient de la même pathologie, et qui étaient en proie aux mêmes difficultés que moi. Je me suis alors rendu compte qu’il n’existait pas d’association de patients atteints d’eczéma. À l’âge de 22 ans, avec un autre patient, j’ai donc créé l’« Association Française de l’Eczéma » que j’ai animée et dirigée. Petit à petit, grâce à un « contrat aidé » de l’État qui a pris en charge une partie de mon salaire, j’ai fait de cette activité un travail professionnel à temps plein. 

Mon ambition est de rompre l’isolement que peuvent vivre les patients et leurs proches face aux symptômes les plus compliqués et à leurs conséquences sur la vie sociale et professionnelle.  Quelqu’un qui souffre d’eczéma est limité dans ses activités, et l’obsession des démangeaisons est toujours présente dans son esprit. Il n’est jamais libre. Comme c’est une maladie chronique et parfois installée dans une région du corps que l’on peut camoufler, l’eczéma est à la fois visible et invisible. Il y a des jours où tout ira bien pour le patient, et d’autres où il sera couvert de plaques rouges qui provoquent de la répulsion. Le patient doit assumer cette image potentiellement dégradée et affronter l’incompréhension de l’entourage qui a du mal à admettre des variations de disponibilité que rien, parfois, ne semble justifier. L’aveugle ne peut pas escamoter son handicap : il a ses lunettes noires et sa canne blanche, le tétraplégique est dans un fauteuil roulant. On les accepte comme ils sont. Avec l’eczéma, on est dans une sorte d’entre-deux : dès qu’une plaque apparaît, on a envie de la cacher autant pour se protéger du regard des autres que pour avoir l’impression de vivre normalement. C’est une charge mentale difficile à gérer.

Pour ce qui me concerne, je me souviens particulièrement d’un congrès sur les maladies de la peau, à l’espace San Diego de Sao Paulo. En tant que présidente de l’Association Française de l’Eczéma, je devais animer un débat en anglais devant des associations de patients venues de différents pays. Je manquais de sommeil à cause du décalage horaire et d’une mauvaise nuit passée à l’hôtel, dans l’atmosphère moite du Brésil subtropical, loin de chez moi. Au bout de deux jours, j’ai fait une belle poussée d’eczéma sur le visage… J’étais mal, la peau me brûlait. Le matin du débat, je me suis dit : « Bon, je vais me maquiller pour me sentir plus à l’aise. » J’espérais qu’ainsi, mes interlocuteurs n’allaient pas trop se focaliser sur les plaques rouges qui déformaient mes traits, et que j’allais pouvoir mieux me concentrer sur le sujet de la séance, comprendre les questions et conduire le débat avec pertinence.  Mais le produit de maquillage est irritant, il peut aggraver les choses. Quand, ensuite, il faut se démaquiller, la peau agressée devient encore plus sensible. J’ai finalement décidé que, tant pis, je ne me maquillerais pas. Je me suis dit : « J’assume ! J’y vais ! Une fois le stress passé, la peau va se calmer. Je suis légitime dans mon domaine, je peux parler des difficultés que vivent les patients qui souffrent d’eczéma… même si je ne sais pas très bien si on me regardera pour me comprendre ou pour voir à quel point les plaques rouges ont envahi mon visage ».  C’était une vraie épreuve.  À ce moment-là, je me suis dit : « La journée va être longue… »

Mon travail de dirigeante de l’Association Française de l’Eczéma, qui compte 350 adhérents, est, notamment, d’accompagner les patients qui sont en difficulté vis-à-vis de leurs activités professionnelles. Ce sont souvent des jeunes qui voulaient par exemple devenir serveurs, boulangers ou encore coiffeurs et qui, lors de leur formation, se rendent compte que leur corps refuse de suivre cette voie. Une de nos prochaines actions sera de créer des fiches métier pour aider à rediriger, selon le type d’activité, les personnes qui ne peuvent pas exercer leur travail à cause de l’eczéma. Mais les quatre millions de Français atteints par la maladie sont autant de cas particuliers. Ce n’est pas parce que quelqu’un a eu des poussées qu’il en aura toute sa vie, ou que ça va s’arrêter, ou que ça va revenir. Des séniors connaissent un déclenchement d’eczéma parce que leur peau devient plus sensible à ce qui l’entoure, de la même façon que nous devenons tous de plus en plus allergiques à notre environnement. Je pense notamment à un patient qui savait quand le service d’entretien était passé parce qu’à chaque fois, sa peau commençait à chauffer, à le tirailler. Les femmes de ménage utilisaient toujours le même produit pour nettoyer son clavier d’ordinateur : un désinfectant qui contenait du limonène auquel il était allergique. Il a dû prendre plusieurs arrêts maladie… 

L’eczéma, ce n’est pas juste une plaque qui gratte, il affecte toute notre vie privée et professionnelle. Quand vous vous réveillez avec la peau irritée et douloureuse, vous n’avez aucune envie d’aller au travail, sauf si, par chance vous exercez dans un espace climatisé…. Les périodes de pollinisation deviennent en effet de plus en plus longues et les températures de plus en plus déréglées, la peau des patients allergiques devient de plus en plus sensible et les poussées d’eczéma de plus en plus imprévisibles. Au cours des dernières canicules, nous avons notamment eu à faire à de nombreuses hospitalisations de patients qui ne pouvaient plus aller au travail : la transpiration entraînait chez eux des poussées d’eczéma insupportables.

Dans ces cas-là, mon objectif de directrice est de faire en sorte que les patients qui contactent l’association trouvent de l’aide pour vivre au jour le jour avec la maladie. Mais nous n’avons pas de baguette magique pour la faire disparaître. À défaut d’une ligne verte d’appel, qui demanderait des moyens financiers et humains que nous n’avons pas, nous faisons alors appel à des psychologues pour suivre individuellement les cas les plus lourds. Grâce à une chaîne de podcast, l’association met par ailleurs en ligne des témoignages de patients ainsi que des événements qui permettent à des professionnels de santé de dispenser des conseils et de commenter les dernières avancées médicales. Les chercheurs ont, en effet, mis au point des biothérapies ciblées qui permettent d’agir sur les démangeaisons ou sur la qualité de la barrière de la peau en réduisant les effets secondaires des traitements les plus lourds. 

Afin de suivre les effets de ces nouvelles thérapies, La Haute Autorité de Santé nous a demandé de contribuer à des enquêtes que nous complétons grâce aux observations menées au sein de notre association et publiées dans les journaux de dermatologie français, européens et américains. C’est ainsi qu’une étude que nous avons réalisée en 2018 auprès de 1024 patients atteints par l’eczéma révèle, dans le milieu professionnel, 13 à 25%, des patients ont eu un arrêt de travail en lien avec cette maladie, 17% confient avoir été victimes de discrimination à l’embauche, tandis qu’un tiers des malades atteints d’eczéma sévère pensent en permanence à leur maladie pendant leur journée de travail. Dans le même registre, nous collaborons avec des centres d’éducation thérapeutique ; et, en milieu hospitalier, nous participons à des ateliers pluridisciplinaires dédiés à l’eczéma comme il en existe pour le psoriasis, le diabète ou l’obésité. Pour diffuser les informations qu’elle recueille, l’association édite « Eczéma magazine » à l’intention des adultes ainsi qu’un magazine destiné aux enfants de 6 à 11 ans. Tout cela représente un travail d’information et de mise en relation qui nous paraît essentiel.

Cela ne remplace évidemment pas le contact direct. C’est pourquoi l’association organise aussi des camps de vacances pour les adultes et d’autres pour les enfants. Dans le même esprit, le point fort de notre action est la Journée Nationale de l’Eczéma qui se déroule chaque année depuis dix ans. En 2024, en plus des conférences et des ateliers habituels, nous avons proposé une pièce de théâtre, intitulée « À fleur de peau », que nous avons écrite avec des patients et des professionnels de santé et que nous avons jouée au « Théâtre de la tour Eiffel », à Paris. Cela raconte l’histoire d’une jeune femme – Emma, 25 ans – qui, parce que son frère vient d’annoncer ses fiançailles, veut faire croire à ses parents qu’elle a, elle aussi, rencontré quelqu’un. Elle s’invente donc un amoureux à qui il faut plaire. Elle croit à son mensonge, se demande quels vêtements porter, quelles toilettes, quel maquillage, comment séduire… Par manque de chance, elle ne se souvient pas qu’elle a eu de l’eczéma quand elle était petite. Une poussée soudaine arrive, qui, en la défigurant, brise son rêve et rend son mensonge inutile…  C’est une fiction qui parle du regard des autres et de la manière de conjurer le tabou de la maladie, de la nécessaire médiation des professionnels de santé. Une histoire pas tout à fait inventée, qui, justement, se passe dans ma ville de Saint-Nazaire… En fait, j’ai mis dans cette pièce de théâtre beaucoup de choses qui concernent le vécu de ma maladie, beaucoup de souvenirs vis-à-vis desquels je me suis dit qu’il fallait savoir passer outre puisqu’ils étaient encore douloureusement vivants. Je me suis alors sentie à la fois vulnérable et forte. 

À quel moment dans ma vie, si je n’avais pas eu la maladie, aurai-je pu jouer au théâtre de la Tour Eiffel devant mes enfants ? Comment aurais-je pu rencontrer toutes les personnes formidables, au sein et autour de mon association, qui me donnent des leçons de courage ? J’ai la possibilité, par mon action, de leur insuffler un peu d’énergie et de faire entendre leur voix. J’en ai fait mon métier.


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