
La crise de la démocratie peut-elle trouver une part de son explication dans les évolutions du travail, et pas seulement du côté de l’emploi, du pouvoir d’achat et de la dégradation des services publics ? C’est la question que pose l’économiste Thomas Coutrot dans cette étude publiée par l’IRES « Le bras long du travail – conditions de travail et comportements électoraux ». La réponse est nette.
Toutes choses égales par ailleurs, « Le manque d’autonomie au travail est clairement associé à la passivité politique reflétée par l’abstention. La capacité d’expression dans le travail contribue tout autant à façonner les comportements électoraux. De façon attendue, le vote RN est très nettement associé à un déficit d’expression dans le travail ; les électeurs et les électrices d’extrême-droite ont moins l’habitude qu’on leur demande expressément leur avis sur l’organisation et les conditions de leur travail… Parmi les autres aspects des conditions de travail, les horaires atypiques [tôt le matin, tard le soir] et la pénibilité physique sont associés positivement au vote RN et négativement au vote macroniste ». Or, souligne Thomas Coutrot, depuis la fin des années 1990, la montée du lean management et du new public management a provoqué une érosion de l’autonomie au travail. Cela a-t-il contribué à la hausse observée de l’abstention, en particulier chez les catégories populaires ?
Il parvient à ses conclusions en appariant les réponses aux questions des enquêtes conditions de travail de la DARES avec les données socio-économiques et électorales des communes des répondants. Ces dernières sont disponibles à une maille fine : les 36000 communes de France, grâce aux travaux de Julia Cagé et Thomas Piketty. Nous avions déjà évoqué leur étude du rapport entre les résultats électoraux et l’attention portée au travail dans ce billet consacré aux relations entre travail et territoire. Les données permettaient aux auteurs de conclure que si le FN racolait sur le racisme jusqu’à la fin des années 90, il s’est aujourd’hui largement installé aussi sur le vécu au travail à partir des délocalisations, sous-traitance, basculement du travail ouvrier vers du travail de service, moins rémunéré et moins considéré.
L’auteur identifie aussi une disparité au sein des votes de gauche : « Le manque d’autonomie peut favoriser le vote de gauche populiste alors que c’est davantage la capacité d’expression dans le travail qui incitera au vote socialiste ou écologiste … peut-être faut-il voir là deux ressorts différents de la mobilisation politique à gauche : l’un fondé sur la protestation contre l’aliénation et l’exploitation, l’autre mobilisant davantage des ressources d’expression démocratique acquises dans le travail » .
Il fait parler les chiffres : « Une hausse de 10% de la proportion des salariés ayant accès à ces espaces de discussion (formalisés) sur leur travail (ils ne sont aujourd’hui que 45%) pourrait réduire de 10 à 30% le vote pour l’extrême droite. Cette expression, associée à de nouveaux droits des salarié.es et de leurs élu.es sur l’organisation du travail, pourrait permettre d’améliorer l’autonomie du travail, ce qui aurait aussi un impact important sur l’abstention ».
Et il conclut sur des pistes d’action qui vont au rebours des politiques conduites depuis 40 ans : des politiques publiques visant à améliorer le pouvoir d’agir des salarié.es dans leur travail, qui pourraient avoir des impacts substantiels sur la santé démocratique du pays.
On trouvera en introduction de cette étude une revue de divers travaux en sciences sociales montrant, dès le début du XX° siècle, qu’un travail répétitif et appauvri engendre passivité politique et abstention électorale : « les compétences sollicitées ou entravées durant l’activité de travail influencent le comportement des personnes hors du travail et notamment dans la vie civique ».
Christine
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Une réflexion sur « Le bras long du travail : conditions de travail et comportements électoraux »