Collaborateur

Un mot du travail : inclusif ou piégé ?

Il ne faisait pas bon se voir traiter de  “collaborateur” après 1945. Le DRH s’appelait alors Monsieur le Directeur du personnel et il avait des subordonnés. Ou plutôt des subordonnées. Aujourd’hui, il est devenu tout à fait honorable d’être le collaborateur d’une entreprise, d’un groupe, d’un média ou d’une institution. C’est le terme générique utilisé pour parler des salariés dans les histoires que l’on raconte aux managers pendant les grand messes de l’entreprise. Cependant, le mot est rare dans les paroles des personnes avec qui nous avons fait un récit de leur travail. Ceux qui l’utilisent sont cadres de direction ou experts RH. Ils disent “les collaborateurs” (ceux de l’entreprise), plutôt que “mes collaborateurs” (ceux avec qui ils travaillent). 

Dans ma vie professionnelle, je me suis toujours attachée à éviter de prononcer ou d’écrire “collaborateurs”. C’est probablement parce que j’entrevoyais un piège dans ce terme. Il n’existe pas dans le Code du Travail. On y parle de travailleurs, un mot ringardisé par l’entreprise moderne. En revanche, on use et abuse du vocable “collaborateur” dans la rhétorique de l’entreprise libérée. Parler de collaborateur, n’est-ce pas une manière de gommer les écarts de statut ? De faire comme si étaient égaux les agents, vacataires et contractuels dans les services publics, ou les salariés, intérimaires et sous-traitants dans l’entreprise, ou les cadres et les ouvriers, ou encore les journalistes en pied, les pigistes et les stagiaires ? Lorsque le gardien devient un collaborateur, n’est-ce pas que son emploi a été transféré vers une entreprise extérieure ? Parler de “collaborateurs”, n’est-ce pas aussi  faire comme si le lien de subordination n’existait pas dans le contrat de travail  et dans la réalité ? En revanche, j’aime le mot collègue, au singulier comme au pluriel. Évoquer les collègues, c’est parler des collectifs auxquels on se sent appartenir, de ceux avec qui on travaille, de près ou de loin, avec qui on partage un statut. Dans le midi de la France, cela va encore plus loin. On s’interpelle “eh, collègue”, parce qu’on partage un même travail, une même situation en dehors du travail, un même quartier, un même territoire, et bien entendu le même accent.

Célia


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