Le travail, avec mes collègues proches, se faisait dans une ambiance qui ne tenait absolument pas compte de mes moments de faiblesse.

Alexis, technicien dans une Société de Service en Informatique

« …des robots mono-bras, qui tournent dans tous les sens sur une ligne de construction… »

Après la période Covid, tout seul à la maison, j’ai suivi une formation d’informaticien en ligne avec «Openclassrooms». Puis j’ai monté une auto-entreprise de dépannage informatique qui proposait des petites réparations à distance, chez moi. Le bouche à oreille dont j’ai bénéficié parlait de la qualité de mon travail et de ma relation humaine. Ces personnes privées me faisaient confiance, quand bien même elles exposaient leur l’intimité à travers les photos et textes dans leur ordinateur de famille. J’ai créé cette entreprise pour retrouver le gout des vrais contacts humains. Ce qui avait été bafoué, dans mes précédents métiers. Dans la vente, le rapport client vendeur est dicté par la direction et par la recherche de profit ! Donc la relation devient manipulation. Ce qui ne m’allait pas du tout.

Puis, dans les aléas de la vie, je me suis fait embaucher par une société basée à Lyon, mais qui m’a envoyé travailler à Silex, à Annonay, une entreprise historique, de 1500 personnes, qui fabrique des véhicules pour le transport. Je devais m’occuper de la maintenance informatique de l’usine.

Quand j’arrivais le matin à Silex, j’ouvrais les méls pour accéder au ticketing. Un classement des actions à mener selon leur priorité. La personne ayant besoin d’aide en informatique crée un ticket. La routine s’est vite installée. Les mêmes problèmes reviennent souvent, comme l’oubli du mot de passe. Cette demande là est classée « ticket urgent » parce qu’elle peut impacter plusieurs personnes, dans leur utilisation de l’Internet. Il me suffisait d’aller sur le logiciel qui gère les mots de passe de tous. Je travaillais de mon écran et à mon poste. Je ne voyais pas les personnes, sauf exception, puisque nous avions un comptoir où elles pouvaient venir. Mais c’était rare. Les interventions se faisaient surtout à distance. L’important était que les employés n’aient pas à se déplacer pour venir jusqu’à moi. Moi, cependant, j’allais au contact des personnes qui étaient sur des postes très éloignés et sans ordinateur portable. Silex est immense. Elle couvre de nombreux hectares.  Des ateliers, dans l’usine, travaillent avec des robots mono bras, qui tournent dans tous les sens sur une ligne de construction de bus. Ils fonctionnent avec un ordinateur non connecté au réseau. Cet ordinateur est le ventre de l’usine. S’il tombe en panne, je suis obligé d’aller sur place. Dans ces ateliers de mécanique générale, de soudure, de peinture, je devais chausser des chaussures de sécurité. Et là j’étais en contact direct avec les utilisateurs. Dans Silex, il y a deux mondes, ceux qui bossent dans les bureaux et les ouvriers. Et ceux-là ne se mélangent pas !  Et moi je me mélange ! Là je prenais toujours le temps de discuter avec chacun, pour qu’il me parle de son travail et me décrive ce qui lui semblait important pour lui permettre de travailler mieux. J’ai créé des liens professionnels très amicaux, des liens de reconnaissance en fait. Les « échelons supérieurs » de  Silex ont fait remonter «que j’avais été très vite intégré dans cette entreprise, ne serait-ce que pour avoir entretenu des liens de reconnaissance avec les ouvriers, humainement et professionnellement.» Et en effet je me suis senti complètement intégré.

Je devais aussi renouveler le parc informatique : installer de nouveaux logiciels sur les ordinateurs obsolètes. Je procédais alors à des changements d’ordinateur. Pour nous informaticiens, c’est très simple mais pour les utilisateurs de ces machines, ce peut-être très déstabilisant. Ils craignent que l’on touche à leurs données personnelles. Quand bien même il est interdit de déposer des choses personnelles, ils le font couramment. Comme pour se rassurer, en se donnant de l’émotion au bout d’un clic, sur des photos de famille par exemple. La plupart du temps, les employés ont un travail très répétitif, bien précis, bien carré et nous, nous chamboulons leur espace de travail avec des changements de process ! Ce qui, évidemment, change leur manière de travailler. Il nous faut alors tenir compte de leur stress. On les rassure contre la peur de perdre du travail enregistré ou leur intimité.

Le travail, avec mes collègues proches, se faisait dans une ambiance qui ne tenait absolument pas compte de mes moments de faiblesse. Un d’entre eux, avec qui j’avais les mêmes missions, nous étions trois, était suffisamment ouvert pour venir m’aider quand j’en avais besoin. L’autre était assez mal à l’aise avec moi.

Je ne parle pas beaucoup de mon handicap parce qu’il peut passer à peu près inaperçu dans les moments où je vais bien. Je suis borderline et bipolaire. Doubles maladies fluctuantes qui fonctionnent en phase. J’ai commencé à utiliser le mot handicap à partir du moment où je me suis fait soigner en clinique. Avant je craignais ce mot, qui me stigmatise et me dévalorise. Les crises borderline empêchent le contact avec les autres. Les pertes de mémoire sont l’un des symptômes. J’oublie certains de mes savoirs-faire. Le plus difficile c’est de voir ceux et celles qui se moquent de moi. C’est leur mécanisme de défense ! J’ai tellement vu de ces attitudes là ! Un jour, alors que des personnes haut placées devaient faire une présentation devant un public, leur ordinateur est tombé en panne une heure avant. J’ai eu droit à des remarques et attitudes particulièrement blessantes. Ils m’ont traité d’incompétent comme il l’aurait dit à  un gamin,

Pendant cette période chez Silex, j’ai eu une de ces crises de déconcentration totale où je suis incapable de me concentrer sur un problème, de l’analyser et de le traiter. Incapable de parler à des personnes, ni les comprendre au bout du fil. Dans ces moments là, j’en oublie ce que j’ai appris et je me retrouve devant une feuille blanche, avec mon stylo, sans pouvoir imaginer quoi que ce soit pour résoudre le problème. Je suis dans des états où je n’ai plus de contacts avec la réalité. Détaché du monde classique, je suis dans un monde pathologique. Les gens en face ne comprennent pas, parce que ma maladie est invisible. Une personne dans un fauteuil, ça se voit. Devant une maladie psychiatrique, rien ne prévient l’autre des comportements qui pourraient advenir. Je ne parle pas de ce qui se passe dans ma tête pendant ces crises, si ce n’est qu’avec certaines personnes. Au travail, seuls ceux, suffisamment ouverts, à qui j’ai expliqué, sont capables de réflexion pour réagir en face de moi.

En fait, sur mon lieu de travail, j’ai souvent réussi à prendre le taureau par les cornes. Quand je ne pouvais pas travailler du tout, alors je tentais de me concentrer très profondément sur ce que j’étais en train de faire. J’arrivais à surpasser le problème, sans que trop de monde ne s’en aperçoive. Seul, le nez sur mon ordinateur, dans mon coin, je n’ai jamais appelé l’entreprise au secours pour qu’elle m’aide dans ces situations.

Lors de l’embauche, on n’est pas obligé d’en parler. Pourtant chez Silex, j’ai fait jouer la RQTH. C’est une Reconnaissance Administrative des Travailleurs Handicapés, qui permet de bénéficier de mesures pour l’insertion professionnelle ou le maintien dans l’emploi. Quand j’ai expliqué à l’employeur les symptômes de ma maladie, je me suis rendu compte que cela n’avait pas été pris très au sérieux, mais plutôt sur le ton de la rigolade. Et ils m’ont embauché.

La période a duré 10 mois. Puis, ma société a perdu le contrat avec Silex et m’a muté à Lyon à la hotline, moi habitant Saint-Étienne. Mon travail consistait à assurer la maintenance des ordinateurs du siège de la Région Rhône-Alpes. Pendant huit heures, j’étais devant un ordinateur, j’intervenais à distance sur les postes des demandeurs qui me décrivaient leurs problèmes par téléphone. Je ne voyais personne, même pas ceux qui étaient à côté de moi, avec leur casque et oreillette. Nous étions des anonymes, des silhouettes. Aucune reconnaissance, aucun retour, je ne savais pas ce que devenaient les problèmes que j’avais tenté de régler. Ça ne me plaisait pas. J’ai tenu trois semaines.

Travailler à Lyon avait changé mes transports. Auparavant pour aller de Saint-Étienne, à Annonay, je prenais le bus le matin très tôt et je voyais défiler le merveilleux paysage du col de la République, changeant tous les jours. Dans les bus, on a une place assise relativement confortable. Je peux travailler si nécessaire, je peux lire, je peux faire toutes sortes de choses. Pour aller travailler à Lyon, je me suis retrouvé dans un monde complètement différent, aux antipodes du précédent. Je prenais le tram bondé pour arriver à la gare de Châteaucreux où j’entrais dans un train tout aussi bondé. La plupart du temps j’étais debout parmi d’autres gens agressifs. C’était très tendu. De temps en temps, la SNCF décidait d’enlever une rame sur deux. Nous nous retrouvions dans une seule rame. Alors se développait un stress énorme pour tout le monde. J’avais l’impression d’être du bétail qu’on transporte à l’abattoir. J’arrivais donc à la Part-Dieu où se trouvait ma Société, dans un monde de buildings, monde inconcevable, de vitrines des magasins de l’hyper-consommation. Il n’y avait rien d’humain. Ces conditions m’ont fait tomber dans une grave crise qui m’a amené à quitter mon travail et entrer en Hôpital Psychiatrique.

J’ai commencé une phase bipolaire basse. Chez quelqu’un de non malade, on dit burn out. Chez moi, c’est une dépression sévère qui m’a amené à une hospitalisation de trois mois et demi. Ce qui est énorme pour un HP.  Aujourd’hui, je suis en arrêt maladie et je suis sorti de l’hôpital  la semaine dernière. J’ai un traitement quotidien, à vie de toute façon, avec ou sans crise. J’ai un suivi psychiatrique, dispositif qui me permet de tenir le cap, c’est le fil qui me relie à la réalité. Je me sens bien. Je ne ressens plus les désagréments de la maladie. Travailler participe  à mon histoire relationnelle avec ma compagne. Travailler me permet d’avoir une vie de couple et de faire des projets qui demandent de l’argent. Le travail m intègre aussi dans la société. Alors je ne suis plus stigmatisé comme un profiteur du système.

C’est pour cela qu’aujourd’hui , je suis en recherche d’emploi, aidé en cela par l’association Messidor  en collaboration avec Cap-emploi, la branche de France Travail qui s’occupe des personnes en situation de handicap. Je reste motivé malgré les difficultés de mon quotidien.

Travailler en étant handicapé est possible, des dispositifs existent qui facilitent le processus de recherche d’emploi et la sensibilisation des employeurs a fait des progrès. Beaucoup de choses restent à faire mais dans l’ensemble les choses avancent.

L’important est d’être bien entouré afin de garder espoir.


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