Le temps est un mot du travail

Mise en lumière des différents temps ressentis dans le travail

Top !
Temps de travail, temps de sommeil,
Temps de transport et temps de loisir,
Temps des jeux, temps de peine, temps de prière,
Temps de lecture, de cinéma, temps pour rêver à rien,
Temps de paix temps de guerre, de peurs et temps d’espoirs infinis,
Temps invisibles, temps contraints, temps libres et temps de la négociation,
Temps des compromis difficiles, temps des conflits, temps perdus et temps gagnés,
Chronomètre, pointeuses, cadences, temps de la prime, temps des retenues sur salaire,
Temps de l’effort, temps de la reconnaissance, temps de la fierté collective, temps de la joie,
«  NOUS  AVONS  L’ETERNITÉ  ET  UN   JOUR »  –   THEO   ANGELOPOULOS 
Temps du doute, temps des hésitations, temps des projets qui unissent,
Temps de la fraternité dans l’atelier, dans les usines et dans la Cité,
Temps de procédures, temps des bricolages temps des initiatives,
Secondes, minutes, heures, jours et semaines, années, siècles,
Temps de l’enfance, temps de l’adolescence, et de la maturité,
Temps du cœur, de l’amour, temps des roses et du muguet,
Temps court, temps des copains et de l’aventure,
Temps de pluie, de liberté, de félicité,
Brume, soleil,
Top !

Dans une consigne, dans une procédure, dans un mode opératoire, le temps n’est jamais cité. Pourtant, quand il faut exécuter cette consigne, le temps émerge dès les premières lignes. Car il ne s’agit pas simplement de partir de A pour arriver en B. Toi qui travailles, tu ne travailles ni seul, ni pour ton propre compte. En permanence, tu es exposé au regard d’autrui.
Autrui, c’est le client qui attend que tu sois parvenu en B. Souvent avec impatience, il n’a pas que ça à faire. Et il a besoin de B, un besoin irrépressible.
Autrui, c’est ton patron. Quand tu seras parvenu en B, il te demandera d’en repartir, pour aller vers C, et plus vite que ça ! Ou alors de recommencer, repartir de A, parvenir en B, jusqu’à ce que fin s’ensuive. Fin de process, fin de commande, fin de journée, mais toujours comme un mort de faim.
Autrui, c’est ton collègue. Celui qui, dès que tu auras atteint B, partira vers D ventre à terre. Toi, tu es compétent pour aller jusqu’en B, mais continuer vers D tu ne peux pas. D, tu ne sais probablement même pas où c’est ! Le patron, il est déjà devant D, il tape du pied et il crie : “alors, ça vient ? »
Autrui, c’est également ton pote. Celui qui trace le même chemin que toi, de A à B. Mais lui, il a plus d’expérience, ou il est plus habile… Bref, il y est déjà, en B. Et il t’attend pour aller prendre un café. Lui aussi, avec impatience.
Autrui, bizarrement, ce peut-être toi-même. Toi, tu sais mieux que personne que l’heure tourne, et qu’on ne va pas te payer à rien foutre. Mais tu te rappelles qu’en B il y a un miroir. Tu vas devoir t’y regarder, et tu veux pouvoir t’y reconnaitre. Tu veux pouvoir te dire “oui, ça, c’est mon travail, c’est moi qui l’ai fait, et j’en suis fier“.
Tu es parti de A, tu es en route mais l’heure tourne. Et tu sens que ça va pas le faire. Toi qui es parti pour exécuter une procédure, en cet instant c’est sûr, ton plus ardent désir c’est de la tuer !

« J’ai pas le temps, je suis débordée. Non je n’ai pas  pu faire ce que tu m’as demandé. Je te promets je le ferai plus tard. Tu m’accordes un temps ?  Tu sais j’ ai tellement de choses à faire ! Je n’arrive pas à m’organiser. J’ai un agenda, je fais chaque jours une liste de ce que j’ai à faire en vrac. Les affaires domestiques, les articles pour le journal, les répétitions théâtre, les rideaux à coudre, les déclarations d’impôts, les documents administratifs pour l’EHPAD, les comptes rendus de réunion, le temps des amis, de l’amour, des enfants, le temps des loisirs ?… Je liste, je liste je barre au fur et à mesure. Mais j’ai du mal. Pourtant, dans le temps qui passe, je fais toujours tout ce qui est inscrit. Je ne procrastine pas. Souvent, les sollicitations arrivent en même temps, dans la même heure, le même jour. Si bien que je dois souvent déplacer, abandonner, reporter, des actions, des rendez-vous…»   Pour autant, chacun a un capital temps, le temps est à tout le monde, il est en permanence. Il se joue avec soi avec l’autre. On donne son temps, on le prend aux autres. Ce qui se joue derrière ces déplorations itératives, c’est l’incapacité de le maitriser, de le remplir, comme on voudrait, l’incapacité de l’apprivoiser. Croit-on. C’est la difficulté les maladresses à faire des choix, savoir ce qui compte le plus. On voudrait tout mettre, remplir tout ce temps comme si on avait la crainte du vide, la crainte devant « le rien faire.» synonyme de ne rien être. Le temps est un « sacré foutoir » surtout dans le contexte idoine, où on est seul maître de son temps, de ses choix, sans subordination aucune puisqu’on est en «retraite.» 

Le temps qu’il faut ou le temps qu’il me faut ?
Lusi, Karine et Sandrine nous ont parlé du temps.
Lusi nous a raconté que le temps de préparation des commandes se mesure en secondes.
Karine a quelques minutes pour faire une chambre à l’hôpital
Sandrine a le temps de ses consultations pour soigner un enfant.
Ce n’est pas le temps qu’il leur faut, c’est “le temps qu’il faut”, celui qu’on leur donne. Une moyenne arithmétique froide et lisse, où tout irait à un rythme continu, sans flâner ni s’interrompre.
Ce n’est pas le temps que prennent Karine et Sandrine , elles nous l’ont raconté. Elles s’arrêtent, reprennent, accélèrent, ralentissent, font un pas de côté.  À l’hôpital, elles peuvent encore le faire, même si c’est en nageant « la brasse coulée ».
Pour Lusi, c’est fichu. Elle est préparatrice de commandes dans le e-commerce, la chaîne moderne. Là, seul compte le temps du geste. Pas de temps pour s’y mettre, pour s’échauffer, pour procrastiner un peu avant de se lancer. Pas le temps de souffler entre deux séquences, de regarder et d’apprécier ce que l’on vient de faire. Pas le temps d’y penser. 

Le temps dans lequel je vis est celui des projets.
Quand je n’ai pas de projet, le temps s’arrête, je n’existe plus. Ou plutôt, je n’existe plus que dans un présent borné par les obligations du quotidien ou par les tâches répétitives de l’emploi qui me permet de subsister.
Le temps du projet est un temps rythmé par des échéances proches et lointaines, des problèmes à résoudre, l’organisation d’activités qui réclament de l’énergie, de la méthode, des savoir-faire, des coopérations. Tout ce qu’on appelle « le travail ».
En fait, travailler c’est peut-être simplement faire l’effort de vivre.
Et cet effort est d’autant plus important quand, retraité, on me paye pour « ne rien faire ». L’effort est alors double : d’un côté, compenser l’absence d’impératif d’utilité sociale pour trouver en soi une autre raison de vivre que celle de subsister dans un présent  figé ; d’un autre côté, trouver l’énergie de remettre le temps en mouvement pour le peupler, le structurer, lui donner une autre perspective que celle de contempler un passé qui s’est écoulé comme une source destinée à tarir ; pour résumer : se donner « un travail à faire ».
Travailler, c’est bien faire l’effort de vivre.

RER B, 7h50, station Saint Michel. La rame est annoncée dans deux minutes. Juste le temps de l’attraper pour arriver à Chatelet à 8h05 et atteindre la défense à 8h30. La réunion commence à 9h. Tout est bon. Il n’y aura plus qu’à tout installer dans la salle en une demi-heure.
7h55, la rame n’est pas encore là. Pas de souci. Juste le temps de changer à Châtelet et d’arriver à la Défense à 8h40. La réunion ne sera pas commencée. C’est encore bon.
« Problème d’exploitation, le trafic reprendra à 9h15 » C’est ce que nous crie le haut- parleur de la station. Une voix anonyme qui se cache pour ne pas nous voir.
Changer d’itinéraire. Un bus puis la ligne 1, toujours pour la défense.
Arrivée finalement dans la salle à 9h25. C’est la salle du conseil qui a été réservée pour l’occasion. Le sujet est d’importance.  C’est un sujet stratégique de Direction Générale.  D’ailleurs, ils  sont tous déjà  là, chacun le nez dans son ordinateur.
Comment prendre le temps de faire tous les branchements pour passer les slides ? Le président s’impatiente. Les membres du comex ricanent sous cape. Ils sont sortis de leur écran et semblent attendre un faux pas. Et d’ailleurs, une femme arrive toujours en retard.
Reprendre ses esprit. Sourire pour ne pas pleurer.
La séance est ouvert. Il ne reste plus qu’une demi-heure pour tout dérouler. Premier slide sur l’écran. Chacun a aussi son dossier papier devant lui. Le président saute directement à la quinzième page. Tous le suivent. Plus besoin de slides sur l’écran et il faut suivre le rythme.
Le président se lève. Un point qui lui parait essentiel est à reprendre. Approbation de la salle. La séance est levée.

Copil du projet. Des décisions doivent être prises en fin de séance. Chacun est en place. Le directeur général est attendu.
Il arrive avec trois quarts d’heure de retard mais il est quand même là. On n’y croyait plus.
Il commence par un long monologue sur un autre sujet que celui qui nous réunit. Nous connaissons tous ce manège mais chacun l’accompagne dans son monologue par des hochements de tête d’approbation et d’encouragements, parfois un petit mot pour le relancer.
Il ne reste plus qu’un quart d’heure. Il feuillette d’un œil pressé le dossier qu’il n’a pas lu.
« Il faut se revoir. Trouvons une date pour avancer sur ce dossier qui traine un peu ».

Salle de contrôle de l’unité B. Le voyant de la pompe de l’Est s’allume. La pompe fait encore des siennes. La polymérisation ne va pas se faire et l’installation va se boucher.
Appeler le contremaître ou prendre les devants ? Pas de temps à perdre, il faut basculer sur une autre pompe. Sans attendre que le chef arrive, il faut entrer son code et faire la manip pour sauver la production.

Le temps des vacances, le travail se met en repos.
le temps s’écoule sans réunions, sans CODIR, sans COPIL et sans collègues.
Vient le temps de lire, le temps des amis ou de la famille au grand complet, le temps d’autre chose.
Bonnes vacances se dit on avant de partir. Certains choisissent juillet d’autres le mois d’aout, ce qui leur vaut les surnoms de juilletistes et aoutiens. Leur temps des vacances est il à ce point différent ?
Le travail, ils y penseront quelques jours avant de rentrer. A moins qu’ils ne le quittent pas vraiment. Les réunions en visio sont toujours possibles et si le chef appelle, il est difficile de ne pas répondre. Et même parfois ce sont eux qui appelleront le bureau ou l’usine pour savoir si tout va bien. Pendant le temps des vacances, ils deviennent invisibles au travail, aussi la tentation de ne pas se faire oublier peut parfois les surprendre.  Ils oseront peut être un petit mail l’air de rien. Ou encore plus simple, ils s’accorderont une réponse à un mail  facile qui passait par là.
La rentrée approche. Bien bronzé et reposé, il faut songer aux dossiers laissés sur le coin du bureau et se voir partir le matin pour recommencer.

Pour nous contacter, c’est ici.

Quelles tensions entre le travail vécu et celui prescrit par nombre de n+1 mais aussi par des « rationalisateurs ». ?
Quels « bricolages » individuels ou collectifs afin de réduire les écarts insupportables entre travail réel et travail prescrit ?
Quelles « ruses » pour légitimer ces « bricolages » avec par exemple le concours de bénéficiaires du travail réel : citoyens, usagers, collègues, fournisseurs …
Quels rôles  joue le temps dans la réussite ou l’échec, dans la transformation ou le contournement des consignes ?
Que fait le temps fait au travail (le temps contraint, le temps de la maturation, le temps du bon travail, les “charrettes”, le rythme de la stimulation ou celui de la monotonie…)
Les variations du temps : quelles  discontinuités ?
Dans ce bien commun, quels temps collectifs ?
Comment on arrive, ou pas, à surmonter les rétrécissements du temps
Comment aborder le temps long sans tomber dans le “c’était mieux avant” ?
Le temps est-il genré ?


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