Au pays des bisounours ?

Arielle, sage-femme hospitalière

Parole du 8 avril 2020, mise en texte avec Christine, Post Scriptum du 21 avril

A Thiers nous avons cinq-cents naissances par an, alors que la plupart des maternités en font entre deux et trois-mille. Ici, c’est donc particulier. Pour le Covid par exemple, les visites sont interdites, mais la direction du service a décidé que les pères peuvent être là avant, pendant et après la naissance. Dans certaines maternités le père ne peut venir que lorsque le travail est vraiment démarré et doit repartir après la naissance. Chez nous, cette mesure est réservée aux femmes suspectes de Covid. Il n’y en a pas eu pour le moment.

Néanmoins, mardi dernier, une dame a fait de la fièvre pendant son accouchement. Pour une sage-femme c’est très banal, 38° pendant le travail s’il est éprouvant. Mais il a fallu emmener cette dame au bloc pour une césarienne. Là, les collègues ont été très mal reçues et traitées d’irresponsables … Il y a eu un gros clash entre la maternité et le bloc. La dame est revenue du bloc avec toutes les directives Covid. On l’a séparée de son bébé. Et puis on lui a rendu parce que les accouchées Covid ont le droit d’avoir leur bébé. Le lendemain, son test est revenu négatif. 

Dans les hôpitaux il y a souvent un peu de friction entre la maternité et les autres services. N’étant pas un service de pathologie, nous donnons plus de place au bien-être et aux conséquences psycho-affectives. Alors, on nous regarde comme des bisounours, qui ont moins de patients par soignant et ne foutent rien. Rien d’étonnant, les berceaux ne comptent pas dans les statistiques d’occupation des lits des maternités. On ne compte que les mamans. 

Les deux premières semaines du confinement ont été très pénibles. Les protocoles tombaient et changeaient toutes les deux heures. Installer une salle d’accouchement spéciale Covid dans la précipitation. Recommencer parce qu’on ne l’avait pas mise au bon endroit. A chaque relève nous passions une demi-heure sur les procédures. Il fallait aller à la pêche aux informations. Après le clash avec le bloc, j’ai reçu pour la première fois des consignes par mail. On nous dit que les documents sont sur la base documentaire informatique, mais pour moi la transmission orale est essentielle. Je suis toujours en action auprès des patientes. Nous nous disputons les ordinateurs pour rentrer les données de nos examens – il n’y en a pas assez – alors passer en plus du temps devant pour lire les consignes, c’est mission impossible !

La sage-femme de garde est multitâche. En plus des naissances elle s’occupe des consultations en urgences, de répondre au téléphone – beaucoup – d’assister les gynécologues si besoin. Elle a toujours plein de papiers, registres, bons pour des prises de sang, dossiers informatiques, cotations,  tableaux statistiques …. à remplir. Depuis le Covid par exemple, en plus de remplir la déclaration de naissance il lui faut récupérer les cartes d’identité des parents, les photocopier puis les faxer à la mairie. Chaque petite tâche administrative de plus réduit le temps passé en présence avec la patiente. Et il y en a beaucoup. Pour ma part, après une naissance je mets en général deux heures à faire tous les « papiers ».

Pour le moment ma façon personnelle de travailler n’a pas été impactée. Mon grand luxe de sage femme, qui ne suis pas responsable du service mais juste de ma patiente, c’est que lorsque je ferme la porte de la salle de naissance peu importe ce qui se passe derrière. Grâce à la confiance que j’ai obtenue des obstétriciens, c’est moi qui décide ce que j’y fais  et qui j’y fais entrer.  J’ai une façon particulière d’exercer mon métier : le suivi personnalisé. Je suis sage-femme hospitalière mais je ne suis pas intégrée au pool des quinze sages-femmes qui assurent les gardes. 

Deux jours par semaine, j’ai rendez-vous avec les patientes et leurs compagnons. Les couples prennent contact avec moi en début de grossesse et je m’engage à les accompagner le jour de la naissance, donc à être disponible trois semaines avant la date prévue. C’est aussi un engagement personnel fort, par exemple si j’envisage des vacances. Pendant mes dernières vacances, je suis restée à Thiers. J’ai vu deux fois une femme qui stressait. J’ai aussi accompagné une future maman à sa dernière échographie. La gynécologue l’avait inquiétée en lui disant que son bébé était gros et qu’il faudrait peut-être déclencher avant le terme. J’ai préféré y aller, parce que ma présence influe sur le comportement du médecin. Elle me permet aussi d’entendre directement les mots prononcés et éventuellement d’intervenir si je ne suis pas d’accord avec la conduite à tenir proposée … et là tout est dans la diplomatie …

Je commence les séances de préparation à la parentalité dès que le couple le souhaite. Pour certains c’est très tôt. Pour d’autres, c’est à trois, quatre, voire cinq mois de grossesse. Jusqu’à huit mois, nous ne faisons que la préparation. Je propose des séances d’une durée d’une heure trente avec trois temps. D’abord un temps de discussion sur les interrogations ou soucis du moment – qu’ils soient théoriques, psycho-affectifs ou physiques – pour lesquels je cherche avec eux des réponses et des solutions, médicales ou non. Ensuite, un deuxième temps où je propose des exercices physiques inspirés d’ostéopathie pour préparer et soulager le corps. Puis un troisième temps où j’utilise le chant prénatal comme outil de bien être psycho-affectif ou corporel et utilisable le jour de la naissance. 

A partir de huit mois, je prends aussi en charge le suivi médical. Je ne le fais pas avant. Au départ j’ai choisi cette organisation pour pouvoir répondre à davantage de personnes. Si je faisais dès le début de la grossesse ce qu’on appelle un “suivi global”, avec la préparation et le suivi médical, je verrais automatiquement moins de femmes. Je suis limitée par le quota d’heures de mon emploi à mi-temps. A posteriori, c’est bien aussi pour les couples parce que ça nous permet de nous centrer sur autre chose que sur la partie médicale. Une femme m’a dit un jour que ça lui avait fait beaucoup de bien. Elle avait un souci que je ne connaissais pas, donc quand elle venait aux séances on n’en parlait pas. Elle n’était pas vue comme la patiente atteinte de cette pathologie. Elle me l’a dit après. Bien sûr, si des femmes me parlent de leurs soucis médicaux, j’ai les compétences pour répondre à leurs questions, notamment après leurs consultations médicales. Cela arrive souvent car les praticiens manquent de temps pour y répondre, ou ne le prennent pas. Jusqu’à huit mois, les femmes sont donc suivies médicalement par mes collègues hospitalières ou par un praticien libéral, sage femme ou gynécologue. Pour celles qui  sont suivies dans le service, je peux aussi aller voir leurs dossiers. Des collègues viennent éventuellement me voir pour me parler des problèmes de telle ou telle patiente : un diabète gestationnel, une hypertension, un risque d’accouchement prématuré, une pathologie fœtale diagnostiquée… Mais au départ, je ne sais que ce que les femmes me disent. Il y en a qui veulent partager, avec elles je suis au courant de tout. D’autres ne le souhaitent pas. L’informatisation régionale du suivi obstétrical me permet souvent de consulter aussi les dossiers des patientes suivies à l’extérieur. Avec cette organisation, j’accompagne entre quinze et vingt-cinq couples par an. 

Pour le moment c’est encore préservé. Mais j’ai très peur que des directives nationales mal adaptées à notre réalité ne viennent perturber ça. Le directeur est venu en personne nous expliquer des choses, par exemple sur les ASA, les autorisations spéciales d’absence des soignants qui restent chez eux, pour être appelés en cas de besoin. Tous les blocs de gynécologie ont été déprogrammés : hystérectomies, hystérographies, prolapsus … Nous avons suivi les consignes nationales. Il y a des régions où c’est l’horreur. Et des endroits comme chez nous où on l’on a l’impression que ce n’est pas adapté. C’est culpabilisant d’avoir parfois plutôt moins de travail qu’en temps habituel. Bien sûr, les gens ont mieux pris conscience du boulot des soignants. Je suis partagée sur les applaudissements du soir. On est dans le spectacle, dans l’émotion, avec les réseaux sociaux. Moi ce qui m’importe c’est le solide, concret et pérenne pour que les conditions normales soient les bonnes. Par exemple qu’une sage-femme soit dédiée à chaque femme qui accouche, comme en Angleterre. C’est ma pratique mais elle n’est pas partagée.C’est encore pire dans les grands centres. Les femmes sont sous les monitoring, retransmis dans bureau où les internes suivent de loin. Si une femme pousse depuis une demi-heure, Zorro sort les forceps parce que le temps est écoulé. Ils agissent en fonction de ce que leur dit la machine. Je suis encore à l’abri de ça. Je suis à côté de la dame et c’est moi qui décide s’il y a besoin d’aide ou pas.

Parole d’Arielle du 8 avril 2020 mise en texte avec Christine

Post Scriptum

La plupart des mamans apprécie beaucoup l’absence de visites, elles se reposent, l’allaitement et la relation avec bébé s’installent mieux. Certaines comparent positivement avec à une naissance précédente. Le personnel apprécie aussi, surtout de nuit, les bébés pleurent beaucoup moins. Du coup toutes les sages-femmes sont d’accord, il faut en profiter pour instaurer de nouvelles règles pour les visites. Avant le confinement, c’étaient des pleines chambres, des heures durant. Bonne nouvelle : chez nous il n’y a plus de restriction pour la présence du papa, Covid ou pas !

Thiers, le 21 avril 2020

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