“J’ai curieusement l’impression que les bébés comprennent la situation…”

Pauline, puéricultrice dans un CHU

Parole du 12 avril 2020, mise en texte avec Jacques

Je suis infirmière puéricultrice dans le  service de pédiatrie d’un CHU. Après avoir longtemps travaillé de nuit, je travaille de jour. Depuis le début de la crise sanitaire, toutes les interventions chirurgicales non urgentes ayant  été reportées, nous avons un peu moins d’enfants hospitalisés que d’habitude, sans que la situation globale n’ait vraiment changé. Nous avons toujours des enfants avec des pathologies lourdes.

Il n’y a pas eu de cas de Covid dans le service jusqu’ici. Une chambre est dédiée au cas où. Certains collègues sont allés travailler chez les adultes mais ils sont revenus parce qu’il n’y avait pas assez de travail pour eux. Heureusement, ils n’ont pas été  contaminés. Nous savons qu’il y a des cas de Covid dans un autre bâtiment du CHU mais nous n’avons pas de contacts avec eux. Quand nous avons eu des suspicions de Covid , nous avons mis les équipements de protection, ça nous a fait un entraînement, mais il n’y a pas eu d’infection avérée. Quand on en parle entre nous on n’est pas hyper rassurés. L’essentiel de nos discussions entre collègues porte sur la crise, bien entendu, en particulier les difficultés de l’organisation de notre vie à la maison. Le gros sujet des discussions de tous les jours ce sont les dons qui sont faits pour le personnel soignant. Quotidiennement on reçoit des boîtes ou des paniers-repas en dons des entreprises de restauration ou des restaurants nantais.C’est le côté sympa des choses. Ça nous change de notre quotidien.

Côté ambiance, ce qui a changé c’est la distanciation sociale. On ne peut pas faire autrement que d’être plusieurs dans la même pièce. Quand j’arrive à 6h30 c’est calme, mais  à 9h on fait le staff du matin. Tous sont là – les médecins, la cadre du service … – pour parler de tout ce qui s’est passé la veille. Nous portons le masque, mais c’est un peu difficile de ne pas être les uns sur les autres, la pièce est petite. C’est pareil pour les temps de transmission à l’équipe suivante, à 6h30, 13h30 ou à 20h30. Nous avons reçu il y a quelque temps l’autorisation officielle de l’hôpital de porter un masque chirurgical pendant toute la journée de travail. Au début de la crise sanitaire, nous le faisions quand même, pour éviter de nous contaminer entre nous. Nous essayons de garder nos distances autant que nous pouvons. Mais le gros problème ce sont les pauses car n’avons qu’une petite salle pour tout  l’étage, affectée à ceux qui y travaillent : les médecins qui consultent et aussi  les équipes paramédicales. Comme nous sommes une vingtaine à l’étage, nous nous organisons pour ne pas être plus de quatre ou cinq dans cette salle depuis la crise sanitaire, en particulier pour les pauses-repas. 

Le travail quotidien consiste, comme avant, à faire les soins : pose de perfusions, bilans sanguins, pansements. J’ai curieusement l’impression que les bébés comprennent la situation ! Pour les ados, c’est plus compliqué de ne pas avoir les parents avec eux. Je pense à une ado, en particulier, que sa mère ne peut pas visiter parce qu’elle a d’autres enfants à garder chez elle. Elle arrive quand même à communiquer par Messenger. Mais, lors des crises douloureuses, c’est nous qui prenons le relais de la mère. A part le port du  masque en permanence, je fais le même travail qu’avant.  L’ambiance avec les collègues est bonne et n’a pas vraiment changé. La pédiatrie fait partie des spécialités où on a vraiment besoin de se soutenir. Factuellement, je ne passe plus en civil dans le service avant de m’habiller, je vais directement au vestiaire. Nous sommes beaucoup à avoir fait ça. Les relations avec les parents ont aussi évolué. Les parents sont confinés avec les enfants dans les chambres, mais les enfants n’ont droit qu’à un parent par jour. Ils doivent se relayer. Une fois qu’un parent est sorti de l’hôpital, il ne peut pas revenir le même jour. Alors, nous aidons les parents un peu plus que d’habitude, pour les repas par exemple,. Comme nous avons beaucoup de choses reçues de l’extérieur à partager, ça facilite les choses. Ca évite aux parents de sortir pour trouver des provisions. Nous sommes plus attentifs au vécu des parents. Nous aidons plus les enfants. Nos enfants ont de 0 à 18 ans. En ce moment nous avons pas mal de bébés. Les parents sont très présents. Ils respectent les directives. Nous n’avons pas eu de cas de conflits avec eux.

Les gens soutiennent beaucoup les soignants actuellement. Dans mon service, je me sens un peu éloignée de ça puisque nous ne subissons pas vraiment la crise et nous ne prenons pas du tout les mêmes risques que nos collègues qui sont chez les adultes. En plus, notre charge de travail s’est plutôt calmée.

Vis-à-vis de la situation générale  de détérioration de l’hôpital avant la crise, deux exemples : à la fin de l’année dernière, une collègue d’un autre service pédiatrique est venue nous demander des briques de lait écrémé parce qu’il  n’y en avait plus dans son service. Il n’y avait plus de budget … On est dans un service de pédiatrie et on n’a pas de budget pour le lait … Autre exemple : notre service a 18 lits, seulement des chambres seules, et nous n’avons que 2 pèse-personnes. L’un d’eux est tombé en panne en ce début d’année, la cadre de notre service nous a répondu que le budget 2020 était bouclé, qu’il aurait fallu le dire en 2019. 

On se bat depuis des années, c’est bien gentil de nous applaudir aux fenêtres, mais on aurait aimé être soutenus un peu plus tôt. J’étais dans la rue encore au mois de décembre, on n’avait pas l’impression alors que toute la population était derrière nous. J’espère que la crise actuelle va faire réfléchir la population, surtout celle qui n’a pas été confrontée au milieu hospitalier. Je pense que beaucoup ne comprennent pas pourquoi on se bat. J’espère que ça va faire ouvrir les consciences.

Côté hiérarchie, c’était un peu tendu. Certains voulaient partir ou changer de métier, les uns parce qu’ils ne se sentaient pas soutenus par les médecins ou la direction, les autres parce qu’ils avaient fait leur temps à l’hôpital. En fait, une réorganisation du service est prévue et elle nous inquiète. Depuis l’arrivée de la crise, c’est moins tendu en ce moment. On essaie d’être conciliants. La direction a beaucoup de travail. Les  relations se sont améliorées, mais c’est parce qu’on met nos revendications de côté.

Finalement, en parlant de mon travail à l’occasion de cet entretien, je m’aperçois que pas mal de choses ont changé quand même avec cette crise. On a une autre approche avec les enfants, on prend plus de temps. Enfin, c’est mon ressenti d’aujourd’hui. Peut-être que demain ce sera différent.

Avantage de la situation présente: il y a moins de monde sur la route pour aller à l’hôpital. On a l’impression que c’est le weekend tous les jours.

Parole de Pauline du 12 avril 2020 mise en texte avec Jacques

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