Inventer d’autres modalités de restitution et d’évaluation

Sophie, enseignante vacataire à l’Université

Parole du 11 avril 2020, mise en texte avec Christine

J’assure des enseignements en premier cycle de géographie dans une petite université. Avec les étudiants de deuxième année, je suis en charge d’un « atelier de mise en situation ». Je leur apprends à travailler sur un projet d’aménagement en partant d’un cas concret : un projet de restauration qui vise à redonner un cours plus naturel au Rhône. Suite à une visite sur le terrain et la rencontre d’acteurs du projet, ils doivent travailler par groupes, chaque groupe traitant d’un thème : biodiversité, risques d’inondation, débits du fleuve et usages de l’eau, déplacements des sédiments, aménagements pour les loisirs. Cette année les 30 étudiants inscrits se sont répartis en 5 groupes de six.

Juste avant le confinement, je les avais emmenés visiter le site. Dans le cadre de ces ateliers il est prévu que les étudiants travaillent en partie de manière autonome. L’université incite d’ailleurs à l’hybridation pédagogique : il s’agit de réaliser une partie des cours à distance pour favoriser l’autonomie et l’apprentissage. Mon travail d’enseignante consiste alors à organiser, superviser, répondre aux questions, vérifier que les étudiants progressent dans leur travail. Ils ont des recherches à faire sur internet, des documents à analyser, des entretiens à mener auprès d’interlocuteurs que je leur indique.

Tout au début du confinement, j’ai donc continué ce que j’avais prévu de faire avec eux : la première étape était de réfléchir à la maquette d’un poster, futur panneau d’interprétation à installer sur le site visité. Ils avaient à proposer une maquette, la liste des thématiques qu’ils allaient développer et un choix d’illustrations.

En retour je leur ai fait des commentaires, j’ai réorienté leurs recherches. Certains en restaient à des généralités sur le Rhône, en perdant de vue les particularités du site visité. D’autres partaient sur une thématique trouvée au gré d’internet sans doute, sur un aspect concret mais hors sujet : un voulait par exemple traiter des passes à poissons – sujet par ailleurs intéressant – alors qu’aucune n’a été mise en place à proximité du site visité.

Les textes pouvaient être écrits individuellement, mais une réflexion collective et une collaboration étaient nécessaires, au moins pour la maquette. Nous communiquions par mail au fil de leur travail, comme d’habitude. Sauf que d’habitude, on a aussi des séances en présentiel pour des présentations collectives et faire le point, tous ensemble.

Dans certains groupes, ça s’est très bien passé. Mais d’autres ont eu beaucoup de mal à s’organiser entre eux, à mettre en place un travail à distance, puisqu’ils ne pouvaient plus se retrouver ensemble. Jusqu’au moment où j’ai reçu un mail désagréable d’une étudiante qui ne comprenait pas les remarques que j’avais adressées. Je n’avais pas vu la chose venir et ça a été un peu dur pour savoir comment le prendre, comment réagir. J’avais proposé des réunions téléphoniques mais aucun n’avait donné suite. Du coup, j’ai fixé des réunions en visio-conférence pour chaque groupe, afin de les aider à fonctionner. Tous les étudiants ont participé, excepté un absent. Quand nous nous sommes retrouvés en visioconférence, ils étaient contents. Ces séances, de plus d’une heure avec chaque groupe, ont été très fructueuses. J’ai eu des retours sympathiques, les étudiants m’ont remerciée. Même ceux du groupe de l’étudiante qui avait adressé le message désagréable. J’ai compris alors qu’ils avaient besoin de se voir entre eux, et aussi de recevoir mes remarques autrement que par écrit. Avec deux groupes c’est même eux qui ont choisi le logiciel de réunion. Ce n’est pas l’outil que j’utilise moi, alors je leur ai dit “d’accord, mais vous allez devoir me former”. J’ai l’impression depuis que c’est bien reparti avec tous.

Maintenant les choses se sont mises en place, mais ma séance hebdomadaire de trois heures est passée à six, sans compter l’organisation et la préparation. Pour le même salaire de 3 heures de vacataire ! Et alors que j’étais en train de me « démener » avec les étudiants, j’ai reçu un mail de l’administration de l’université, adressé à tous les vacataires pour nous avertir que « les vacataires ne seront pas payés tant que la situation ne sera pas revenue à la normale ». Et un syndicat nous a même avertis que le ministère incitait les universités à ne pas payer du tout les vacataires pendant la période de confinement, au motif que cela ne devrait pas représenter beaucoup d’heures pour eux ! Nous sommes près de cent trente, près du tiers des effectifs je crois. Comme tous les vacataires, j’ai un autre emploi. Je suis urbaniste-paysagiste, sous le statut d’auto entrepreneur. Je trouve des contrats en répondant à des appels d’offres. Mais en ce moment je n’ai aucun contrat et avec le retard dans la mise en place des équipes municipales, je ne sais pas si j’atteindrai cette année le revenu minimum exigé pour signer à nouveau un contrat de vacataire avec l’université.

Quoi qu’il en soit, je me demande si je reprendrai ces cours l’année prochaine. L’absence de coordination d’équipe rend difficile le travail avec les étudiants. Nous sommes en lien avec l’administration et la structure d’appui pédagogique de l’université, mais les enseignants ne travaillent pas ensemble. Par exemple, avec le confinement, ils ont lancé une enquête auprès des étudiants pour savoir qui avait, ou pas, les moyens de travailler à distance. Ce n’est pas rien dans une université qui compte presque deux-tiers d’étudiants boursiers. Lorsqu’ils ont diffusé les résultats aux enseignants, je savais déjà depuis un moment que trois de mes étudiants sont en difficulté pour disposer d’un ordinateur et d’une connexion. De mon côté, j’attends encore la réponse de l’université, à qui j’ai demandé une attestation pour qu’un étudiant puisse aller récupérer son ordinateur chez un réparateur. Cet étudiant a essayé mais il a été contrôlé par la police qui l’a renvoyé chez lui : il n’avait aucun papier prouvant la nécessité de son déplacement. Dans l’immédiat, je lui ai proposé de rédiger à la main son travail et d’envoyer des photos de ses textes aux autres membres de son groupe. Les enseignants, l’administration, chacun essaye de faire au mieux, mais dans le désordre.

Avec les responsables pédagogiques, cela dépend des disciplines. Comme j’ai aussi des étudiants d’un autre cursus dans mon cours, je vois les différences. Dans une discipline, je n’ai pas de nouvelles. Dans l’autre, on me demande régulièrement de rendre des comptes de ce que je fais et de ce que je demande aux étudiants. Et je ne sais pas comment font les autres enseignants.

Depuis le confinement il n’y a bien sûr plus aucun cours en présentiel. Alors au lieu d’avoir trente étudiants en face de moi en même temps, j’ai trente cas individuels à qui je réponds séparément, que j’encourage personnellement. J’essaye de trouver des solutions avec chacun. Ça prend un temps fou. Et maintenant, je vais devoir trouver une solution pour que chaque groupe présente son travail. Les étudiants devaient présenter leur projet à l’oral, à l’ensemble des autres groupes, lors de notre dernière séance, le 30 avril. Car en plus de l’apprentissage du déroulement d’un projet, je tiens à ce qu’ils aient tous acquis des connaissances sur chacune des thématiques abordées, pas seulement celle traitée par leur groupe. Il va falloir aussi trouver des solutions pour l’évaluation. J’avais indiqué les modalités d’évaluation à l’université, avant le début de l’année, parce qu’elles doivent être votées par une commission. Je vais devoir inventer un autre mode de restitution et de notation …

Parole de Sophie du 11 avril 2020 mise en texte avec Christine

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