“Le confinement c’est du pain béni”

Antoine, étudiant en classe préparatoire aux Beaux-arts

Parole du 16 avril 2020, mise en texte avec Jacques

Je suis étudiant en école d’art. Je suis dans une classe prépa qui dépend du ministère de la Culture. D’autres prépas dépendent du ministère de l’Education Nationale et d’autres encore sont privées. La prépa ne dure qu’une petite année car les concours ont lieu en mars, avril, mai. Je prépare les concours de plusieurs écoles des Beaux-arts.  Alors que dans les prépas de l’éducation nationale on passe un seul concours qui permet d’entrer dans plusieurs écoles, moi, je me présente aux écoles des Beaux-arts de Berlin, Bretagne (Rennes, Lorient, Quimper et Brest), Montpellier, Strasbourg, Nice et Cergy-Pontoise. Il faut que je m’inscrive au concours de chacune de ces écoles. 

La prépa est un plus, mais je pourrais très bien me présenter en candidat libre à chacun de ces concours. Habituellement, mes journées d’école commencent vers 8h30 et on a des cours jusqu’à 17h30. Je reste souvent jusqu’à 19h30 pour travailler à l’école. Ma prépa se trouve dans le 5e arrondissement de Lyon, dans un bâtiment qui fut un collège jésuite. Ensuite je rentre chez moi et j’ai du travail à faire le soir. Les cours ont lieu tous les jours du lundi au vendredi. Ma prépa est très scolaire: on a des obligations de présence, des notes. Ca m’a apporté une discipline.  On a des cours de peinture, de volume, de photographie, d’histoire de l’art moderne et antique – donnés par le même professeur – et aussi d’histoire contemporaine, des cours de dessin sur modèle vivant, de design graphique, design d’espace, design d’objets. On a aussi des cours de dessin d’observation: nature morte, portrait, espace… On a beaucoup de matériel à l’école: des ordinateurs, des appareils photos, des spots lumineux, des salles de peinture et une salle de volume avec tous les outils nécessaires à disposition: scies sauteuses, ponceuse, établis, etc. Nos profs sont des artistes, c’est ce qui fait la différence entre les prépas du ministère de la Culture et les prépas du ministère de l’Education nationale où ce sont des agrégés qui font les cours. Ma prof de peinture, elle, vend ses tableaux, fait des expositions dans des galeries. En fait, dans ce genre de prépa, on a beaucoup plus de pratique et on a déjà un pied dans ce milieu. Nos profs savent nous parler de la réalité de leur métier, c’est ce qui m’a attiré. 

Mon projet est donc d’intégrer un cursus en école des Beaux-arts, qui dure 5 ans. En fait, je pourrai à tout moment choisir de faire les années supplémentaires dans une autre école. Pour ce qui me concerne, j’aimerais bien intégrer l’École de Berlin. J’aime beaucoup ce pays et cette ville. J’y suis allé plusieurs fois et j’ai vécu un an et demi en Allemagne. J’aimerais bien avoir la double vision française et allemande. Je pourrais aussi revenir en France compléter mes études pour avoir cette double vision. Je ne sais pas encore.

Je viens de passer deux concours il y a une semaine. Pendant le confinement, chaque école a réussi  à mettre au point des processus pour sauver son concours. Tous les élèves de la prépa avaient peur que ça se passe par Skype, par entretien, et qu’on ait ce seul moyen de montrer nos travaux. Mais les écoles ont été beaucoup plus intelligentes. Skype, quelquefois, ça ne marche pas et on ne choisit pas son  arrière-plan… on est chez soi.  En fait le concours s’organise normalement ainsi: une épreuve théorique, genre dissertation ou commentaire d’oeuvre d’art, et une épreuve plastique qui dure environ 3h, avec seulement une feuille A3 et des matériaux qui sèchent vite. Le thème de l’épreuve : réaliser une oeuvre à partir d’une image que l’on doit s’approprier ou détourner, ou faire une interprétation plastique à partir d’une citation ou d’une œuvre. Si on a des bonnes notes aux épreuves théorique et plastique, on est sélectionné pour passer un oral devant un jury: 15 minutes pour  présenter ses travaux. Dans certaines écoles tout se passe sur un seul jour. 

Avec le confinement, bien entendu, ça a changé. A Montpellier, on nous a dit: vous allez recevoir à telle heure le sujet par mail vous avez jusqu’à telle heure pour le réaliser, et on veut que, sur Google Drive, vous mettiez une photo de votre épreuve plastique, avec une explication de dix lignes maximum. Pour l’épreuve théorique, ça a été pareil: on nous a dit vous recevrez le sujet à telle heure en pdf et vous nous renverrez  un pdf sur Google Drive à  telle heure. Mais chaque école a sa méthode. Ce qui change vraiment pour nous c’est de ne pas nous rendre sur place pour voir l’ambiance de la ville et surtout ce qui nous attend si nous sommes pris dans l’école. Cergy-Pontoise, Montpellier ou Rennes, je n’y ai jamais mis les pieds. On passe des concours mais on ne connait même pas les villes où on risque de séjourner cinq ans, c’est un peu absurde. Je vais continuer à passer les concours des autres écoles dans les semaines qui viennent. 

Ce qui ce qui est intéressant avec le confinement, c’est qu’il y a de nouvelles méthodes à mettre en œuvre. Par exemple, pour Montpellier, j’ai dû faire une vidéo. Donc, actuellement, quand je ne suis pas en cours à distance, j’ai des choses à faire pour préparer les épreuves des concours. Finalement je pensais avoir une vie plus détendue et en fait je travaille tout le temps. La pression est quand même moindre puisqu’on n’est pas obligé de suivre les cours toute la journée. En fait, côté prépa, on a des cours d’histoire de l’art par Skype ou des rendez-vous individuels avec des profs, par Skype également, c’est plus cool que de suivre les cours tous les jours. Mais la pression est là parce que je joue toute mon année en fait. Pour certaines écoles, il faut préparer des portfolios, c’est très long à faire et il faut qu’ils soient bien remplis. Il faut apprendre à parler de son travail, prendre en photo, archiver, documenter, mettre en page, faire des notes d’intention. J’ai six concours à préparer et c’est très lourd.

 Au début du confinement on a eu très peur parce qu’on ne savait pas où on allait. Même notre directeur, qui a des responsabilités dans certains organismes nationaux, ne savait rien. Maintenant on a une bonne vision des concours. En ce qui concerne les concours que je passe, je ne sais pas vraiment quel est le taux de réussite. En général, les promotions dans ces écoles sont de soixante – quatre-vingt, mais je ne sais pas combien il y a de candidats. 

De nombreux cours sont actuellement remplacés par des rendez-vous personnalisés avec les profs. Il suffit de s’inscrire pour avoir un entretien avec eux par Skype. En fait ils nous conseillent sur les concours qu’on est en train de passer. On leur montre nos travaux et ils nous disent ce qu’ils en pensent: on est dans un rapport de conseil avec eux. De ce point de vue le confinement pour nous c’est du pain béni. Ca nous permet d’avoir à disposition des gens extrêmement qualifiés. Ca m’a sauvé la mise pour un concours. La vidéo que j’avais préparée n’allait pas du tout et le prof m’a aidé à corriger le tir. 

En fait, le confinement, bien entendu, c’est une contrainte. Mais ça nous pousse à  être créatifs. Par exemple, jamais je ne me serais lancé dans la vidéo si je n’avais pas été obligé de présenter quelque chose pour le concours de Cergy. Le confinement ça aura été une période où je me serai épanoui. Ce n’est pas marrant tous les jours mais je m’éclate. 

Je n’ai plus trop de contact avec mes collègues étudiants. C’est vraiment avec les profs que j’ai gardé les contacts. Pourtant, il y a un très bon esprit de coopération dans la prépa. Par rapport à ce qui se joue actuellement, les artistes doivent avoir un temps d’avance. Dans les gens qui inventeront le monde de demain il y aura des artistes.

Parole d’Antoine du 16 avril 2020 mise en texte avec Jacques

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