Le matin ça fait bizarre de ne plus se serrer la main

Hamza, technicien en signalisation tramway

Parole du 10 avril 2020, mise en texte avec Martine

Personne ne sait vraiment ce que je fais, c’est difficile à expliquer. Quand je dis technicien en signalisation tramway, ça ne parle pas. C’est quoi ?  Les panneaux ?  Les feux ? Même pour moi, avant, il y avait forcément quelques personnes dans un bureau quelque part qui regardaient comment ça se passait. Quand j’ai fini mon travail et que je vais acheter une baguette avant de rentrer, on me demande ce que je fais comme boulot parce que je suis encore en tenue de travail, je leur dis que je travaille dans les transports en commun et ça ne surprend personne que l’on travaille encore.

Le technicien signalisation travaille sur les voies

La signalisation tramway c’est sur les voies. On fait en sorte que le tramway puisse circuler en sécurité tous les jours. Je travaille sur les rails, les signaux, les équipements qui s’appellent des CDV, les Circuits De Voie qui nous permettent de savoir que le tramway est dans telle ou telle zone.

On travaille avec le Grand Lyon. Il y a des zones où nos signaux sont coordonnés avec ceux de la route, surtout sur la ligne T3, sur les IB, les Intersections Barrièrées : les passages à niveau. Logiquement si nos signaux sur les IB sont en panne, ça veut dire que les voitures ne savent pas que le tramway arrive : le feu ne passe pas au rouge clignotant et la barrière reste levée. Mais ça dépend de la panne, la barrière peut très bien se baisser avec un feu qui ne fonctionne pas ou inversement. Dans ce cas, il y a une remontée grâce à un automate qui enregistre tout ce qui se passe. Le PC qui gère l’exploitation va nous appeler directement. Il va appeler aussi les chauffeurs de tramway qui vont ralentir et rouler à vue, à 15 km/h maximum. 

Dans notre équipe, il y a le chef, deux personnes qui le secondent, deux supports techniques sur les grosses pannes, un expert en signalisation tramway qui gère surtout les gros chantiers et douze techniciens de base comme moi.

On n’a pas de zone attribuée, on est toujours en binôme, tout le temps, c’est une règle de sécurité. On travaille en 3X8, de 5h30 à 13h, de 13h à 20h30 et un poste de nuit de 22h à 5h30. Il y a aussi un poste de journée 8h30 à 16h. Il arrive qu’on soit quatre le matin et l’après-midi mais la nuit on peut monter jusqu’à 6 ou 8 pour couvrir une plus grande zone. On est un service plutôt bien organisé. A chaque prise de poste, on a un « Point cinq minutes » géré par un encadrant pour faire le point sur nos tâches et nous avons aussi un groupe WhatsApp propre aux techniciens.

Quand il n’y a pas de panne, nous faisons de la maintenance préventive, on fait le tour de tous les signaux, zone par zone. Pour certains organes c’est juste un contrôle visuel, d’autres nécessitent plus de travail, on les graisse et les règle au besoin. Tous les aiguillages ont besoin d’entretien annuel. Quand on ne fait pas de maintenance, on travaille sur des « fils rouges », chaque technicien effectue une tâche pour développer le service. L’année dernière, j’ai conçu et fabriqué des sortes de cales en acier pour qu’on ne se fasse pas écraser les doigts, l’aiguillage exerçant 120 bars de pression. Ou encore un gabarit de perçage pour faire passer les câbles au bon endroit dans les boîtes de raccordement électriques. On les utilise tous les jours. Je suis un peu l’homme qui conçoit des choses dans mon service. Mais dès qu’il y a une panne, on lâche ce qu’on est en train de faire pour intervenir rapidement. 

La maintenance se fait parfois la nuit car les tramways sont à l’arrêt. Quand les travaux se font en journée, les chauffeurs de tramway sont au courant, ils passent à vitesse réduite. Le plus grand danger sont les pistes cyclables et les intersections barrièrées. Un jour, une voiture avait fauché un poteau. Il fallait le remettre en place tout de suite parce que c’était un poteau sécuritaire. Quand on est arrivés, les automobilistes commençaient à s’exciter, c’était l’heure de pointe, on les empêchait de passer. C’est souvent que les véhicules nous frôlent, ils ne font pas gaffe, ils écrasent parfois nos plots de sécurité. Mine de rien, on a un travail qui est dangereux. C’est à nous de faire attention. Ce jour-là, J’ai posé les outils, je me suis mis en sécurité avec mon collègue et avec nos talkies-walkies on a appelé le PC sécurité qui a appelé la police. Même si c’était primordial de réparer, ça aurait été encore pire si l’un de nous s’était fait faucher, si on s’était énervé avec un automobiliste. Ça n’aurait pas fait avancer la chose, on a préféré tout arrêter.  

Depuis le Covid 19 j’ai ressenti un sentiment un petit peu étrange. Entre nous, ça allait. Mais c’est l’ambiance générale morbide. Cette maladie-là, personnellement et comme d’autres personnes de mon équipe, on ne l’a pas prise au sérieux tout de suite, c’était loin, ça ne nous arriverait pas. Petit à petit, c’est arrivé, et puis d’un coup la direction a mis les points sur les i, du coup, ça faisait bizarre d’arriver le matin et de ne plus se serrer la main. Ensuite on a appris la nouvelle comme tout le monde. Confinement. A ce moment-là, on s’est dit c’est vraiment sérieux. Et de se prendre cette grande claque, ça n’a pas du tout mis des tensions mais ça a créé un climat pas serein. Puis ça s’est calmé, parce qu’on s’est un peu habitués, on est une bonne équipe, donc, on arrive à dédramatiser mais ce n’était pas agréable de venir travailler.

Les tramways ont continué à rouler, les techniciens ont continué à intervenir

Pas grand-chose n’a changé, on continue le dépannage en intervention, c’est ce qu’il y a de plus important. Le travail reste le même sauf que maintenant on doit avoir une distance d’un mètre cinquante entre chaque équipier et qu’on ne peut plus faire certaines tâches comme la maintenance des aiguillages, car il est impossible de respecter cette distance. Donc on prend du retard, on le rattrapera plus tard, ce n’est pas gênant. 

On doit prendre deux véhicules au lieu d’un, c’est ce qu’il y a de plus pénible dans mon travail, aujourd’hui, ça le rend extrêmement triste. On roule énormément entre 150 et 200 kilomètres par jour, juste sur Lyon. On désinfecte le véhicule avant de monter dedans, on a tout ce qu’il faut, des lingettes, des sprays, des gants, on est vraiment équipés pour. On désinfecte même le clavier et la souris de l’ordinateur dans le bureau, le téléphone, le talkie-walkie, on désinfecte tout. On n’a pas de masque parce que, de toute façon, c’est la pénurie pour tout le monde. Ils ont mis à notre disposition des petites fioles rechargeables de gel hydroalcoolique dans les véhicules. 

Notre responsable nous a demandé ce qu’on voulait faire au sujet de la nouvelle organisation du travail, si on voulait être en chômage partiel. Il nous a donné ses idées. J’ai eu d’autres chefs dans d’autres boîtes où c’était « C’est comme ça et point ! », même si c’était une décision qui était complètement aberrante. Le tramway continue à fonctionner, les policiers, les personnels hospitaliers continuent à aller travailler. C’est une nécessité. Du coup, mon chef a proposé que tout le monde passe en chômage partiel et que ça tourne, que ce ne soit pas les mêmes qui risquent de choper cette maladie. Les personnes à risque pouvaient se mettre en arrêt, ma femme est enceinte, je n’étais pas serein ! Aujourd’hui on n’est plus que 6 à travailler. Et les 6 autres sont en chômage partiel. Le nombre de tramway est réduit de 45% et la fréquentation a diminué de 90%. Il y a certains jours je ne comprends pas pourquoi je suis allé bosser, il y a moins d’exploitation, donc moins de pannes. On avait soumis l’idée d’être en astreinte, qu’il y ait deux binômes de journée, deux binômes de nuit qui rentrent avec un véhicule de service et qui ne viennent travailler que s’il y a une panne. Pour nous, ça fonctionne parce qu’on fait déjà des systèmes d’astreinte en temps normal et au moins, on respectait le confinement. Mais ça été refusé par la direction. On ne l’a pas mal pris, mais franchement, on n’a pas compris ! C’est de l’incompréhension, pas de la colère. C’est plus compliqué de faire comme on fait aujourd’hui que d’avoir un système d’astreinte. C’est le seul point négatif que je dirai sur la gestion du problème. Keolis nous a imposé 5 jours de RTT, la loi dit 10 et ensuite on sera en chômage partiel. 

Des fois j’ai l’impression qu’on va faire des choses pour les faire, histoire de nous occuper. Quitte à ne rien faire, je préfère rester chez moi. C’est surtout ce qu’on a ressenti les premières semaines, après on a pris notre rythme. On remplit nos journées, maintenant, heureusement. Mais les premières semaines, c’était vraiment, vraiment calme ! On ne savait pas où on allait, on n’avait pas la tête à travailler, c’était lourd, un peu comme l’ambiance générale. 

Parole d’Hamza du 10 avril 2020 mise en texte avec Martine

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