Pour garder des liens nous avons créé une chaîne YouTube et nous avons fait des vidéos toute simples

Aurélie, professeur des écoles en maternelle

Parole du 6 juillet, mise en texte avec François

Portrait d’Aurélie par une de ses élèves

Professeur des écoles depuis janvier 2006 et après différents postes dans Paris, depuis sept ans, j’ai une classe associant 24 « petits et grands » dans une école située dans le nord de Paris près de la Porte d’Aubervilliers. C’est une école polyvalente : maternelle et élémentaire ; une école où il y a énormément de projets et notamment entre collègues de maternelle. Nous sommes quatre : trois femmes et un homme. Nous échangeons beaucoup, nous sommes de la même génération et depuis plusieurs années en poste dans cette école.

Mon petit garçon a six ans et demi et est en CP dans une école près de notre domicile. Mon compagnon est responsable de production dans une boîte d’informatique ; il fait des horaires à rallonge. Pendant le confinement, il était en télétravail de 9 heures à 19 heures, s’arrêtait juste pour le déjeuner. Cela a été un peu compliqué, il ne fallait pas faire de bruit car il était presque tout le temps en visioconférence avec son équipe. Or, je devais aussi m’occuper de notre fils, l’aider dans ses leçons et lui proposer des activités.

J’ai appris le confinement comme tout le monde, le jeudi soir, le 12, avec l’annonce de la fermeture des écoles dès le vendredi. Le vendredi, cela été le branle-bas de combat, on a emporté un maximum de documents chez nous car nous avions compris que l’on ne serait pas en situation d’y revenir facilement. Durant le week-end, j’ai préparé des dossiers pour les « grands ». Le lundi 16 mars, je suis retournée à l’école, j’ai imprimé les dossiers et appelé les parents pour leur dire que je les avais déposés dans une école proche de la nôtre. Cela nous a sauvés, elle était ouverte car elle accueillait  des enfants de soignants. Ce petit dossier d’activités d’une dizaine de pages, c’était pour que la première semaine les élèves aient quelque chose à faire avec leurs parents. Avec mes collègues, nous ne savions pas combien de temps le confinement allait durer, on partait sur des périodes de quinze jours sans doute reconductibles. 

Avec mes collègues, on a créé une chaîne YouTube pour réaliser des petites vidéos pour nos élèves, pour avoir un lien et ne pas laisser les enfants et leurs familles dans la difficulté car certains parents ont des problèmes pour lire les consignes. C’est le mari d’une collègue qui a créé la chaîne et nous, chacun de notre côté et tout au long des semaines de confinement, on a fait des vidéos toute simples. Dans les premières, nous lisions une histoire, on a fait ensuite des vidéos de « dessin guidé ». Les enfants font le dessin à partir de nos paroles, puis on leur demande de montrer le résultat. J’ai réalisé une vidéo pour les inviter à faire des plantations. Une autre, qui était en province avec un jardin, montrait régulièrement l’évolution de ses fleurs. Mon collègue homme qui fait de la musique et gère la chorale chantait des chansons afin que les enfants puissent les reprendre avec leurs parents. On s’est aperçu que ces petites vidéos étaient très regardées. Sur You tube, il y a un compteur et certaines ont été regardé plus de trois cent fois … sachant que les quatre classes de maternelle ne rassemblent que 95 élèves. Les histoires étaient réécoutées, de même pour les « dessins guidés » que les enfants recommençaient. Donc, on avait ainsi des retours qui nous permettaient de voir quelles vidéos plaisaient plus particulièrement. Les parents nous écrivaient des mails, ils nous disaient combien les enfants aimaient voir leur maître ou leur maîtresse mais aussi les autres enseignants, ceux qu’ils voient tous les jours lors des récréations. Pour les enfants, les voir cela a été super bien vécu. Cela, c’est la première chose que l’on a mise en place, c’était la plus facile. 

Ensuite, comme je fais partie de groupes d’enseignants sur Face book, j’ai entendu parler d’un outil : le Padlet. Sur cet outil qui est comme un tableau à plusieurs colonnes, on donne un titre à chaque colonne, puis on a juste à remplir des cases avec toute sortes de documents soit que l’on crée, soit que l’on trouve sur Internet. 

En deux heures, ce Padlet peut être super complet. J’en ai parlé à mes collègues et on est partis sur un Padlet collectif qui regrouperait pour les parents toutes sortes d’activités extra-scolaires : sport à la maison, de l’art, toutes les chansons de la chorale… On envoyait alors le lien aux parents, mais comme nous sommes dans un quartier assez défavorisé, on a des parents qui n’ont jamais répondu. Moi, j’ai dans ma classe deux familles qui n’ont répondu qu’une seule fois,  au message où je demandais une photo pour faire une photo de classe. Là, j’ai reçu deux photos de l’enfant mais sans informations supplémentaires. L’une des collègues, elle, téléphonait aux parents mais certains donnaient des adresses mails qui n’existaient pas et cela trois fois de suite. Aussi, à la troisième fois, elle a envoyé un mail au directeur pour lui dire que certains ne répondaient pas au téléphone ou qu’ils donnaient des emails faux. Les autres, au contraire, ont toujours répondu, ils ont joué globalement le jeu. 

J’ai joint les parents trois fois durant le confinement, trois fois car cela prend énormément de temps. Il y a des parents très bavards, et moi aussi car j’étais contente de pouvoir leur parler. Certains me racontaient leur vie et pas seulement leur travail. Puis, on est parti sur le Padlet à thème car on avait commencé une séquence sur les animaux et donc on l’a continuée sur le Padlet en démarrant avec des rubriques sur les reptiles. Puis on a continué avec un projet bâti sur une histoire. On a débuté avec « La chenille qui fait des trous », et on y a associé des tas d’activités, des chansons, des dessins, du bricolage… En parallèle, toutes les semaines avec mes collègues, nous réalisions un dossier pour chaque classe avec une dizaine de pages qu’on envoyait par mail. Trois parents souhaitaient avoir le dossier « papier » car ils n’avaient pas d’imprimante. Notre directeur, toujours en service dans l’école restée ouverte, les imprimait et les déposait à l’accueil. 

« Au bout de trois semaines, j’ai réuni toutes les photos »

Nous demandions des photos pour savoir ce que faisaient les enfants et mes collègues ont eu l’idée d’utiliser ces photos pour réaliser un journal de classe et qu’ainsi les enfants puissent se voir. J’ai trouvé l’idée super et j’ai fait la même chose. Au bout de trois semaines, j’ai réuni toutes les photos, les ai mises sur Powerpoint, j’ai fait un film et je l’ai envoyé à tous les familles. Les premières semaines, je n’avais les photos que de quelques élèves mais ensuite comme les enfants voyaient leurs copains, j’en ai eu de plus en plus. Très rapidement, on s’est mis à lancer des défis, pas seulement par classe mais des défis entre classes. On avait un peu prévu entre les trois écoles du quartier de participer à l’opération « La grande lessive » qui est un projet mondial, tous les ans à une date décrétée et avec un thème proposé. Dans les quartiers, il y a des fils à linge qui sont tendus et on affiche les activités réalisées. Cette année, ce n’était pas possible du fait du confinement, mais l’association qui organise cette opération a proposé de fleurir les fenêtres. Nous y avons participé ; on a récupéré toutes les productions des collègues et on les a réunies sous forme d’un film que l’on a envoyé à tous les élèves. Comme nous sommes trois à avoir des enfants, ceux-ci y ont participé. Nos élèves de l’école les connaissent car nous les y amenons parfois. Chaque semaine nous avons eu un défi. Le premier, c’était sur le printemps, puis le poisson d’avril, puis reproduire un tableau célèbre, puis faire du sport dans son appartement … tout cela pour garder un lien entre nous tous. 

La dernière chose que j’ai mise en place, après les vacances de Pâques, c’est la classe virtuelle via le site du CNED. D’abord, uniquement avec mes « grande section » car avec les « petits » cela me semblait très compliqué. La première fois, j’avais fait des groupes de cinq à six … sauf que ça a planté, ils n’étaient pas là en même temps, c’était chaotique ! Du coup, j’ai poursuivi avec uniquement deux enfants. Donc toutes les vingt minutes, j’avais deux enfants en ligne. J’avais demandé de respecter les horaires et cela avec deux enfants du même niveau pour leur proposer des activités à leur portée. J’ai fait cela deux fois par semaine et ça a très bien marché, ils étaient quasiment toujours là et presque toujours à l’heure. Quand ils voyaient que je n’avais pas fini, ils coupaient le micro, la vidéo pour ne pas gêner leurs camarades… Je les ai félicités pour cela. J’ai fait surtout de la phonologie, c’est super important car en septembre ils vont entrer en CP. Je projetais des petits dessins sur lesquels ils pouvaient écrire, interagir… Cela a été tout un tâtonnement et pour moi et pour eux. Certains n’étaient pas sur ordinateur mais sur tablette, parfois même c’était sur téléphone portable ; ils me disaient « Maîtresse, on ne voit pas très bien ! » Les parents étaient là au début de la séquence puis ils disaient « Bon, je te laisse avec la maîtresse comme quand tu es en classe », mais il y avait aussi d’autres parents qui étaient derrière et qui soufflaient. Je ne me sentais pas légitime de leur dire « Non, merci, ne soufflez pas ! », je disais seulement : « Laissez le faire » mais certains continuaient car ils étaient totalement dans : « Je veux que mon enfant sache lire ». Donc, au bout de deux ou trois fois, je ne disais plus rien mais je savais que ce n’étais pas l’enfant qui répondait. Ce que j’ai trouvé super, c’est que tous les parents aient accepté cela car en fait je rentrais dans leur intimité. Je voyais parfois un grand frère ou une grande sœur ou un bébé qui faisait « coucou » et de mon côté c’était pareil, mon fils venait voir. Cela ne m’a pas gênée car cela montrait que l’on était tous dans la même situation. Quand j’ai repris à l’école deux jours par semaine, j’ai dû arrêter la classe virtuelle et cela les parents l’ont très bien compris. Avec les « petits » cela a été très compliqué, j’ai essayé des petits jeux mais après deux fois j’ai arrêté : ils étaient contents de se voir, de parler, de me montrer leurs peluches … puis je les ai retrouvés à l’école avec la fin du confinement. 

Compte tenu de ce que l’on a vécu, nous allons en septembre demander à chaque famille son adresse email pour que, quoiqu’il arrive, on entretienne des liens. Par ailleurs, nous avons découvert le Padlet, c’est très intuitif, facile à mettre en place et cela contribuera à avoir des liens avec les parents. Ainsi, ils pourront lire les textes des chansons car parfois ils nous disent « Il chante, mais je ne comprends rien ! ». Ce lien, il est réalisé habituellement par le cahier d’activités mais parfois celui-ci demeure oublié un mois et demi à la maison… Donc, nous allons adopter le Padlet pour les années à venir. 

Le plus dur, c’est de préparer des choses et de pas avoir de retour, on a fait du travail à l’aveugle alors qu’en classe le retour c’est immédiat. Du coup, quand nous avons dû remplir les évaluations nous étions perplexes : Evaluer ce que l’on a proposé mais sur la base de quoi ? Des travaux qu’on avait pu voir ? Mais cela défavorisait ceux qui ne nous avaient rien envoyé. Dur aussi, le fait de passer beaucoup de temps à écrire des mails. Dans certains quartiers favorisés, des enseignants se sont contentés d’envoyer le lundi un cahier et puis plus rien dans la semaine. Durant ces semaines, nous ne nous sommes pas sentis soutenus par l’inspection académique qui nous disait simplement : « Faites au mieux » ce qui était une manière de nous reconnaître comme de bons petits soldats. Cela voulait dire « Continuez ! ». C’est ce que nous avons fait car nous ne travaillons pas pour nous mais pour les enfants.

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