“ Le bois c’est besogneux, c’est dur, c’est lourd ” 

Thierry, tabletier en bois rares – Salers août 2022

Propos recueillis et mis en texte par Roxane – avril  2023

Thierry devant ses oeuvres

Mon métier porte le nom exact de tabletier. La tabletterie, comme la marqueterie sont des branches de l’ébénisterie. Tabletier c’est fabriquer de petits objets en matière dure, ivoire, corne, bois précieux, bois dur, ébène… Dans l’Antiquité les tabletiers fabriquaient des tablettes à écrire. C’était des petites plaques d’argile, de bois ou de métal, enduites d’une légère couche de cire sur lesquelles on écrivait. Puis avec le temps les tabletiers ont fabriqué, entre autres, les damiers, les échiquiers et sculpté leurs petites pièces dans le bois. J’avais 19 ans, en 1979, quand avec mes trois copains, nous ramassions dans les torrents des Alpes, des bois flottés.

On les travaillait à l’ancienne, sans tronçonneuse, on évidait des troncs aux ciseaux à bois avec un gros passe-partout. Ce sont des énormes scies qu’on ne peut manipuler qu’à deux… On taillait des couvercles, on clouait des charnières en cuir, on polissait et on obtenait des boîtes, des coffrets en forme de bûche que l’on vendait, très facilement sur les marchés, 300 francs, quelque chose comme ça ! Petit à petit, chacun a fait son chemin dans la sculpture du bois, moi dans mon atelier en Côte d’or, un autre en Guyane. En allant rendre visite à cet ami, j’ai découvert des bois durs dont le bois d’amourette, un des plus chers du monde. Cest un acacia mimosa extrêmement dense qui pompe l’acidité du sol. Sa dureté est supérieure à celle de l’ébène. C’est un miracle de la nature ! On en fait le bois d’archets pour la musique baroque. J’ai rencontré d’autres bois, des bois sacrés du pays zoulou en Afrique du Sud, l’ivoire rose, l’ébène, la palissandre, le cocobolo, le bois de rose, ce dernier très utilisé au XVIII°s. en marqueterie. Voilà des noms de bois exotiques que j’aime ! C’est parce qu’ils ont tous des qualités extraordinaires, qu’on en fait des clarinettes, des guitares acoustiques, les harpes. En ce moment je travaille des souches d’olivier, de genévrier, de noyer. J’aime particulièrement les bois un peu durs, avec des nœuds. Certains ont été coupés il y a une cinquantaine d’années. Ça les durcit. J’ai développé une technique de ponçage et finition adaptée aux bois durs, très confidentielle, particulière, peu connue, qui vient des maîtres pipiers de Saint-Claude, ceux qui travaillent la tendre racine de bruyère,  et avec qui j’ai suivi une sorte de formation. Après le polissage, je peaufine avec une cire végétale exempte de tout produit chimique, la cire de carnauba, issue des feuilles d’un palmier brésilien. C’est un agent brillant qu’on étale sur le bois poli très finement. Elle est aussi utilisée en pharmacologie pour enrober les cachets, ou dans les chewing-gums.

Je fabrique des objets qui tournent autour de l’écriture. Et oui, je suis tabletier ! Je fais des plumes à pointes de verre pour écrire ou dessiner avec lesquelles, on peut écrire une page entière, avec une seule touche dans un liquide. Je crée des portes boucles d’oreilles, toutes sortes de boîtes, des ouvre-lettres, des coupelles…Je touche aussi à la décoration avec mes luminaires et je compose des tableaux avec des bois divers. 

« Je bidouille » comme un bon artisan que je crois être ! Toutes mes pièces sont uniques, et ne se différencient que par des micros détails. 

Mon atelier en Côte d’Or, attenant à ma maison, est occupé par des machines à bois  traditionnelles, comme des scies  à rubans, dégauchisseuses, raboteuses circulaires et ponceuses particulières, adaptées aux systèmes de ponçage que j’ai mis au point. La boutique en centre ville de Dijon est plutôt le domaine de mon épouse qui est aussi créatrice. 

J’ai donc au moins deux lieux de vie, la Côte d’Or et Salers. Je me suis toujours senti saltimbanque.  Je suis arrivé à Salers en 1999. C’est un bel endroit. Après différents épisodes, Raymonde, une autochtone, m’a proposé un local, au rez-de-chaussée de sa maison dans une rue du village. Le loyer était beaucoup plus cher que celui des locaux que j’avais précédemment occupés. En revanche, je pouvais ouvrir toute l’année. « J’ai dit oui. » Et j’y ai installé ma boutique. Pour amortir les frais, j’ai ouvert de Pâques à la Toussaint, une saison entière de 6 mois ! Mais tous les 21 jours je redescends en Côte d’Or une semaine, pour fabriquer et alimenter ainsi mon stock. Je trouve des remplaçants pour ma boutique. Puis, j’ai acheté la maison de Raymonde et André, au-dessus du magasin. C’était en 2011 et maintenant que j’ai fini de la payer, je la restaure, ne serait-ce que pour honorer ces deux personnes du Cantal authentique, mortes brutalement et qui étaient devenues mes amis. J’ai fait de plus en plus connaissance avec les commerçants de Salers, avec qui, je fais des balades, des petites fêtes le soir. Cela nous détend. Travailler dans un endroit touristique est très agréable. Les gens sont en vacances et nous en face on travaille, mais dans une ambiance conviviale ! 

 Dans ma boutique « Au bois d’Amourette », je fais du dépôt-vente pour les copains. Ma capacité de production et mes autres lieux de vente à Dijon et dans d’autres villages touristiques, en Ardèche ou ailleurs, ne me permettent pas de remplir mes 50 m² à Salers. Parce que j’ai toujours voulu offrir du choix d’objets artisanaux, j’expose les créations d’une dizaine d’artisans différents, tous affiliés aux Ateliers d’Art de France, label qui garantit un savoir-faire professionnel certain. Cela me demande de la rigueur sur la gestion des stocks et la connaissance fine de chaque produit, afin de mieux en parler à la clientèle. J’impose cependant une règle du jeu : ceux qui exposent vendent au même prix que dans leur propre boutique ou leur atelier et ils me donnent un petit pourcentage pour participer aux frais inhérents à la boutique : assurance, papier cadeau, électricité…

Je vends des choses que je n’aime pas forcément, mais j’en connais l’authenticité et j’apprécie la valeur des personnes qui les fabriquent. Depuis 22 ans, le métier de vendeur s’est construit au fil du temps. 70% de mes clients sont des fidèles qui s’intéressent à l’artistique, au cœur et à la passion. La vente se fait un peu toute seule. J’ai remarqué aussi que vendre soulageait mes articulations. L’atelier c’est passionnant, c’est ce que je préfère, mais il demande une performance physique. Le bois c’est besogneux c’est dur, c’est lourd, il faut des scies pour le couper, des masques, un casque, c’est physique. Je soulève des souches de plus de 100 kilos, que je manipule, que je coupe à la tronçonneuse. Mais le bois m’a parlé très tôt. J’ai eu besoin de m’affronter à du difficile dans ma vie pour évoluer. 

Le premier attachement à mon travail c’est vraiment l’indépendance. Je n’ai jamais été salarié, j’ai toujours aimé bouger, être nomade, avoir plusieurs lieux de vie. J’ai travaillé au Sénégal, en Guyane, je connais bien le Maroc. Parmi mes activités diverses, il m’arrive de faire la restauration des statues d’église, par exemple des bâtons de procession. Ce qui me passionne c’est de redonner vie, de re-sculpter, re-peindre des pièces en bois abîmées. Je le fais de manière non lucrative. J’ai toujours lutté un peu contre la routine. Changer fait partie de mon tempérament. Edith, Mon épouse n’est pas comme ça. Entre nous, ça marche dans la complémentarité. 

Thierry


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