Propos recueillis et mis en texte par Roxane avril 2023

Quarante ans de chine sur les trottoirs et vingt-cinq à mon compte ! Dès le XIX°S. on parlait du métier de biffin, c’était ceux qui fouillaient dans les poubelles avec un crochet. Des chiffonniers. Puis on est passé à brocanteur. Lui il chine sur le trottoir, il va dans les maisons, sur les vide-greniers … Chiner c’est l’art de dénicher, quelque chose que personne n’a vu, qui a échappé aux regards scrutateurs. Chiner, c’est croire que l’on va trouver quelque chose d’incroyable. Quand j’étais jeune, j’étais passionné par le matériel de pêche. Et mon Graal fut de trouver, chez un ferrailleur, par hasard, dans un phare de DS, un moulinet de pêche exceptionnel. Celui-là même, que le plus gros collectionneur et écrivain de Paris, venu sur les lieux, n’avait même pas vu. Je l’ai acheté dix francs, ce n’était rien ! Chiner c’est aussi répondre aux appels pour expertiser une maison, en cas de succession. Chiner c’est découvrir des univers.
Je me souviens d’une ferme, que je devais vider, habitée depuis longtemps, par une famille de six enfants. Au moment de faire la facture, je vois une vessie de vache suspendue, qui dégouline. Je questionne et on me dit qu’elle contient du poison pour les taupes. Elle pendait au-dessus de la table ! On voyait encore ça dans nos campagnes ! Je me souviens d’une maison perdue dans la montagne, où toute la toiture tenait sur une poutre posée sur une armoire. Il ne fallait surtout pas ouvrir l’armoire ! On a descendu les meubles dans une brouette, à travers les prés, il n’y avait ni chemin, ni route. Je me souviens d’une armoire ancienne, toute sculptée, dans laquelle la mamie rangeait ses fromages de chèvre depuis cinquante ans. J’ai restauré cette armoire entièrement. Nous avons voulu la garder, mais un monsieur est passé, il a mis le prix ! À ce jour, Il nous remercie, chaque fois qu’il nous voit ! Brocanteur c’est aussi un découvreur d’histoires de vie !
Avant d’acheter j’anticipe le travail de restauration. Moi qui ai une formation d’ajusteur-tourneur, j’ai appris, l’ébénisterie, la menuiserie, la ferronnerie en autodidacte. J’ai tous les outils d’époque que j’ai récupérés chez des chaudronniers, forgerons ou menuisiers. Je n’ai pas de grosses machines, je suis pour la restauration traditionnelle à la main. La première chose à faire dans un meuble, bien souvent, ce sont les pieds, qui sont souvent mangés par l’humidité. Je les refais, je remplace les bouts manquants, ou je reconstitue les corniches des armoires… Parmi les objets que je chine il y a ceux que j’ai envie de garder, et ceux avec lesquels je vais gagner ma vie. Quand je travaille sur un meuble, je le fais comme pour moi. J’y passe beaucoup de temps, et en fin de compte, je suis payé peu cher. Mais c’est mon plaisir ! Je veux que le client soit content et qu’il revienne me voir. J’ai chez moi- j’habite un vieux moulin- 2000 m ² de meubles et objets anciens, ainsi que des bois que j’ai accumulés, qui pour les plus anciens datent XVI°. Chaque type de bois est destiné à tel modèle, telle époque. C’est la richesse de mon atelier, j’ai toujours le bois qu’il faut pour restaurer le meuble comme il se doit. Dans beaucoup de cas, devant un objet que je déniche, je fais des recherches sur l’histoire de l’objet. Combien de pages de livres ai-je tournées dans ma vie, pour savoir en parler aux clients, avec précision et justesse ! J’aime l’objet, même si je ne sais pas ce que c’est. Peut-être, est-ce cela qui me fait l’aimer ! Il me fait cogiter. À quoi sert-il ? Qui l’a fabriqué ? Quand ? Me vient à l’idée, cet outil du XIX° en métal, muni d’un axe articulé, en fer, en forme d’équerre. J’ai découvert des photos, dans des livres qui montraient comment on l’utilisait. J’ai une grande mémoire photographique, on dit comme ça dans ce métier. On le coinçait dans la mâchoire, sur la dent malade, on tirait d’un coup sec, ça faisait levier et on l’arrachait. On peut penser qu’il emportait des bouts de mâchoire ! C’est la clé de Garengeot, qu’on trouvait souvent dans les trousses de médecins militaires.
Quand je vends un objet que j’ai aimé, si je n’ai pas trop de peine c’est que j’en ai trouvé un autre plus causant. Un objet, il faut que ça vous parle. Alors, quand on en trouve un qui discute encore plus que le précédent… Quand je le revends, c’est souvent à un connaisseur. « Alors, on parle profond ensemble.» Je sais d’autant mieux raconter l’histoire, quand j’ai devant moi un passionné. C’est du plaisir partagé. Il m’est arrivé de privilégier quelqu’un à la vente. Pour peu qu’il soit connaisseur, qu’il reconnaisse mon travail de restauration, qu’il ne reste pas bloqué sur un prix et qu’il ne prononce pas le sempiternel : « C’est cher !»
Mes clients sont de tout milieu. Ils viennent de toutes régions de France, certains s’installent dans le Cantal en achetant de vieilles demeures. Ils se font plaisir avec du mobilier ancien. C’est une mine pour moi. Il y a peu, un monsieur, dont je tairai le nom, est passé : “Christian as-tu préparé mon banc de cantou ? “ me demande-t-il. Ça fait huit ans que je lui dis qu’il ne sera jamais prêt, parce qu’il est impossible à retaper. «Par contre, la semaine dernière j’ai eu un banc du XVII° » lui répondis-je. «Je te le prends » dit-il, sans parler de prix, ni l’avoir vu.
Je vends surtout des grands meubles, genre table de ferme, armoire, bancs de cantou et il nous faut de la surface pour les présenter. Depuis deux 2 ans, après bien d’autres lieux, nous avons enfin trouvé, à Salers une boutique bien placée avec terrasse. L’été, chaque matin et soir on déballe, on remballe pour y installer les objets qui attirent les clients. C’est beaucoup de manutention et beaucoup de choses lourdes. Le brocanteur c’est aussi un déménageur. Le bonhomme, il a mal au dos mais il a la niaque ! C’est dans la tête que ce métier se passe. Chaque matin, je me dis : « N’ai-je rien oublié ?” “Qu’ai-je promis au client qui est passé hier, en zappant sa randonnée au Puy Mary ?» Il est venu me demander la plume d’un ancien porte-plume, qu’il a perdue. Alors quand le lendemain, je lui ai présenté deux cents plumes pour 1€, il m’a fait la bise, heureux qu’il était. J’ai espéré qu’il n’avait pas le Covid ! La boutique, ça n’a jamais été mon fort je préfère vendre sur le trottoir. J’ai l’habitude de dire en souriant :« J’ préfère être sur le trottoir, pas pour le tapin mais pour chiffrer sur mon calepin !»
Après plusieurs années de ras- le-bol de mon métier d’ajusteur- tourneur, j’ai tout lâché, pour la brocante. Avec mon copain Gégé, en région parisienne, on a été biffins pour accumuler les ferrailles et le cuivre. Puis, petit à petit, on s’est aperçu qu’on gagnait quand même beaucoup plus d’argent en vendant des objets plutôt que de la matière ! Alors je me suis lancé dans la brocante, sans un sou en poche. J’ai pris la carte, je me suis déclaré, en me disant “si, certains y arrivent… Pourquoi pas moi ?” C’était il y a 25 ans. Arrivés ici, avec ma femme, nous avons commencé à sillonner le Cantal. Sur trois jours, nous faisions 350 km, dans tous les points de décharge publique. On va dire que c’était plus ou moins autorisé. Là, vraiment, nous avons eu une vie magique. Nous partions, le matin sans un sou et revenions le soir avec des objets de valeur. C’était juste le plaisir de faire les poubelles !
Après avoir fait les marchés, on a eu une boutique à Saint-Martin-Valmeroux, pendant plus de 20 ans, sur un bord de nationale. L’endroit rêvé, bien en vue, là où tout le monde est obligé de s’arrêter même s’il n’est pas animé par la brocante. On a perdu cette boutique. Le maire, par népotisme, nous l’a ravie. Alors on est venus à Salers. Les brocanteurs apparaissent souvent comme des intrus. Les gens ont des représentations péjoratives, du métier, faites par la télé et par l’historique même du métier de biffin, ceux qui fouillaient dans les poubelles. Aujourd’hui je me sens accepté, ma passion et ma persévérance m’ont permis de me faire une place dans le métier.
Je crois que je suis heureux. Même si mes os et mes muscles le sont moins, ma tête, elle, est toujours prête à aller chercher des choses pour les acquérir.
Christian
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