Une note de lecture proposée par Serge, où l’on retrouve les questions de l’invisibilité du travail réel pour l’organisation et de la vanité de la gouvernance par les nombres. Questions qui traversent le récit de Virginie, agent d’accueil dans une CPAM, le « terrain » de recherche de l’autrice du livre.

Développée sous l’instigation du philosophe Yves Schwartz, la démarche ergologique se fonde sur un dialogue et une confrontation heuristique entre des savoirs hétérogènes mais néanmoins commensurables : des savoirs « institués » (académiques) d’un côté ; des savoirs d’expérience, « investis » dans les situations de travail de l’autre. L’évaluation dite ergologique au cœur de cet ouvrage se réfère à cette démarche pour montrer ce qui dans l’activité de travailleurs au sein d’une Caisse d’Allocations Familiales est irréductible aux objectifs chiffrés et aux critères de la commande publique. C’est sur ce terrain institutionnel que l’autrice a mené une recherche doctorale dont cet ouvrage est le prolongement. Cette évaluation qualitative se veut complémentaire des évaluations quantitatives ayant cours habituellement dans les organisations de travail.
Evaluer signifie ici accompagner « l’émergence des points de vue sur le travail » à partir d’une méthodologie visant à : « produire des savoirs sur le travail avec les protagonistes du travail ». Cette méthodologie s’incarne dans les « Groupes de Rencontres du Travail » (GRT) dont l’ouvrage détaille les modalités d’intervention.
Ce qui échappe à la calculabilité et à la conformisation est en quelque sorte l’angle mort d’une logique de l’évaluation qui procède du contrôle et de la mise en conformité. Or nous savons depuis les premiers travaux des ergonomes de langue française que travailler c’est toujours s’écarter de normes prescrites ; y compris s’agissant d’activités laissant a priori peu de place à l’initiative et à l’improvisation. Cet invariant fondateur des « ergodisciplines » est encore plus patent dans le champ du travail social où les « renormalisations » sont consubstantielles aux interventions des professionnels en direction des usagers. Aussi, les débats de valeurs et de normes produisent nécessairement des controverses professionnelles qui témoignent de la pluralité des pratiques et des positions dans l’organigramme. Les GRT qu’anime l’intervenant vise à faire vivre ces débats afin d’amener chacun des protagonistes à exposer son travail pour mieux explorer les valeurs et les savoirs qu’il recèle puis pour confronter son point de vue à celui de ses collègues et de sa hiérarchie dans la perspective de l’améliorer.
Ecouter et faire le récit de ce qu’ont à dire les protagonistes des activités industrieuses c’est ce qui a présidé à la naissance de la Compagnie Pouquoi se lever le matin ! La mise en mots des histoires de travail fait quelquefois apparaitre les débats de normes et de valeurs dont les activités sont le creuset même si ces narrations ne sont pas assimilables à des pratiques évaluatives. Loin de produire du savoir sur le travail comme le permettent les GRT, les compagnons cherchent d’abord à faire connaitre et à médiatiser le travail vivant qu’aucun modèle d’évaluation ne pourra jamais totalement rendre visible.
Serge JAMGOTCHIAN
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