Cécile, créatrice de fleurs en porcelaine froide – Salers août 2023
Propos recueillis et mis en texte par Roxane mars 2023
Cécile fabrique ses fleurs
J’habite et je vis à Salers depuis 2019. C’est un pur hasard. Quand j’ai voulu partir des Landes, suite à une erreur de casting relationnel, j’ai voulu revenir en Corrèze au plus près de la montagne. Ma fille, elle a 17 ans, étant revenue de chez son papa, j’avais repéré un lycée pas mal à Mauriac et lors de ma demande de HLM, une dame avec qui je suis restée longtemps au téléphone m’a dit : « J’ai quelque chose qui va être parfait pour vous, votre fille et votre gros chien… à Salers » J’ai dit oui tout de suite, sans visiter. Quinze jours après, j’étais là… dans ma cave, sans fenêtre. La plupart des boutiques de Salers sont les pas de porte d’anciennes boutiques des maisons renaissance, qui ouvrent sur la rue. J’allais la transformer en atelier boutique où aujourd’hui, je fabrique, expose et vends mes fleurs et bijoux en porcelaine froide.
Jean-Paul, agent consignataire au port de Saint-Nazaire
Parole mise en récit par François et Pierre
Le site portuaire de Saint-Nazaire – Montoir – Donges
La société d’agents consignataires au port de Saint-Nazaire travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ça ne s’arrête jamais. Un soir où j’étais d’astreinte, je reçois un appel. Il est 23 heures, je suis tout seul à la maison, devant mon petit écran. Le commandant d’un navire en attente sur rade a un problème. En raison du gros temps, le bâtiment au mouillage a tiré sur sa chaîne. L’ancre est accrochée au fond. L’équipage a les plus grandes difficultés à la relever. Il ne pourra donc pas monter au terminal à l’heure prévue pour décharger sa cargaison. Mon rôle d’agent consignataire, en tant qu’interlocuteur du bateau et de l’affréteur, est alors d’appeler la capitainerie du port pour signaler le problème. À partir de là, l’information est répercutée auprès des services qui s’occupent des opérations d’accostage et de la rotation des navires, afin que les répercussions de ce contretemps soient gérées au mieux.
Dans les interactions, qui privilégie-t-on dans le travail à distance ?
… Cet état de choc qui caractérise les premiers temps est général car très peu de collectifs ont été préparés à une telle situation. C’est néanmoins le cas d’une grande entreprise où, assez paradoxalement, le télétravail n’avait pas les faveurs de la direction :
« Ce que j’ai apprécié c’est que dans notre département on a compris assez tôt que, comme cela allait mal en Italie, nous serions aussi touchés. Nos équipes informatiques ont commencé à faire des tests dès fin février. Elles nous ont demandé d’être tous connectés à 21 heures 30 pendant une heure trente de connexion, depuis nos domiciles. Cette heure tardive à Paris permettait d’être en lien avec nos collègues d’Outre atlantique et avec ceux en poste en Extrême-Orient. Là, nous avons constaté quelques problèmes de bande passante, des ralentissements ici ou là… C’était un peu compliqué. Nos équipes ont analysé cela, fait en sorte que chacun dispose bien d’un ordinateur et ont refait un test. Cette fois cela a super bien marché, image et son. » Bilie, assistante dans un grand groupe
Devant le siège de l’usine de Montoir, le « SO-30P Bretagne », un moyen courrier de 1947
Quand je suis entré dans la vie active, j’ai travaillé ici ou là dans le domaine de la chaudronnerie, du tournage, du fraisage. Un jour, je rencontre quelqu’un qui me dit : « Tiens, ils cherchent du monde à l’Aérospatiale ». Je ne savais même pas qu’il y avait cette entreprise dans la région de Saint-Nazaire – Montoir. Lorsque, venant de la Mayenne, j’étais arrivé dans la région en 1989 pour suivre mes parents du côté de Pontchâteau, on ne parlait que des Chantiers : « – Tu travailles où ? – Je travaille aux Chantiers de l’Atlantique… » À l’époque, il y avait plus de 10 000 personnes employées là-bas. L’image de la région, c’était celle des paquebots. En fait, j’ai été embauché à l’aérospatiale, dans l’usine de Montoir. Là, j’ai d’abord travaillé sur la zone des panneaux sous voilures avant d’être affecté à la fabrication de la « case de train » du programme Airbus A330. Cette « case » est l’endroit où les roues de l’avion viennent se loger après le décollage. Puis, j’ai passé quelques années sur la ligne d’assemblage du fuselage de l’A300. À la longue, j’ai eu des problèmes de dos et je me suis retrouvé dans un service adapté. J’ai alors repris des études et j’ai décroché un diplôme qui, parmi les 563 métiers répertoriés chez Airbus, m’a permis d’en choisir un qui soit compatible avec mes soucis de santé. Je suis donc maintenant technicien aéronautique – un « col blanc » – chargé de remédier aux défauts de montage et d’améliorer le process sur le programme des A350.
Propos recueillis par Roxane et mis en texte par Dominique, février 2023
Karine à son établi
Je fais des bijoux en argent et j’ai une boutique à Salers pour la saison d’été, dans une grange ancienne, superbement rénovée. C’est un très bel endroit, un peu caché, dans une ruelle qui aboutit à des escaliers. Le sol est pavé de petits cailloux polis, des pierres volcaniques et du basalte, qui sont assemblés en calade, c’est-à-dire sur la tranche sur une couche de chaux. C’est la deuxième année que nous y sommes installés avec Hubert mon conjoint, également artisan bijoutier, avec qui j’ai monté notre atelier suite à notre reconversion professionnelle il y a 4 ans.
Une avalanche de nouveaux récits de travail, un événement avec le livre « le travail à l’épreuve de la crise sanitaire », un peu de poésie et nos lectures-visionnages du mois
La solitude de la dessinatrice de presse indépendante
Claire, graphiste et dessinatrice de presse nous a confié le récit de son travail . Elle nous a aussi confié sa vision du télétravail au féminin. Retrouvez-la sur son site. Il y est question de travail, dans les dessins qu’elle a réalisés pour des organisations syndicales comme la CGT, Sud ou la Confédération paysanne, pour des ONG comme Amnesty, Emmaüs, et bien des organisations dont vous pourrez aussi, à cette occasion, découvrir les activités militantes, notamment autour des enjeux de l’alimentation. Sans oublier le livre « La raison des plus forts – chroniques du procès France Télécom » paru aux Éditions de l’Atelier en 2020, dont Claire a abondamment illustré les audiences.
Du jour au lendemain, en mars 2020, le confinement plonge des millions de personnes dans le télétravail. L’espace familial se transforme en bureau, les repères temporels se brouillent, la maîtrise des outils numériques devient quasi indispensable pour assurer ses activités. L’hôpital public, les institutions d’enseignement, les entreprises de service, les commerces, … sont sommés de s’adapter alors que la crise sanitaire, faute d’explications claires, sidère chacun par sa brutalité.
Au travers de plus de cinquante récits de travail, que François et les autres membres de « La compagnie. Pourquoi se lever le matin ! » ont recueilli auprès d’un vaste échantillon, François analyse les innovations qui ont émergé, les nouvelles formes de relations socioprofessionnelles qui se sont nouées mais aussi les valeurs mobilisées pour redonner du sens au travail.
Parole d’octobre 2022, recueillie par Pierre, mise en récit par Christine
Devant la gare SNCF
« Tu vois, c’est la dame qui m’emmenait à l’école quand j’étais petit » : c’est ce que j’ai entendu dernièrement dans la bouche d’un jeune homme qui montait dans mon bus avec son fils. Depuis trente ans que j’exerce ce métier, je fais un peu partie des murs. Il y a même des usagers qui m’appellent par mon prénom, surtout depuis la grève de 2004. Il faut dire que j’étais en première ligne pendant le conflit, qui a été très médiatisé. Des journalistes nous ont raconté que leur rédaction, comme lors de toutes les grèves, leur demandait d’interroger des usagers mécontents de notre arrêt de travail. Mais ils n’en trouvaient pas à Saint-Nazaire. C’était impressionnant de voir à quel point l’opinion publique était avec nous.
Propos recueillis et mis en texte avec Roxane – février 2023
Maryline et ses créations
Pascal, mon compagnon, a décrit comment nous sommes arrivés à Salers. J’ai envie d’en dire aussi quelques mots. Nous étions harassés, lassés des nombreuses expositions, pour vendre nos pièces. Nous avions besoin de nous sentir bien dans un environnement, d’avoir pignon sur rue et fidéliser ainsi une clientèle. Nous avons trouvé une boutique à Salers cette année-là. Dans un premier temps, nous y avons campé, entre le petit atelier de démonstration, l’espace d’exposition de nos produits et l’espace cuisine et commodités. On avait de l’eau chaude ! Le soir, on poussait nos pièces, nos créations, pour ouvrir le canapé-lit. C’était vraiment très dur de rester dans cette boutique jour et nuit au milieu de nos pièces, quand bien même les avait-on créées et aimées. On ne souhaitait pas trop investir, puisqu’on ne savait pas non plus où on mettait les pieds. Au bout d’une saison on a su : on avait bien vendu. Alors nous avons saisi des opportunités et nous nous sommes installés dans une petite maison à côté du magasin. Comme cela les deux vies travail et profession étaient bien différenciées.
Pascal, souffleur de verre au chalumeau – Salers, août 2022
Propos recueillis et mis en texte par Roxane – janvier 2023
Pascal et ses créations
Il y a de cela neuf ans, en balade dans le Cantal, nous nous sommes arrêtés à Salers. Là, un artisan travaillant la corne m’a suggéré de prendre une boutique dans ce village touristique. Intéressé, je l’ai cherchée et trouvée facilement. Avec Marilyne ma compagne, on s’y est installé sans trop prévoir d’y rester. J’ai tout de suite apporté mon petit matériel et je me suis mis à travailler dur pour avoir suffisamment de stock à vendre et combler les espaces, garnir les rayonnages. J’essayais de produire en même temps que je vendais. Je mangeais dans une petite cuisine aménagée au fond avec un petit coin toilette, je dormais sur un canapé que je déployais chaque soir. C’est dire la petite vie de saltimbanque !
Aurélie, guide-conférencière à « Saint-Nazaire Renversante »
Parole de février 2023, mise en récit par Pierre
Le car de « Saint-Nazaire Renversante » devant le terminal des conteneurs, vu du terminal roulier – Photo Farid Makhlouf
Les deux choses que je trouve fascinantes et que j’aimerais vraiment transmettre quand je fais visiter les Chantiers de l’Atlantique, c’est d’abord le rapport d’échelle entre l’objet monumental qu’est un paquebot et la main humaine de celui qui le construit ; puis tout le travail de planification que demande la fabrication de tels navires. J’aime conduire les visiteurs au pied de ces choses colossales et uniques pour qu’ils les voient en train de se faire. La première partie de la visite des Chantiers se passe dans un autocar qui emmène les passagers, entre le port et l’estuaire de la Loire, à travers les 120 hectares de l’entreprise. Ils aperçoivent à travers les vitres les différents ateliers. Ils longent les espaces où sont entreposés à ciel ouvert les morceaux de puzzles en acier destinés à être assemblés en « panneaux » puis en « blocs » qui sont autant de parties plus ou moins complètes des futurs bateaux. Puis les visiteurs sont bientôt invités à mettre pied à terre pour entrer à l’intérieur de la forme de montage.
Propos recueillis et mis en texte par Roxane – mars 2023
La boutique de Salers
Chaque été, nous nous installons à Salers jusqu’à fin septembre, et depuis 25 ans, vers la fin juillet, je laisse la boutique à S. mon épouse pour aller à Souvigny. Je suis un grand fidèle de la foire de Souvigny, pas seulement pour le business mais surtout pour l’ambiance.
Propos recueillis et mis en textes par Roxane, mars 2023
L’atelier
Je m’appelle S., maroquinière, je travaille avec mon mari Jean-Paul maroquinier, il m’a appris son métier. Quand je me lève le matin vers 7h 30, ma première préoccupation, après la douche, est de nourrir mes cinq chats. Ensuite je monte à l’atelier au second étage. J’y vais en chausson ! C’est dire combien mon travail s’entremêle avec mon quotidien. Je consulte notre liste de fabrication pour voir son adéquation avec notre stock et avec notre répartition des tâches. C’est souvent mon mari, Jean-Paul, qui va à la presse, c’est toujours lui qui a le rôle de découpe, et moi plutôt celui de la diminution d’épaisseur du cuir avec la refendeuse.
Un atelier d’écriture autour de métiers hautement improbables et incontrôlables
À partir de « L’astiqueur de flaques d’eau »
L’astiqueur de flaques d’eau et autres métiers incongrus. D’Anne Kovalevsky, conteuse lyonnaise, illustré par Gaël Dod, Croix-Roussienne, autrement dit originaire de la colline de la Croix-Rousse, à Lyon. Jacques André Éditeur – 2008
Pris dans l’engrenage du quotidien, vous n’osez rêver à un autre métier, une autre activité ? Gardien de nuages, Effeuilleur de marguerite, ou Berceur de marmotte sont des professions hautement poétiques. Si l’on entre dans le monde de ces deux enthousiastes conseillères d’orientation plutôt originales, tous ces métiers, rarement rémunérateurs, sont accessibles à condition d’une bonne endurance physique, de capacité à la rêverie ou d’une solide formation. Bien sûr, ils ne sont pas très connus des patrons du CAC 40 ni des journalistes des Échos, ils méritent pourtant d’être popularisés auprès des élèves de 3ème ou même de Terminale. D’ailleurs, pour les personnes intéressée un catalogue des centres de formation figure à la fin du fascicule. Ce livre m’a inspiré un charmant atelier d’écriture. Chaque mois, entre trois et sept personnes se retrouvent à Grigny, non loin du Rhône, dans l’arrière-salle d’un petit café joliment intitulé L’heure du Goût-Thé. Après avoir lu quelques extraits du livre, nous avons cherché ensemble d’autres métiers tout aussi poétiques. Nous avons trouvé : Éducateur de Doudous, Arpenteur de rues en impasse, Verdoyeur de nature, Polisseur de galet, Contrôleur de râleurs et même Gardien de mouche !
Retrouvez, sur le site de Claire, le portfolio de ses dessins . Vous y serez accueillis par son brocoli arborant fièrement un coquelicot. Eh oui, « nous voulons des coquelicots! ». Il sera question de travail dans les dessins réalisés pour des organisations syndicales comme la CGT, Sud ou la Confédération paysanne, pour des ONG comme Amnesty, Emmaüs, et bien des organisations dont vous pourrez aussi, à cette occasion, découvrir les activités militantes, notamment autour des enjeux de l’alimentation. Sans oublier le livre « La raison des plus forts – chroniques du procès France Télécom » paru aux Éditions de l’Atelier en 2020, dont Claire a abondamment illustré les audiences.
» Souvent, le dimanche, les jours fériés ou le soir à 22h30, elles montent des maquettes syndicales sur les droits des salariés à la Caisse d’épargne ou chez les fonctionnaires, et elles ont envie de pleurer. »
Je suis graphiste, maquettiste et dessinatrice de presse indépendante depuis 27 ans. Ça veut dire que j’ai connu le métier aux tous débuts d’Internet, du temps où les correcteurs et les rédacteurs en chef prenaient le RER pour se déplacer chez toi le jour du bouclage et que tu pouvais leur offrir un café et leur donner ton avis sur les articles du journal, mais ça, c’est de la vieille histoire. Entre les années 2000 et 2020, les travailleurs indépendants se regroupaient dans des bureaux partagés pour mettre en commun les frais de chauffage, d’Internet, d’imprimante couleur et de papier-cul. On pouvait faire de joyeuses mises en commun de professions précaires : illustrateurs, typographes, photographes, correcteurs, webmasters, éditeurs, réalisateurs, monteurs, iconographes, journalistes, militants associatifs… Parfois on avait même une salle de réunion !
Jean, vendeur de savons artisanaux à Salers – août 2022
Propos recueillis par Roxane et mis en texte par Christine – février 2023
La boutique de savons, dans une ancienne cuisine d’un hôtel du XVII° s à Salers
Je suis arrivé à Salers grâce aux Artisans que j’ai côtoyés pendant près de dix ans alors que je fabriquais des vêtements de création, avec ma compagne de l’époque. Nous les vendions dans des salons de métiers d’art et dans des expos artisanales. J’ai alors connu de multiples artisans de création, dont des savonniers. En 2000, alors que je me séparais de ma compagne, j’ai décidé qu’il fallait que je reste dans l’artisanat, c’était un milieu qui me plaisait bien. J’ai alors pensé à revendre des savons. J’ai donc pris du stock auprès des maîtres savonniers fabricants dont on m’avait donné l’adresse, pour les vendre dans des expos artisanales, ou des foires, qui ne duraient jamais plus de deux jours. Faire des expos régulièrement est un travail harassant du fait des déménagements de matériels et de stocks et ce à tous vents.
Un ouvrage co-écrit par Philippe Zawieja, co auteur en 2015 du Dictionnaire des risques psychosociaux, et Jean Francois Marmion, avec en plus les dessins de Mademoiselle Caroline. Un choix éditorial original pour transmettre de la connaissance sur un sujet complexe. La forme de BD rend la lecture fluide et claire. L’objectif de pédagogie est atteint et c’est important sur un sujet sur lequel chacun peut avoir un avis. Le lecteur suit Lucie, Théo et Anne pour explorer ce qu’est le burn out, forme ainsi dénommée d’épuisement professionnel. Quels en sont les symptômes ? Quelle en est l’origine ? Quelle part établir entre des notions proches mais à ne pas confondre comme le harcèlement ou le stress ? Au-delà de la définition indispensable du contour de cette notion, l’ouvrage évoque les modalités de diagnostic et de soin, sans omettre de signaler les solutions fausses ou limitées. Voilà un ouvrage sérieux qui aborde avec discernement un des maux du travail, pour apprendre à le repérer chez les autres et à s’en sortir sans pensée magique.
Tribune publiée par les Ateliers Travail & Démocratie
Nous l’écrivions le 8 mars dans ce billet : « paroles de femmes sur leur travail et sa pénibilité » : la réforme des retraites cristallise une crise du travail et de sa subordination. Alors que nous sortions à peine d’une crise sanitaire qui a probablement semé des graines exigeant de la reconnaissance, du sens et de l’autonomie dans le travail. Aujourd’hui, l’exécutif annonce vouloir s’attaquer à la question du travail. Acceptera-t-il le débat politique ? Les Ateliers Travail & Démocratie ouvrent des pistes dans la tribune qu’ils viennent de publier et que nous reproduisons intégralement ci-dessous.
Une lecture de l’ouvrage par François, des échos picorés par Christine dans les récits que nous avons publiés
La pandémie qui se déclare aux premiers jours de 2020 a-t-elle conduit à des modifications radicales de nos existences et plus particulièrement des conditions de travail de millions de salariés ? Nombre d’études ont été consacrées aux personnels des hôpitaux publics qui ont été largement soutenus notamment lors du premier confinement (mars – mai 2020). Eloges des pouvoirs publics et applaudissements chaque soir à vingt heures exprimaient tout à la fois notre admiration pour leur engagement mais aussi l’espoir de voir ces équipes vaincre un mal terrifiant. De même, les effets du télétravail contraint ont été largement documentés tant dans leurs dimensions professionnelles que familiales.
Fanny, créatrice de bijoux macramé – Salers août 2022
Les créations de Fanny
Propos recueillis et mis en texte par Roxane – mars 2023
Quand je me suis installée créatrice de bijoux, je vendais sur les marchés, dans des salons d’artisanat, un peu partout en France. En 2010 je crois, dans le Cantal, j’ai rencontré, notamment, Céline une potière et qui m’a proposé d’intégrer la Fabrik à Aurillac, une boutique collective d’artisans. J’y ai exposé mes bijoux en macramé, en dépôt-vente, en tant qu’invitée. Je ne tenais pas de permanence. C’était tranquille ! Au bout de quatre ans, l’équipe m’a dit “ Les invités normalement restent trois mois. On te propose d’intégrer la boutique en tant que permanente ou il faudra laisser ta place à d’autres invités….”
Patrice, ajusteur chez MAN-Energy Solutions, constructeur de moteurs diésel géants
Parole d’octobre 2022, recueillie et mise en récit par Pierre
Les établissements MAN, dans l’enchevêtrement des usines du site industriel
Je suis un «casseur d’angles». C’est comme ça que notre ancien patron, à son époque, appelait ceux qui, comme moi aujourd’hui, ébavuraient les bielles dans les ateliers de l’usine MAN-ES de Saint-Nazaire. Lorsqu’elles sortent de fabrication, ces pièces de moteur diésel ont des angles vifs. Il faut les effacer. Depuis que je suis arrivé dans l’usine comme ajusteur, il y a 20 ans, la technique n’a pas changé. Je me sers toujours de la lime comme j’ai appris à le faire à l’école. Il faut sentir la matière. Je passe un coup et j’enlève peut-être deux millimètres d’acier… En deux ou trois coups de lime, c’est vite fait. Certains utilisent la meule équipée d’une lime-aiguille en carbure. Mais je n’aime pas ça…
Véronique, Artiste graveur & aquarelliste – Salers août 2022
Propos recueillis par Roxane et mis en texte par François – février 2023
Véronique au travail
Après avoir vécu en région parisienne, je me suis installée depuis deux ans à Besse, une commune distante de dix kilomètres de Salers. Cela fait une trentaine d’années que je viens dans le Cantal chaque été et aux congés de Toussaint. Comme mon mari est auvergnat, cela facilite les contacts. J’ai mon atelier juste à côté de la maison. Il est assez grand et comme il est à l’étage, je bénéficie d’une belle vue et de beaucoup de lumière qui perce par de vastes baies vitrées. Mes matinées débutent par une petite séance de yoga. Cela m’aide à me mettre en forme, à me décontracter. Après, je me rends dans mon atelier pour organiser ma journée en fonction des différentes activités à venir. Si la journée va être consacrée à des tirages, je commence par préparer une table qui sert à chauffer les plaques de cuivre. Quant à l’encre, il faut la manipuler pour l’attendrir. Mais j’ai aussi des journées consacrées à la préparation d’une exposition et d’autres durant lesquelles je vais stimuler ma créativité.
Les artisans de Salers, travail & territoire à Saint-Nazaire, les inédits de « l’urgence c’est de vivre » : 17 nouveaux récits de travail ; à lire aussi « Mécano », roman
Le métier d’artisan d’art, choix initial ou reconversion, exercé en solo ou en couple, à la limite entre artisan et artiste … c’est tout un parcours
Karine est céramiste plasticienne « Je pourrais dire que je suis passée de l’art à l’artisanat. Mais cela serait réducteur. Je n’ai pas abandonné l’art car, à part quelques séries, mes créations sont uniques. (…) Pour une partie de mes créations, j’utilise une vaste gamme de matériaux : c’est mon côté artiste plasticienne. Certains sont récupérés dans la nature tels des bois flottés, des bouts de fer rouillés, des boites en fer blanc, des fouets ménagers, des théières hors d’usage, des clous… (…) Leur usure, leur patine sont la marque du temps et je discerne un vécu, une histoire, une époque. Outre leurs formes, j’apprécie tout particulièrement les objets qui ont conservé un peu de leurs couleurs, surtout quand elles sont vives. Par expérience, je sais qu’ils vont m’offrir plus de chance d’aboutir à une création qui va me satisfaire. Ainsi, je donne une nouvelle vie à des objets abandonnés, des objets qui ne servent plus. » Lire le récit de Karine
Jennifer est couturière. « … Je n’avais jamais travaillé dans des collectifs d’artisans, ni dans une boutique, d’ailleurs. À Lille, où j’étais tapissière à mon compte, j’allais chez les gens pour refaire leurs sièges. (…) ce matin-là, j’ai décidé de faire des trousses pour lesquelles j’avais auparavant dessiné les patrons. J’assemble toutes mes pièces en cousant et l’objet prend vie. Je le stocke alors avec mes autres créations : des accessoires, trousses, coussins, porte-monnaie, serre-tête, bandeaux pour les cheveux et des produits réutilisables en coton : des lingettes en tissu lavable, des petits sacs pique-nique. Mon idée c’est d’éviter de jeter. (…) Vendre ne me dérange pas, à la base j’ai un diplôme commercial et j’aime le contact avec les gens. » Lire le récit de Jennifer
Fanny crée et fabrique dans son atelier des jouets en bois, qu’elle vend, l’été, dans la boutique de la Petite Fabrik, à Salers.« Il fallait que j’ose faire ce que j’aime » dit cette ancienne éducatrice en pédopsychiatrie. « Mon papa, sur son lit d’hôpital, m’a dit : « Vas-y, fonce, moi j’aurais rêvé faire un truc comme ça !» … Il bricolait tout : sculpture, électricité, bois… Il était fort en tout ! Quand j’étais petite, je le suivais sur les brocantes, les bourses d’échanges et je voyais ses yeux de collectionneur pétiller devant les jouets anciens, les Dinky Toy, les automates » … « Avec Stéphane, à l’issue de ma formation (en menuiserie) nous avons trouvé un lieu pour nous installer … On a choisi le côté passion plutôt que le côté rémunération et sécurité. » « Etre à son compte, travailler pour soi, c’est le principal, même si nous n’avons pas de gros revenus. C’est notre choix de vie » complète Stéphane. « Ma compagne a créé « les jouets de Fanny » en 2010. A l’époque, j’étais artisan en menuiserie traditionnelle. J’avais appris la menuiserie un peu par défaut parce que je ne savais pas quoi faire. Et puis j’y ai trouvé quelque chose qui m’a vraiment plu. Aujourd’hui, nous sommes tous les deux dans le même bateau, nous fabriquons des jouets en bois dans la vallée de la Jordane, à trois-quarts d’heure de Salers. » Lire les récits de Fanny et de Stéphane.
Travail et territoire, du transport de voyageurs à la communauté Emmaüs
Pour Sébastien, aiguilleur, c’est « Une lutte de tous les instants pour maintenir le meilleur service ». « Auparavant, la SNCF essayait de s’adapter en faisant circuler davantage de trains pendant les créneaux horaires où il y avait le plus de voyageurs. Mais, dans les conditions actuelles, c’est devenu mission impossible. Alors, pour que 80% des trains arrivent quand même à l’heure, on nous alloue un budget censé résoudre tous les problèmes. Dans la réalité comme, au niveau local, on a toujours réalisé 44000 heures d’ouverture de guichets, la gare de Pontchâteau va être fermée pour permettre d’affecter un peu plus de personnel en gare de la Baule. Et, pour le même coût, la région voudrait qu’on fasse circuler 10% de trains supplémentaires. La conséquence est que la direction de la SNCF essaye de nous faire faire plusieurs tâches à la fois afin de diminuer le nombre de salariés. En plus de gérer la circulation des trains sur les voies, je suis alors amené à vendre des billets, accueillir les usagers et même faire l’entretien des bâtiments. » … lire la suite
« Le maître mot est bien solidarité » affirme Marie, intervenante sociale d’une communauté Emmaüs. « Pour un compagnon d’Emmaüs, la démarche de venir à mon bureau est quand même particulière, un peu symbolique. C’est parfois une marche élevée à franchir. Pour que ce soit plus facile, je laisse ma porte continuellement ouverte (…) On peut venir y pleurer – la boîte de mouchoirs est là – mais parfois aussi annoncer des bonnes nouvelles, discuter, manger un petit bonbon et voilà… lire la suite
Les inédits : 11 récits de travail au coeur d’un service de cancérologie
Chacun raconte la réalité de son travail au quotidien, auprès des malades : les gestes techniques, les relations avec les autres intervenants, l’accompagnement des familles… Vingt récits ont déjà été publiés par les Éditions de l’Atelier, onze autres n’avaient pas pu être insérés dans le livre. Ils ont été diffusés au personnel de la clinique, mais il avait fallu faire, avec l’éditeur, des choix cruels pour l’ouvrage imprimé. Avec son accord, nous les publions aujourd’hui. Ce sont les inédits de « L’urgence c’est de vivre » : les récits de Anne-Sophie, dosimétriste – Christine, kinésithérapeute – Clémence, infirmière en hospitalisation complète – Franck, médecin radio-thérapeute – Françoise, secrétaire médicale en oncologie – Geneviève, préparatrice en pharmacie à la cité sanitaire – Gwénaelle, secrétaire chargée de la programmation en radiothérapie – Isabelle, infirmière coordinatrice – Marion, brancardière – Mélissa, manipulatrice en radiothérapie – Nathalie, infirmière à domicile. Chaque récit est ponctué par le regard porté par Pierre sur sa propre expérience d’accompagnant. Il explique ce cheminement dans cet avant-propos.
Nos lectures : Martine nous présente « Mécano », roman paru chez POL
Ed POL janvier 2023 – 22 €
Roman initiatique ? Poème épique en trois parties, 64 chapitres et 363 pages ? Traité technique ou documentaire ? Tout cela à la fois. L’apprentissage occupe le premier tiers de l’ouvrage. Le mécano, dès sa formation, une école de la soumission, est initié par un moniteur critiqueur, qui fait peur. Mais après 95 candidatures, quand il ne reste que douze personnes en formation, réduites ensuite à quatre conducteurs ayant réussi l’examen, ce formateur se révèle être un homme au grand cœur. Il devient enfin humain. ucun détail ne nous est épargné. D’abord l’instruction dans un simulateur (de conduite), puis l’accompagnement « en vrai » dans une cabine par un conducteur, un mécano (pas un chauffeur, quelle horreur !), un « homme qui murmurait à l’oreille de la peur ». Apprentissage par cœur de la bible, Le Mémento. Tout un vocabulaire spécifique à apprivoiser, mystérieux, qu’il serait vain de décoder, en fait toute la magie. Des chiffres et des lettres accolés émaillent le texte aux lignes courtes (comme un poème) ou occupant tout l’espace (comme un roman), en italique ou pas. Graphismes, dessins, portées musicales, nombreux acronymes et même une feuille d’horaire. Des titres de film, de livres, des poèmes, Mattia Filice est un lettré. Le cerveau en formation, les mots en construction. Il se blottit « à la recherche du beau », échappatoire à la dure réalité. Lire la suite
Roman initiatique ? Poème épique en trois parties, 64 chapitres et 363 pages ? Traité technique ou documentaire ? Tout cela à la fois. L’apprentissage occupe le premier tiers de l’ouvrage. Le mécano, dès sa formation, une école de la soumission, est initié par un moniteur critiqueur, qui fait peur. Mais après 95 candidatures, quand il ne reste que douze personnes en formation, réduites ensuite à quatre conducteurs ayant réussi l’examen, ce formateur se révèle être un homme au grand cœur. Il devient enfin humain.
Oncologue, dosimétriste, secrétaire médicale, kinésithérapeute, aide-soignante, infirmière, agente de service hospitalier, assistante sociale… chacune et chacun raconte la réalité de son travail au quotidien, auprès des malades : les gestes techniques, les relations avec les autres intervenants, l’accompagnement des familles… Vingt récits ont été publiés par les Éditions de l’Atelier, en voici la liste. Ils donnent la parole à l’éventail le plus large des métiers de la chaîne soignante. Onze autres récits n’ont pas pu être insérés dans le livre. Ils ont été diffusés au personnel de la clinique, mais il avait fallu faire, avec l’éditeur, des choix cruels pour l’ouvrage imprimé. Avec son accord, nous les publions aujourd’hui. Ce sont les inédits de « L’urgence c’est de vivre – Au cœur d’un service de cancérologie ». Chaque récit est ponctué par le regard porté par Pierre sur sa propre expérience d’accompagnant. Il explique ce cheminement dans cet avant-propos.
11 récits à lire, et à retrouver sur notre site, écrits avec :
Christine, kinésithérapeute – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Se lever, aller aux toilettes ou prendre une douche : de petites choses anodines auxquelles les bien-portants ne prêtent pas attention. Mais les gestes de la vie quotidienne sont d’une grande importance pour une personne malade. Maintenir ces gestes élémentaires valorise le malade qui n’est plus, alors, condamné à rester au fond de son lit : il retrouve des activités qui le rapprochent un peu de la normalité. Ne seraient-ce que quelques pas dans le couloir le font sortir un petit peu du contexte de la maladie.
Clémence, infirmière en hospitalisation complète – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Nous avons plusieurs types de patients en hospitalisation complète. Certains sont là de façon transitoire. Ce sont par exemple des personnes qui vivent seules et que nous gardons en surveillance après leur chimio. D’autres retournent profiter de leur maison pendant quelques semaines, mais reviennent régulièrement. Je me souviens d’un monsieur qui vivait dans la rue. Nous l’avons gardé longtemps avec nous, le temps de trouver un foyer où il puisse être pris en charge. Forcément, on s’attache davantage aux personnes qui restent longtemps.
Marion, brancardière – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
« Allez hop ! C’est la balade aujourd’hui ! ». Le patient qui m’accueille ainsi est un homme que je vais emmener sur son fauteuil, le long des couloirs. Il veut prendre les choses à la légère. La balade, c’est le scanner, la radio, les rendez-vous médicaux… Rien de bien réjouissant… Mais ça lui fait du bien de sortir de la chambre !
Isabelle, infirmière coordinatrice – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Tôt le matin, je reçois un appel d’un monsieur qui a trouvé mon numéro de téléphone d’ « infirmière coordinatrice » dans le classeur remis aux patients de cancérologie. Il m’explique que la chimiothérapie qu’il est en train de subir à domicile a déclenché une grosse toxicité cutanée au visage. Depuis mon bureau je dois alors imaginer ce dont il s’agit par rapport à sa thérapie, et comprendre, en reprenant les consultations précédentes, si cette toxicité est nouvelle ou pas.
Nathalie, infirmière à domicile – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Quand je fais des toilettes à domicile chez un patient lambda, je ne suis souvent guère mieux considérée qu’une femme de ménage. La différence c’est qu’au lieu de me servir d’une serpillère, je tiens un gant. Dès que je suis amenée à faire un pansement, le regard change et on commence à me voir comme une infirmière, c’est-à-dire comme une professionnelle de santé. Ce problème n’existe pas lorsque j’ai affaire à des patients atteints de cancer.
Geneviève, préparatrice en pharmacie hospitalière – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Ici, on fait du sur-mesure. Et on le fait au fur et à mesure. Quand je prépare une chimiothérapie, je sais qu’il y a un patient dans une salle d’attente et que ça n’est pas une partie de plaisir pour lui. Donc j’établis des priorités. Par exemple, si un patient a une prescription pour cinq médicaments, je démarre par le premier puis je m’attaque à la première molécule d’un autre patient, pour que chaque traitement puisse commencer. Après quoi, je préparerai la première prescription pour faire la suite. C’est une organisation compliquée pour les préparatrices qui débutent, mais j’ai appris par où commencer et sur quoi me focaliser pour optimiser l’attente des patients. C’est une question d’expérience.
Françoise, secrétaire médicale en oncologie, programmation – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Secrétaire médicale en cancérologie depuis 1992, j’occupe le poste de programmation en hôpital de jour d’oncologie-médecine depuis septembre 2012, date de l’ouverture de la Cité Sanitaire et donc du transfert de la Polyclinique de l’Océan devenue « Clinique Mutualiste de l’Estuaire ».
Gwénaelle, secrétaire chargée de la programmation en radiothérapie – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Je suis manipulatrice en radiothérapie, quand je travaillais encore en postes de traitement, il m’est arrivé que des patientes me sautent au cou à la fin de leur cycle de soins. Elles me faisaient un gros bisou avec des larmes plein les yeux: « Vous allez me manquer ». J’ai eu aussi des patients agressifs, dont la prise en charge n’était pas simple. Mais depuis deux ans, du fait de soucis de santé importants, je ne manipule plus ni en poste pour l’administration des rayons, ni au scanner. Maintenant, je gère la programmation des traitements par irradiation. Pour cela, je crée le planning de toutes les séances de radiothérapie, une par une, en faisant coïncider les contraintes liées d’un côté à la vie sociale de chaque patient, et de l’autre aux multiples impératifs du traitement lui-même.
Mélissa, manipulatrice en radiothérapie – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Après avoir rencontré le médecin radiothérapeute, le patient est invité à venir consulter un manipulateur qui lui détaillera le déroulement et les étapes du traitement prochain. Lorsque je reçois un patient pour une telle consultation, je lui explique qu’il passera d’abord un scanner de repérage. Les images en trois dimensions qui seront alors obtenues permettront de déterminer la balistique du traitement et la position dans laquelle il sera placé sur la machine. Il sera, par exemple, allongé sur le dos, avec un oreiller sous la tête, tandis que ses pieds seront calés dans un repose-pied… Il ne devra pas hésiter à dire comment il se sent ainsi parce qu’il sera installé dans la même position à chaque séance.
Anne-Sophie, dosimétriste – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »
Mon travail de dosimétriste consiste à calculer de quelle façon sera délivrée la dose d’irradiation que le radiothérapeute a prescrite pour un volume à traiter, tout en préservant au mieux les tissus sains du patient.
Franck, médecin radiothérapeute – Les inédits de « l’Urgence c’est de vivre »
Dans les films de science fiction des années 1980 comme Blade runner, on voit des patients sur leur table d’opération, entourés par des robots qui s’agitent pour les soigner. Fiction d’auteurs imaginatifs ? Il semblerait plutôt que, d’un point de vue technique, la réalité d’aujourd’hui ne soit pas très éloignée de cette vision. Jusqu’au début des années 2000 en France, on utilisait des machines au cobalt – les fameuses « bombes au cobalt » – qui, à l’aide d’un simple piston, propulsaient une source radioactive au-dessus du patient pour exposer sa tumeur aux rayonnements ionisants.
Propos recueillis par Roxane et mis en texte par François – mars 2023
Créations à partir d’objets récupérés
Petite fille, comme beaucoup d’enfants, je passais mes vacances chez mes grands-parents. Ils habitaient un petit hameau à l’écart de tout. Cependant il y avait ce qu’à l’époque on appelait un dépotoir. C’était pour moi un terrain de jeu et je m’y rendais avec mon grand-père. Nous récupérions de vieux objets que les gens avaient abandonnés. À la maison, il les rafistolait pour en faire des jouets, des trottinettes… Je sais que mon activité d’aujourd’hui a un lien avec ces moments partagés. Prendre des objets que je trouve beaux même s’ils sont oxydés et abîmés est passionnant. Leur usure, leur patine sont la marque du temps et je discerne un vécu, une histoire, une époque. Outre leurs formes, j’apprécie tout particulièrement les objets qui ont conservé un peu de leurs couleurs, surtout quand elles sont vives. Par expérience, je sais qu’ils vont m’offrir plus de chance d’aboutir à une création qui va me satisfaire. Ainsi, je donne une nouvelle vie à des objets abandonnés, des objets qui ne servent plus.
Propos recueillis et mis en texte par Roxane – novembre 2022
Jennifer dans la boutique de Salers
Nous ne connaissions pas du tout le Cantal, ni famille, ni amis. Nous avons regardé le taux d’ensoleillement, le taux de pollution et nous y sommes partis en vacances, par deux fois. Ça nous a plu. Conquis, on s’y est installé. La raison majeure ? C’était surtout ma fille… elle est asthmatique. Ça explique beaucoup de choses ! À Lille où nous habitions, la pollution était terrible. Ici, ma fille va beaucoup mieux. Au fil du temps, j’ai pensé que notre intégration était dûe à nos enfants. Nous avons été bien accueillis dans notre village, tout de suite, à l’école, nous avons rencontré d’autres parents et nous nous sommes fondus dans un petit groupe d’amis. Et ça a continué. Un jour, en me baladant à Aurillac, dans les rues, j’ai vu : « La Fabrik », une boutique d’artisans créateurs. Vivement intéressée, j’ai postulé pour exposer mes produits en tant que couturière. C’était en 2017 et, dans le même temps, je créais ma marque : « Coquinette et Coquinou ». Coquinette ma fille et Coquinou mon garçon, c’est des petits surnoms qui disent bien ce qu’ils veulent dire.
Fanny, créatrice des » Jouets de Fanny » – Salers, août 2022
Propos recueillis et mis en texte par Roxane – Février 23
Fanny dans la petite Fabrik.
Mon papa, sur son lit d’hôpital, m’a dit : « Vas-y, fonce, moi j’aurais rêvé faire un truc comme ça !» Lui, il était mécanicien auto, doué de ses mains. Il bricolait tout : sculpture, électricité, bois… Il était fort en tout ! Quand j’étais petite, je le suivais sur les brocantes, les bourses d’échanges et je voyais ses yeux de collectionneur pétiller devant les jouets anciens, les Dinky Toy, les automates… De son lit, il disait « Parle-moi des jouets. Je t’aiderai, je te donnerai des conseils.» Et moi à son chevet, je lui racontais la création des « Jouets de Fanny ». On était en novembre 2010. Et j’étais libérée : j’avais choisi et j’avais l’aval de mon père.
Parole recueillie le 22 septembre 2022 par Jacques et Pierre, mise en récit par Pierre
Le TER 58041 à la gare de Donges
À la SNCF, je fais partie de la catégorie des agents de circulation. Autrefois, on nous appelait les « aiguilleurs ». Donc je change les trains de voies, je gère les incidents, depuis 2003 où je suis arrivé sur le bassin. J’étais aussi anciennement secrétaire du syndicat des cheminots de Saint-Nazaire, maintenant j’en suis le trésorier. En tant qu’agent de réserve, je peux intervenir sur le territoire des gares de Montoir-de-Bretagne, de Pontchâteau et celle de Donges qui va fermer à partir de demain soir à cause des travaux de contournement de la raffinerie Total.
Marie, intervenante sociale d’une communauté Emmaüs
Parole de mars 2023, recueillie par Pierre et mise en récit par Martine
Trier, réparer, stocker, vendre, ou donner aux plus démunis
Pour un compagnon d’Emmaüs, la démarche de venir à mon bureau est quand même particulière, un peu symbolique. C’est parfois une marche élevée à franchir. Pour que ce soit plus facile, je laisse ma porte continuellement ouverte ; quand elle est fermée, ce qui est rare, c’est que suis en train d’effectuer des démarches et que je ne suis pas dérangeable. Il y en a qui m’envoient un petit SMS ou qui me téléphonent : « Est-ce que je peux monter te voir ? ». Je dis souvent aux compagnons que j’ai toujours les petits bonbons au miel de ma grand-mère. Certains arrivent avec leur café dans mon bureau. C’est génial ! C’est souvent un moment convivial. « Allez, assieds-toi. Comment ça va en ce moment ? » On peut venir y pleurer – la boîte de mouchoirs est là – mais parfois aussi annoncer des bonnes nouvelles, discuter, manger un petit bonbon et voilà… Mes journées sont rarement très organisées. Je laisse beaucoup de place à la spontanéité et à l’informel parce que c’est autour de ça qu’il y a beaucoup de choses qui se passent. Il ne faut pas qu’on entre dans mon bureau comme on se rend à un guichet.
Soirée de lancement du livre le 4 avril 2023 à Paris
Les tribunes réunies dans ce livre ont été publiées dans la presse à partir du début de la pandémie de Covid-19, et jusque fin 2022. C’est alors aussi que se créaient les Ateliers pour la refondation du service public hospitalier, auxquels s’est associée la Compagnie Pourquoi se lever le matin !, réalisant et publiant une quarantaine de récits de travail avec les acteurs du soin. On trouvera notamment dans ce dossier les récits de deux auteurs du livre, Philippe « Vu d’en haut, du moment qu’on opère les gens tout va bien » et Fabienne « Chercheuse engagée dans la cité« .Nous les retrouvons aujourd’hui avec la parution de ce livre, chez Hémisphères éditions, revendiquant l’accès à des soins de qualité, défendant un service public au service du public, hors marché. La soirée de lancement du livre se tiendra, en présence des auteurs, le 4 avril de 18h30 à 20h30 chez l’Éditeur (3 quai de la Tournelle – Paris V°)
Nos nouveaux récits de travail, notre spécial 8 mars et nos lectures du mois
Artisan d’art : un travail qui conjugue passion et précarité
La petite Fabrik, boutique éphémère de Salers
Vous avez probablement déjà aperçu, sur la route de vos vacances, des boutiques éphémères d’artisans d’art. C’était dans les ruelles d’un village médiéval, en Bretagne, en Alsace, ou ailleurs. Peut-être avez-vous franchi leur porte, engagé la conversation, voire acquis une de leurs créations ? Roxane a rendu visite à certains d’entre eux, à Salers dans le Cantal. Nomades, ils habitent pour la plupart ailleurs, et viennent tous les étés vendre leurs productions dans les caves ou anciennes échoppes des maisons renaissance. Avec ce nouveau dossier de la Compagnie Pourquoi Se Lever le Matin ! nous avons voulu porter un regard plus précis sur leur travail, leurs activités artistiques, artisanales, techniques et commerciales.
Un livre où Corinne Gaudart et Serge Volkoff éclairent les mécanismes de la « culture de la hâte », et ses effets
Note de lecture
Éd. Les Petits matins – 18€
Au fil de ce livre, nous déplions les multiples aspects de la dimension temporelle du travail. Son premier mérite, et non des moindres, est de partir de l’activité. Ainsi, chaque chapitre du livre commence par le récit de situations que les auteurs, ergonomes, ont observées et analysées. Puis ils décortiquent les conséquences de la culture de la hâte et les stratégies, individuelles et collectives, qui permettent que le travail se fasse, malgré tout, et trop souvent au détriment de la santé. Ils croisent ces histoires singulières avec les tendances statistiques liées par exemple à l’âge, ou au contrat de travail, qu’il soit CDI, saisonnier ou en intérim. Ils tracent des pistes sur les conditions qu’il faudrait réunir pour la santé des travailleurs, tout au long de leur carrière, et pour la qualité de leur travail. Conditions qui sont généralement incompatibles avec la culture de la hâte.
Où l’on découvre le récit hallucinant du travail des domestiques, par Alizée Delpierre
Note de lecture
Ed. La découverte. 200p – 20€
« Penser l’envers des faits, c’est donner à voir les ressorts les mieux dissimulés du monde social, en restituant toute son épaisseur humaine ». Tel est le projet de la collection « L’envers des faits » co-dirigée par Pascal Pasquali et Fabien Truong au sein des éditions « La Découverte ». L’ouvrage d’Alizée Delpierre illustre ce projet de manière exemplaire. Dans les représentations que nous avons des personnels au service des familles les plus fortunées, nous entrevoyons des femmes et quelques hommes vêtus très strictement : robes noires et tablier blanc pour les unes, queue de pie pour les autres. Nous les imaginons, dans des immeubles haussmanniens, assurant, avec une discrétion absolue, mille et une activités.
C’était au Cinéclub CNAM – Travail & Cinéma le 30 mars 2023.
L’objectif du Cinéclub CNAM Travail et Cinéma : explorer le travail à partir d’un choix de films qui, non seulement éclairent des processus complexes, mais révèlent des aspects du travail peu accessibles autrement. Le 30 mars 2023, c’était « Droit dans les yeux », un documentaire de Marie-Francine Le Jallu
Débat avec les économistes Pierre-Yves Gomez et Thomas Coutrot, sur les enjeux du travail aujourd’hui
Le Collège des Bernardin, qui a organisé ce débat le 27 avril dernier, en propose la vidéo en ligne sur sa chaîne YouTube. Une heure à la fin de laquelle on se dit : ‘c’est déjà fini! »
Les deux intervenants écornent quelques idées reçues, notamment sur le fait que l’on travaillerait de moins en moins au cours d’une vie, que des outils performants suffiraient à préserver la santé, que les travailleurs ne seraient pas capables d’évaluer la qualité de leur travail, ou que ce seraient les normes qui feraient marcher les entreprises alors que c’est l’activité réelle déployée par les travailleurs, souvent envers et contre ces normes, telles que le taylorisme et ses avatars contemporains.