Soigner le cancer 1/20 – « Oui, c’est bien un cancer… »

Anna, médecin de famille

« Je ne veux que des bonnes nouvelles, docteur… ». L’homme qui est devant moi est atteint d’un cancer. Il ne le sait pas encore.  Ou plutôt il s’en doute mais aimerait mieux ne pas le savoir. Hélas, je ne suis pas là que pour les bonnes nouvelles. Et, dans mon cabinet de ville, je ne dispose pas de l’arsenal d’aide dont dispose l’hôpital avec la psychologue, l’entretien infirmier, les médecins. Pas de prise en charge pluridisciplinaire. En revanche, j’ai l’avantage de très bien connaître ce patient, contrairement aux collègues hospitaliers.

Je le vois fréquemment. La confiance qu’il m’accorde est à la hauteur du temps que j’ai l’habitude de lui consacrer. Quelque temps auparavant, j’avais eu une suspicion, une inquiétude par rapport à son état de santé : « Le mieux est que je vous prescrive un examen » – « À quoi pensez-vous, docteur ? » Je lui avais alors expliqué qu’il fallait commencer par éliminer tel ou tel diagnostic grave, qu’on n’était qu’au stade de la recherche, que ni lui ni moi ne pouvions savoir. Mais la question était là : « Est-ce qu’on va me trouver un cancer ? » Finalement, un examen complémentaire a confirmé mes craintes. 

J’ai donc demandé à mon secrétariat de me dégager un créneau plus long, comme c’est le cas à chaque fois que j’ai une annonce à faire. Et j’ai proposé au patient qu’il se fasse accompagner par son épouse. Ils me font face et je me lance : « Oui, c’est bien un cancer » – « En fait je le savais… Je savais que vous ne m’annonceriez rien de bon. » 

Alors, je m’autorise à dire les choses de façon un peu crue dans la droite ligne de nos relations habituelles : c’est un homme au tempérament blagueur, qui pratique le second degré, friand d’humour noir. L’annonce se déroule simplement. Le choc, quand même, est là. La présence de son épouse est importante. Leur complicité est la marque d’une relation forte qui les rend capables d’affronter les choses ensemble. Il y a des silences. J’explique ce que je sais sur la façon dont se fera la prise en charge. Ils encaissent. On prend le temps.  « Puisqu’il y a des choses à faire, on va les faire… » […]

Anna, médecin de ville, généraliste

Au retour de vacances sur l’île d’Yeu, l’angine de mon épouse ne veut pas guérir […] Cette fois, le médecin de famille a prescrit des antibiotiques particulièrement adaptés. Pas de problème, dans une semaine ce sera fini ! Dix jours plus tard, retour au cabinet médical. Ça ne va pas mieux… L’auscultation se prolonge. Le médecin finit par retourner derrière son bureau. Il est soucieux, se concentre sur sa feuille d’ordonnance, cherche un stylo, relève la tête de manière résolue et nous regarde enfin : « Il faut prendre rendez-vous chez l’ORL ! » Il nous reconduit jusqu’à la porte et me glisse sur un ton insistant : « C’est suspect… Très suspect… »

[…] Le médecin de famille nous a accompagnés comme il a pu mais, fatigué, malade lui-même, il a pris sa retraite… Le nouveau généraliste qu’on nous a recommandé est une jeune femme. Elle a une voix douce, un sourire accueillant. Elle semble nous attendre paisiblement dans son cabinet où la lumière entre avec générosité.

Pierre – Accompagnant

À suivre … soigner le cancer 2/20 : Fabienne, secrétaire en radiothérapie.

Soigner le cancer, avant-propos, par Pierre Madiot, présentation du livre à paraître aux Éditions de l’Atelier

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