Parole du 30 janvier, mise en texte avec Olivier
A la fin de mes études, il n’y avait pas de place universitaire et je suis allé travailler dans le privé. J’ai fait 6 ans d’activité libérale comme chirurgien orthopédiste adulte, où j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent. C’est très lucratif, le libéral.
Ensuite, comme cela avait été évoqué avec mes maîtres, j’ai rejoint l’hôpital pour un poste universitaire de professeur agrégé et j’ai fait le parcours habituel de chef de service. D’abord les urgences pédiatriques pendant quinze ans, puis une dizaine d’années de chef de service d’orthopédie pédiatrique, où je n’opère pratiquement plus que des colonnes vertébrales et des tumeurs malignes chez les petits enfants.
On travaille alors dans un climat de confiance absolue, ce qui n’est pas toujours le cas dans ces structures.
Je m’épanouis là-dedans – je suis quand même vieux, j’ai 61 ans – j’ai un service, plusieurs agrégés, plusieurs praticiens hospitaliers.Et tout le plaisir par rapport au privé ou au libéral c’est de former des élèves.
La chirurgie est un artisanat
Ce qui est passionnant c’est ce que vos maîtres vous apprennent. La chirurgie est un artisanat, un compagnonnage. Il y a une personne avec qui vous accrochez, qui vous mène sur ce chemin et vous apprend la chirurgie complexe. Ça prend du temps, c’est très long, c’est un compagnonnage qui est très intéressant. J’ai pu bénéficier d’une personne qui a totalement respecté ses engagements puisqu’elle m’a dit, « pars dans le privé, dans six ans, il y aura une place de professeur d’université et je te rappelle ». C’est ce qu’elle a fait.
C’est dans la formation qu’on s’éclate et qu’on a une intense satisfaction. Pour ce qui est du volet strictement professionnel, quand une élève m’explique en staff que mon indication opératoire n’est pas bonne et qu’on peut faire mieux, plus moderne, c’est une très grande satisfaction. Parce que cela veut dire que les choses avancent et que j’ai bien fait de la nommer. Ou quand mes jeunes m’ont dit de réunir tout le monde le matin à 8 heures, pour qu’on fasse le point tous ensemble et qu’on ne soit pas tous éclatés chacun dans son coin, j’ai d’abord pensé que ça ne marcherait pas mais j’ai finalement accepté. Et ils avaient raison ! Ça marche très bien effectivement !
On fait une médecine qui nous épanouit malgré des conditions dégradées.
Quand vous faites une chirurgie avec deux jeunes élèves, que vous faites un chantier qui dure six heures et que tout s’est passé nickel, à la fin tout le monde est content. Avec l’anesthésiste, l’infirmière, le chirurgien, on est tous super-contents. Ça c’est un moteur capital pour motiver et conserver les gens. Ensuite il y a des pratiques, par exemple on a instauré un staff du matin.
Le matin à 8h il y a tous les médecins, toutes les infirmières, toutes les aides-soignantes qui sont là pour vingt minutes et on passe les vingt malades hospitalisés en revue. Ce sont des pratiques qui soudent les équipes. On va échanger sur un enfant pour partager le fait qu’il va bien. Ou qu’un autre enfant déjà opéré à un problème, qu’il va revenir dans la matinée et qu’un médecin va se détacher du bloc et viendra voir les parents avec les infirmières. Cela pour donner une unité de corps, pour montrer qu’elles ne sont pas seules. Ou on informe des différents évènements de la nuit.
Aujourd’hui les aides-soignantes viennent au staff du matin, et c’est bien parce qu’il y a un discours commun et qu’un esprit de corps se forme. Quand une infirmière dit avoir été injuriée par un malade, on va en parler à ce dernier lors de la visite. On partage des éléments et des informations. Cela nous amène aussi à avoir une certaine unité dans notre façon de fonctionner. Il n’y a que l’enthousiasme collectif qui permette de travailler dans une situation aussi dégradée que celle de l’hôpital public aujourd’hui.
L’apprentissage de travailler ensemble, c’est bien. Ce sont les jeunes qui ont proposé les réunions du matin. Ils l’ont fait en réaction au fait que j’ai arrêté les visites à quinze soignants dans les chambres. On ne rentre pas à 8h du matin à quinze dans une chambre avec une maman et un gamin. C’est insupportable ! Trois personnes entrent dans la chambre, pas plus.
Les jeunes m’ont alors proposé cette formule, l’un d’eux l’avait vécu dans un hôpital new-yorkais, de se réunir tous à 8h du matin pour un tour très rapide de tous les malades pendant vingt à trente minutes. Et après de faire la visite à trois, la surveillante, le chef et l’interne, les autres se dispersant vers leurs activités. Humainement trois personnes qui entrent dans la chambre c’est correct, on sait ce qu’il faut dire puisqu’on s’est vu avant.
On a trouvé des solutions, c’est bien d’avoir des jeunes près de nous qui nous fassent bouger.
Maintenant mon boulot est de moins en moins dans le travail de soin.
C’est donner à mes élèves et plus largement aux jeunes de l’hôpital public les moyens de s’éclater en faisant leur travail. Qu’il s’agisse des médecins, des paramédicaux, créer les conditions pour avoir un service et plus largement un hôpital public qui soit bienveillant et attractif.
En sachant que tout n’est pas argent ! Dans un questionnaire de la qualité de vie au travail proposé aux praticiens hospitaliers, l’argent n’arrive qu’en troisième position. Ce qui est important pour eux c’est la qualité du travail et les conditions qui vont avec.
Mes journées se passent donc à trouver des fonds pour avoir le dernier scanner opératoire, le dernier bistouri osseux, le dernier système de navigation, pour qu’ils s’épanouissent dans leur travail et qu’ils aient envie de rester dans la structure.
C’est une partie de mon travail, l’autre est plus administrative en tant que chef de pôle. La finalité reste la même, un chef de pôle est là pour assurer que, bien que les moyens promis n’aient pas été donnés, les paramédicaux soient à la bonne place, qu’on évite de les maltraiter et que les médecins soient suffisamment à l’aise pour rester chez nous et ne pas partir dans le libéral.
Les pôles ont actuellement des moyens qui ne sont pas ceux des engagements pris par le gouvernement. Mais avec ces petits moyens il faut faire en sorte que la machine tourne quand même et rester attractif.
Mes journées se passent à ça
Elles commencent le lundi matin et se terminent le samedi après-midi, puisque je consulte tous les jours, y compris le samedi, pour arriver à capter le maximum de malades. Cela se fait sur deux sites.
Une présence de qualité à l’Hôpital Nord J’ai organisé la pédiatrie sur un site qui est la Timone-enfants et sur un autre, l’hôpital enfants de l’Hôpital Nord, en imposant à mes collaborateurs de travailler sur les deux sites afin qu’il n’y en ait pas de préférentiel. De vieilles légendes urbaines disent que l’élite est à la Timone et que l’Hôpital Nord est plutôt un hôpital de proximité. J’impose à tous mes collaborateurs, moi compris, de passer une journée par semaine à l’Hôpital Nord pour assurer des soins. Ce ne sont pas des soins de haute technicité car on ne peut pas se permettre d’avoir deux plateaux techniques, on ne peut pas avoir un scanner opératoire, un appareil de navigation opératoire sur chaque site. Mais il y a des consultations, les urgences sont assurées et on fait de la chirurgie ambulatoire à l’Hôpital Nord. C’est-à-dire qu’il y a une présence hospitalo-universitaire de qualité à l’Hôpital Nord.
Voilà les objectifs d’un chef de pôle lambda, tels qu’il doit les atteindre.On peut être triste de ne pas avoir plus de responsabilités, de ne pas avoir de contrat de pôle que l’on puisse passer avec l’administration. En fait, nos pouvoirs sont très limités vis-à-vis de la structure administrative qui n’a pas respecté ses engagements en matière d’autonomie à donner aux pôles.
Cette autonomie on l’a eue grâce au Covid
Parole de Jean-Luc, Chef de pôle, mise en texte avec Olivier (1 / 6)
… à suivre : « Je ne suis pas rentable alors qu’un hôpital bien géré doit faire du profit » – Parole de Jean-Luc (2 / 6)