Parole du 7 mai 2021, recueillie et écrite avec Roxane
En tant que secrétaire hospitalière, j’organise les prises en charge des hospitalisations pour des examens pédiatriques. Pour le plus grand nombre des enfants, je travaille dans le cadre de leur première consultation avec les médecins du service. Nous nous déplaçons aussi dans les autres services pour effectuer des enregistrements du sommeil, chez des tout-petits qui sont déjà hospitalisés. Ceci implique une gestion du planning très rigoureuse.
Je dois prendre en compte différents paramètres tels que les horaires de présence du personnel, qui diffèrent afin de couvrir la plage horaire de 12 h de jour, ainsi que la disponibilité des lits. En effet, nous partageons les locaux avec une autre équipe, dont l’activité est différente de la nôtre. Je dois donc tenir compte aussi des horaires d’entrée et de sortie de leurs patients. Nous devons éviter de nous gêner.
Hier, à la suite d’une réorganisation précipitée, j’ai été amenée à modifier l’horaire d’arrivée de l’un de nos petits patients. Je voulais maintenir sa venue, car les délais d’attente de rendez-vous sont importants. Nous avons reçu trois nouveaux patients. Quand le premier est arrivé, nous l’avons installé dans la chambre prête à le recevoir convenablement. Pour moi, « convenablement », c’est accueillir comme dans un cocon. Cela consiste non seulement à l’installer dans la chambre pour lui expliquer tout ce qui va lui arriver lors des examens, mais aussi à répondre aux questions des parents, même si moi, en aval, je leur donne des informations sur le déroulement des événements. Je les rassure. Nous l’avons appareillé et tout s’est bien passé.
Les choses se sont compliquées pour les deux autres patients, dont les chambres n’étaient pas disponibles au moment de leur arrivée. J’ai donc pris la décision d’expliquer à la maman du troisième enfant que sa chambre ne serait libre qu’à 16 h 45. Et je lui ai proposé d’aller dans la très belle bibliothèque parce que « ce serait plus confortable que de patienter dans le hall ». Le deuxième enfant a été installé dans la salle de la photocopieuse. Là, nous l’avons appareillé en étant interrompus à plusieurs reprises. À chaque ouverture de porte, précédée d’un « toc-toc », je baissais rapidement le tee-shirt de l’enfant. Pour préserver sa pudeur. À cet instant de la journée nous étions trois, nous sommes intervenues à tour de rôle auprès de ces deux familles. Dès 16 h 30, mes collègues se sont empressées de retirer le matériel de l’enfant qui devait sortir. Elles ont nettoyé et désinfecté la chambre, très vite, pour pouvoir y installer l’enfant de la salle des photocopieuses. Il en fut de même pour celui de la bibliothèque, un peu plus tard. J’avais quitté mon service à 16 h 30, mais dans la soirée j’ai appelé ma collègue. Elle m’a expliqué qu’elle avait dû sortir plus tard que prévu pour parer à la situation. L’autre équipe, celle avec qui nous partageons les locaux, a aidé à nettoyer les chambres. Quand c’est nécessaire et quand je suis disponible, je les aide aussi. Du fait de ma fonction de secrétaire hospitalière, je suis obligée de dialoguer avec mes collègues si je veux que les choses avancent. Hier quand même, il y eut des petites tensions. Elles ne viennent pas de nos personnalités, mais de nos conditions de travail. Tout cela me met très en colère.
Mon métier c’est aide-soignante. Secrétaire hospitalière ce n’est pas un métier. Ce poste est souvent attribué aux aides-soignantes. Les deux activités ont des points communs : le soin, l’accueil, l’attention. Être secrétaire c’est communiquer avec les familles, par téléphone, par mail. Je suis la personne qui a le premier contact avec elles. Je leur propose des dates de rendez-vous. Ou plutôt, j’impose. Je gère tant bien que mal le manque de moyens, de personnel, de lits.
Après je retrouve enfants et parents en hospitalisation, ce qui me permet de les avoir de bout en bout pendant tout le temps du processus. C’est très positif. Souvent les examens doivent se répéter sur le temps. Un petit lien se crée. Je gère le planning avec rigueur, pour laisser de l’espace et du temps pour les urgences. Je navigue aussi avec d’autres paramètres : je ne peux pas mettre trois enfants, petits, en même temps avec une seule infirmière de nuit et une aide-soignante. C’est trop de charges. Donc je veille à prévoir des âges différents. Les enfants que nous accueillons dans le service ont un suivi sur l’hôpital. Certains ont des maladies génétiques, je veille à ne pas les mettre ensemble. Par ailleurs, je commande les repas, je contacte la diététicienne. Ce sont les médecins qui donnent les résultats des tests, lors d’une consultation. Je n’ai pas connaissance des résultats. Mais dans notre petite unité, souvent les médecins viennent nous voir. Ils me disent : « Tu as bien fait de lui trouver une place rapidement ». Comme d’autres collègues, je vis des « glissements de tâches ». Je ne suis pas manipulatrice, mais je sais casquer, appareiller, poser les instruments de mesure à un enfant, de pied en cap, alors que ce n’est pas mon métier. Ça ne peut pas être autrement, nous sommes tellement peu nombreuses : deux et demi ! On dépend tellement les unes des autres que si l’une n’est pas là, je viens immédiatement en renfort auprès des patients.
Avec la crise sanitaire, rien n’a vraiment changé pour nous. Le 17 mars 2020 on a arrêté toutes nos activités, le temps que nos têtes pensantes mettent en place une organisation. J’ai continué à être présente à mon poste je ne souhaitais absolument pas être en télétravail : je n’ai aucun matériel informatique à la maison. J’ai dû faire tous les reports d’hospitalisation qui étaient déjà planifiés, puis, j’ai demandé s’il y avait besoin de moi ailleurs. Mon lieu de travail a été à nouveau ouvert à la mi-mai 2020 et n’a plus jamais été fermé. Le taux d’hospitalisation n’a pas trop bougé, cependant quelques parents ont hésité et ont repoussé l’hospitalisation. Au final, pas tant que ça !
Avant le premier confinement, j’avais déjà participé aux manifestations pour l’hôpital public. Nous avions mis en place, le jeudi, les « je dis Colère » : on sortait pendant trente minutes ou plus, avec nos casseroles pour faire du tintamarre dans la rue. Les gens nous saluaient de leur fenêtre. Même si moi je n’ai pas vécu toutes les difficultés des collègues des services pour adultes, je descendais dans la rue pour exprimer ma colère et celle de tous ceux qui ne pouvaient pas venir. Au printemps dernier, je regardais les gens applaudir aux fenêtres. Ça faisait plaisir, mais personnellement je ne demandais pas d’applaudissements. Le monde hospitalier, le monde des soignants a fait ce qu’il avait à faire. Puis ça s’est délité tout seul. Puis les gens ont repris le travail. Puis Il y a eu le Ségur, avec ce qu’on a obtenu – ou pas. On n’a toujours pas plus de lits, ni plus de personnels. Avec toute la misère due à la crise sanitaire, les gens n’auraient pas compris qu’on descende encore dans la rue. Et au deuxième confinement, en novembre, on n’était plus au printemps, il ne faisait plus beau et les gens se sont renfermés. Ça s’est délité.
Et moi, je suis vraiment fatiguée. Je suis tellement, tellement, tellement en colère. C’est là, dans mes entrailles ! Je vais prendre des vacances.
Parole d’Emma, du 7 mai 2021, recueillie et écrite avec Roxane