Parole du 2 juin 2021, mise en texte avec François

Après mon service militaire en 1992, je suis rentré à l’APHP en qualité d’agent hospitalier à l’hôpital Robert Debré. À l’époque, les hôpitaux recrutaient massivement. Titularisé au bout de six mois, j’ai travaillé dans pas mal de services. J’ai été brancardier puis vaguemestre puis affecté dans des labos. A l’époque, les horaires de travail étaient clairement affichés et cela me permettait de pratiquer le rugby et d’enseigner la boxe dans un club. Mais, assez vite je me suis décidé à passer à autre chose.
La préparation à l’emploi d’aide-soignant, qui durait un an, était prise en charge par l’APHP qui favorisait les qualifications des agents et la promotion interne. Direction, chefs de services et organisations syndicales validaient cette politique et les budgets suivaient ! Ce n’est plus le cas à présent où même des formations obligatoires sont différées par manque de personnels dans les services. Durant ma formation, j’ai apprécié les stages dans des services de réanimation. Aussi, quand j’ai réintégré Robert Debré en 2001, j’ai demandé à être affecté au service de réanimation pédiatrique. On m’a proposé́ un demi-poste au SMUR et l’autre en réa’ en 2005.
Le SMUR, c’est un service qui réalise des transports un peu spécifiques. J’étais plus particulièrement en charge du matériel embarqué et on avait des astreintes. À l’époque, les machines étaient assez lourdes et il fallait bien les connaître, les surveiller avec les collègues et parfois savoir un peu bidouiller. À présent, le matériel est plus léger et standardisé, ces années ont permis d’améliorer la prise en charge des patients. Maintenant le poste d’aide-soignant au SMUR devient plus un travail de logisticien où l’on nous demande de rester à la base sans trop réfléchir.
Mon autre mi-temps, en réa’, c’est très différent. Quand j’ai commencé après mon diplôme d’aide-soignant, on m’a surtout encadré pour comprendre et apprendre la réa’… Mais les collègues voient très vite ce que vous êtes capable de faire. Il y avait encore un bel esprit d’équipe et quand l’un de nous est absent le service tourne… J’ai pu comparer notre service de réanimation “transports SMUR” avec d’autres à Amiens, Beauvais… Du coup, j’ai vu qu’ici nous étions plutôt bien doté en personnels. J’ai beaucoup appris au contact d’infirmières et d’aides-soignantes très qualifiées, de jeunes internes de médecins et de collègues du biomédical. En plus du travail en binôme, c’est la garantie de soins de qualité pour les patients.

En réa’, on effectue des vacations de douze heures : sept heures trente – dix-neuf heures trente et cela en tandem avec une infirmière. Là on accueille les enfants de l’extérieur ou des autres services de l’hôpital. Il s’agit de les installer, de les rassurer et de surveiller leur état. Parfois, au bout de cinq minutes, on voit que cela va aller. Pour d’autres, cela peut être beaucoup plus délicat. On ne peut pas prédire le temps nécessaire… Les enfants ne sont pas des cartons dans un centre de tri ! Nous demander des temps moyens pour rentabiliser les soins, cela n’a pas de sens !
L’esprit d’équipe, s’il est essentiel pour les soins aux enfants, l’est aussi pour les parents. Il est nécessaire d’avoir du temps pour parler avec eux. Il y a quelques années, ils ne pouvaient venir voir leurs enfants que l’après-midi et pour deux heures seulement. A son arrivée, notre chef de service actuel a décidé qu’ils pourraient venir tout le temps. Au début, certains collègues étaient un peu gênés de réaliser certains gestes en présence de parents. Si certains actes sont de la compétence des médecins ou infirmières, un change de lange peut être réalisé par la maman si elle est présente. Là, je m’efface. Cette relation avec les parents est essentielle. Ici, à la différence de ce qui se passe dans des unités accueillant des adultes, nous arrivons encore à la préserver même si cela s’effiloche avec les années.
Cet esprit de coopération, toutes ces compétences, je les sens menacés. De très bons éléments sont partis ou partent bientôt en retraite. Ils ne sont pas tous remplacés. La politique de l’hôpital, c’est depuis des années de sous-traiter des services à des boîtes privées. Elles sont sélectionnées sur appel d’offres pour cinq ans et au bout du contrat ce sont d’autres qui interviennent. On voit donc arriver des employés qui ne connaissent pas les lieux et du coup il ne faut plus s’étonner des retards. Récemment, il a fallu près de trois semaines pour que la climatisation soit réparée alors qu’il faisait 29 degrés dans les chambres. Avant, nous avions un technicien soumis à des astreintes qui connaissait par cœur notre équipement, mais la direction n’a pas su le garder. C’est à terme ce qui risque de se passer pour le biomédical. L’externalisation crée des problèmes de coordination qui ne sont pas pris en compte par la direction.
Durant la crise de la Covid, nous avons accueilli des adultes. J’ai vu arriver des collègues de différentes régions, ils avaient des compétences qui nous ont énormément aidés et ils se sont vite intégrés à notre équipe. Moi, ces semaines m’ont reboosté, c’était hyper fatiguant mais il y a eu des initiatives fabuleuses. Des personnes se sont littéralement révélées et cela nous a permis de faire face. J’ai adoré cette période. On a vu des collègues d’autres unités nous aider pour effectuer le retournement d’adultes malades que nous avons accueillis, des infirmières en cours de formation venir donner des coups de main sans compter leur temps. Tout cela dans un climat d’échanges professionnels. On sentait qu’on allait dans le bon sens. Chacun comprenait que nous n’étions pas là pour faire du chiffre, pour satisfaire des indicateurs, mais pour sauver des vies et accompagner des familles angoissées. Nous avons tenu car notre chef de service a su organiser des vrais temps d’échanges, de petites fêtes “avec les gestes barrières », des moments de convivialité pour entretenir le lien. En cela, il est bien différent d’autres responsables qui ne se soucient que de leur carrière et qui ignorent bien souvent la réalité du travail réalisé par chacun au quotidien. Ces nouveaux cadres exécutants ne connaissent plus la compétence de leurs agents…
Au terme de ces semaines, les efforts de beaucoup n’ont été ni reconnus, ni valorisés : c’est un vrai problème pour l’hôpital. Malgré́ la « prime » pour les soignants, l’APHP a repris sa route.

Pourtant, nous accueillons de jeunes soignantes très motivées, super allantes, cortiquées … c’est-à-dire qui posent de bonnes questions et refusent d’agir comme des exécutantes en se référant aux seules procédures sans se poser la question du pourquoi et, surtout, sans prendre en compte le patient, l’humain dans sa généralité. Mais dans ces conditions, vont-elles demeurer à l’hôpital ? Avec la fin de la crise sanitaire, cette mobilisation s’est effritée avec des revendications catégorielles certes fondées mais qui minent le mouvement collectif de refondation. On a revu le recours aux heures supplémentaires qui permettent à la direction de ne pas recruter. Des collègues ont accepté de faire six jours de plus dans le mois … C’est leur droit mais les corps s’usent et à la longue, vies personnelles et familiales se dégradent. Moi, j’ai toujours refusé les heures sup’ car ces pratiques et l’hyper flexibilité des horaires vont à l’encontre des coopérations qui garantissent un vrai service public de qualité. À présent, ce sont des pratiques de court terme qui l’emportent tant dans la formation que dans la gestion des agents : on bouche les trous !
L’esprit d’équipe, ce n’est pas faire à la place d’un collègue. Moi, je ne ferai jamais un acte qui relève de la compétence d’une infirmière. Par contre, c’est dire par exemple : « Tiens, là je ne comprends pas ce que tu es en train de faire. » Être collectif, c’est être attentif à l’activité de l’autre, le valoriser et lui montrer qu’il est utile car compétent.
Parole de Michel, le 20 juin 2021, mise en texte avec François