Contre l’isolement : le « Café des Geeks »

Julie, chargée de recrutement

Parole du 4 mars, mise en texte par François

Entretien de recrutement

L’entreprise dans laquelle je travaille depuis un peu plus de quatre ans assure des services et du conseil en informatique. Elle rassemble un peu moins de deux cents personnes, essentiellement des ingénieurs et des administrateurs basés en région parisienne. Le cœur de mon emploi, c’est l’identification des besoins en personnel qu’expriment les différents services techniques et ceux à vocation transverse tels le marketing, la communication, le juridique…

Je rédige et diffuse les offres d’emplois mais aussi de stages en utilisant les supports traditionnels mais surtout les réseaux sociaux. Ensuite, je reçois les candidats en organisant des rendez-vous en face à face. J’informe ceux qui sont recrutés sur les différentes étapes de leur intégration et notamment du dispositif de « parrainage – marrainage » que l’entreprise a mis en place. En outre, je participe à des forums « métiers » souvent en lien avec des écoles spécialisées et je collabore avec le service « Communication » pour organiser des événements internes.

Avant la crise sanitaire, le télétravail était certes ponctuellement évoqué mais très peu pratiqué. L’équipe dirigeante émettait des réserves et se montrait, à mes yeux, comme beaucoup d’entreprises, assez frileuse.

Quand le confinement a été annoncé en mars 2020, un vendredi, la direction a demandé à chacun d’apporter chez soi son ordinateur. Nous sommes donc passés à un télétravail forcé. Les premiers jours ont été compliqués pour le service RH car nombre de salariés n’avaient pas mis à jour leurs données personnelles, notamment leur numéro de téléphone. Du coup, certains d’entre eux ont été informés des décisions prises par des appels de collègues : du quasi bouche à oreille !

Par contre tous les équipements techniques ont tenu le coup y compris les outils collaboratifs que chacun utilisait régulièrement avant le confinement.

Pour moi, cela a été d’abord un peu difficile techniquement car certains candidats n’arrivaient pas à se connecter sur notre outil. Nous tâtonnions et en désespoir de cause je leur proposais d’utiliser des outils tel que Google Meet. Mais ma fatigue était surtout liée au changement de mode de communication. Il m’a fallu passer de la relation de face à face physique à du virtuel du jour au lendemain. Pendant les confinements, les recrutements se sont poursuivis, des périodes d’essais ont été renouvelées, des avenants rédigés… Il me fallait en outre m’assurer que les candidats étaient en mesure de supporter de travailler massivement à distance, parfois sans avoir pu rencontrer physiquement leur responsable ou leurs collègues. Heureusement, le service technique a été très présent, notamment pour que les nouveaux collaborateurs puissent avoir à leur domicile les équipements nécessaires à leurs activités.

Si la qualité des prestations a été maintenue, ce que nos clients ont largement reconnu, dans certains services, des baisses de productivité ont été observé ce qui amené la direction à hausser le ton. Je sais que certaines entreprises ont mis en place des dispositifs pour contrôler les activités des salariés en télétravail. C’est légal sous réserve d’en informer expressément tous les salariés mais cela n’existe pas chez nous, les salariés y sont opposés.

Par ailleurs, certains collaborateurs ne mettaient pas en route leur caméra durant des réunions. Du coup, pour un nouveau, l’intégration devenait problématique car bien sûr les échanges autour de la machine à café avaient disparu ! Suite à cela, des courriels ont été adressés à tous pour rappeler quelques principes dans les communications électroniques et notamment le respect du droit à la déconnexion.

Dans nos locaux, l’ergonomie des sièges et des postes de travail est très satisfaisante. Or, beaucoup de collègues n’avaient pas de tels équipements à leur domicile. Certains ont fini par acquérir un fauteuil car travailler dans un canapé n’est pas, à la longue, recommandé. Enfin, deux collègues n’ont pas supporté l’isolement sur la durée ; ils ont été placés en arrêt maladie.

Durant l’année 2020, quand les confinements étaient levés, nous devions néanmoins respecter strictement le plan de prévention des pandémies. Selon différents critères, la jauge d’occupation des locaux variait. Je devais prévenir le siège si je souhaitais me rendre à mon bureau et le service RH a veillé à mettre en place des roulements. Durant ces mois, j’ai constaté que j’avais des difficultés à me déconnecter et que j’accumulais de la fatigue. Alors, je me suis dit : « Il faut lever le pied pour tenir dans la durée ». Avant la crise sanitaire, mes journées étaient classiquement ponctuées par des moments bien identifiés : rejoindre le matin mon bureau en transports en commun, profiter de la pause méridienne avec des collègues, retourner à mon domicile où je peux assez facilement oublier mon travail du jour. Durant les confinements, mes « temps-frontières » étaient brouillés. Pourtant, je me considère comme privilégiée : je n’ai pas d’enfant à charge et notre appartement dispose d’une terrasse.

Depuis quelques mois, je note que quelques collègues qui avaient plus particulièrement apprécié de pouvoir télé-travailler ont quitté la région parisienne ou s’apprêtent à le faire. Il y a d’une part des jeunes couples avec enfants qui ont mal vécu le confinement dans des logement étroits. Ils s’installent de préférence dans leur province d’origine afin de retrouver parents et amis. D’autre part, des collègues plus âgés vont habiter définitivement dans leur résidence secondaire. Les uns et les autres mettent en avant la recherche d’un cadre de vie proche de la nature mais aussi la volonté d’avoir un meilleur équilibre de vie.

Ces départs ne sont pas vus négativement par l’équipe dirigeante. Celle-ci a bien compris que ces collaborateurs demeureraient très engagés dans leurs missions. Un avis contraire était en outre risqué. Le marché du travail dans notre secteur d’activité est structurellement tendu et ces collègues n’auraient eu guère de difficultés pour identifier une entreprise plus conciliante. J’en veux pour preuve que, pour des salariés qui souhaitent nous rejoindre, pouvoir télé-travailler deux voire trois jours par semaine est un critère qui pèse dans leur choix.

A ce jour, il n’y a pas d’obligation d’être présente au siège tel ou tel jour de la semaine. Les différents responsables de départements ont la main. Ce sont eux qui décident. J’observe que pour des moments clefs de l’activité, notamment les temps d’audit, nous sommes passés d’une logique où la présence de tous était requise à des formules hybrides. Il en est de même quand des équipes ont à gérer des incidents techniques. De mon point de vue, cela tient d’une part à notre culture d’entreprise très « high-tech » et d’autre part à la maîtrise quasi historique des outils collaboratifs par tout un chacun. Ces modalités de travail ne sont donc pas transposables à toute organisation même si apparemment l’équipement informatique existe.

Néanmoins, il existe une forte demande de liens sociaux. Avant le confinement, des « after-work » étaient courants et appréciés. Certains collègues partageaient des activités en fin de semaine tel le karting. Cela a beaucoup manqué. Aussi, nous avons créé un « Café des Geeks ». Sur la base du volontariat, le département RH et celui de Communication constituent des groupes aléatoires de quatre personnes. Durant environ deux heures, chacun découvre ou redécouvre une ou un collègue, certains groupes organisent des jeux… C’est une formule qui est très appréciée et plus particulièrement par celles et ceux qui nous ont rejoints depuis peu. Elle complète les « parrainages – marrainages » qui ont une dimension plus professionnelle et individualisée.

Quant aux relations avec nos clients, elles n’ont pas été significativement modifiées. Celles-ci ont continué en ayant recours au téléphone et aux visioconférences. En interne, je note que nous  consolidons des procédures. Comme nous sommes un « cloud français », c’est à dire un espace informatique qui s’engage vis à vis de ses clients à ne faire aucun usage de leurs données, nous devons répondre à des critères de sécurité très stricts qui sont en outre régulièrement actualisés.

Nous sommes passés en environ deux ans d’un système où le télétravail était accordé ponctuellement pour des motifs personnels tels qu’une visite médicale, la réception d’achats… à un système hybride. Pour ma part, je suis à présent très satisfaite de rejoindre en moyenne mon bureau trois jours par semaine et d’effectuer les deux autres à notre domicile. S’éviter de longs temps de transport est appréciable car à la longue, ils s’avèrent usants !

La crise sanitaire a été un accélérateur de cette transformation des modalités de travail. Elle est selon moi irréversible et nombre d’entreprises où le télétravail s’est développé ne peuvent pas revenir en arrière sous peine de voir certains de leurs salariés les quitter.

Parole de Julie, le 4 mars, mise en texte par François

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