Parole d’avril 2020, mise en texte avec Vanessa
Avant le confinement, j’accompagnais des entrepreneurs. Je fais du conseil en stratégie d’entreprises et du coaching de dirigeants. Au tout début du confinement, j’étais « tranquille ». Comme je travaille de chez moi, Je n’étais pas impacté particulièrement par les mesures. Cependant, face à ce constat d’effondrement et de crise sanitaire, je me suis demandé ce que je pouvais faire.
Une amie m’avait fait passer une note qu’elle avait rédigée sur l’action des coréens face à cette crise. J’avais trouvé cette synthèse bien faite et très utile. Je l’ai retravaillée avec elle. Nous étions le 18 mars 2020.
Je connais bien l’appareil d’Etat, pour avoir été Directeur de Cabinet au Secrétariat du numérique avant de m’installer comme consultant. J’ai ainsi communiqué cette note, avec l’accord de mon amie, au Secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O. Il m’a fait un retour. Il était intéressé, me disant qu’il recevait plein de mails d’entrepreneurs qui lui parlaient de ce modèle coréen. De fait, toutes les forces numériques étaient axées sur l’offre de soins et pas du tout sur la réponse à la crise sanitaire, qui, elle, était mise de côté. En fait, tout le monde était accaparé par le besoin des hôpitaux et rien n’avait été fait concernant le numérique pour la réponse sanitaire et les enquêtes épidémiologiques.
J’avais également adressé la note à Jean-François Delfraissy, le Président du Conseil Scientifique. Ce papier s’est avéré être arrivé au bon moment. J’ai compris par la suite que le document avait beaucoup circulé dans « la machine » et fait « son effet ». J’ai encore compris qu’il y avait un vrai besoin, que je pouvais apporter mon aide et être utile sur les questions numériques. J’ai donc continué … et je me suis fait embarquer.
J’ai été officiellement missionné par le Directeur de cabinet du Premier Ministre pour « co-piloter la mission numérique sur le covid-19 », avec la Déléguée ministérielle au numérique du Ministère de la Santé. Puis, Jean-François Delfraissy m’a demandé de rejoindre son équipe en tant que personne ressource sur l’aspect numérique. J’ai été intégré au Conseil Scientifique puis nommé par décret le 3 avril dernier avec les autres, en tant “qu’expert en numérique”. J’ai eu de la difficulté pour nommer mon métier ! Je m’y suis prêté pour l’exercice. De fait, toute ma carrière a été axée sur le numérique. J’ai été directeur de l’innovation au sein d’une banque, Directeur de cabinet de la Secrétaire d’Etat au numérique …
Alors a commencé une période intense. C’était inattendu pour moi de me retrouver là ! J’ai plongé dans la gestion de la crise … Mon enjeu était de faire émerger un sujet qui était complètement sous les radars, le numérique comme ressource pour répondre à la crise sanitaire, et d’embarquer le plus de monde possible.
En premier, il s’agissait de continuer le travail de recherche, scientifique et opérationnel, pour évaluer la faisabilité de la mise en place d’applications de traçage de contacts. Il s’agissait de regarder tout ce qui émergeait sur ce sujet, mais qui restait sous le radar, concernant les solutions numériques pouvant aider les enquêtes épidémiologiques. C’est-à-dire identifier les cas positifs puis tracer leurs contacts, pour casser les chaînes de transmission du virus.
Ainsi, le process veut que, quand quelqu’un est testé positif au covid, il soit isolé. Puis, toutes les personnes avec lesquelles il a été en contact sont également retracées et si celles-ci sont testées positivement, elles sont également isolées. Ce processus pourrait permettre d’éviter le confinement.
A l’issue de ce travail, j’ai élaboré une note de synthèse de deux pages pour les cabinet du Premier Ministre et du Président, sur le sujet et ses enjeux.
Je n’ai jamais autant travaillé en terme de rythme que durant ce dernier mois : de 8h à minuit !
J’ai constitué une équipe avec des personnes que je connaissais déjà par ailleurs, notamment pour leur façon d’agir et de travailler. Durant ces semaines, j’ai eu beaucoup d’interactions au téléphone, pour dire à des personnes d’aller en rencontrer d’autres. Je les ai poussées à se parler.
Pour ma part, tout ce travail a été bénévole. De fait, ce statut était plus rapide et plus simple, d’autant que je ne souhaitais pas rejoindre les rangs des agents d’état. Je ne suis pas dans un besoin financier, mais j’ai « lâché » mes clients durant cette période…
Je considérais important que le sujet soit traité, notamment au regard de certaines dimensions et valeurs. En l’occurrence, quatre aspects me paraissaient essentiels : l’efficacité sanitaire, la liberté individuelle, le contrôle démocratique et enfin la souveraineté du numérique et du système de santé publique. En instruisant toutes ces questions, j’ai fait en sorte qu’elles deviennent un sujet dans les rouages des décisions, et à partir des contributions des personnes compétentes.
A partir du moment où j’ai été rassuré sur le fait que ces quatre aspects étaient bien pris en compte dans la solution numérique au service de la lutte contre le covid 19, j’ai choisi de mettre fin à ma mission. Pour la direction et la gestion du projet, j’ai alors proposé de passer le leadership au PDG de l’INRIA (le CNRS du numérique).
Il y a un mois, personne n’y avait vraiment réfléchi, le sujet n’existait pas au sein de l’Etat. Aujourd’hui, le Président en a parlé dans ses discours, on en parle dans les médias, le Conseil scientifique va s’exprimer dessus. Le sujet existe, est diffusé et approprié.
Désormais, je continue à être dans les réunions et être consulté. Mais j’ai retrouvé un rythme qui me convient mieux et des marges de manœuvre qui correspondent à mon mode opératoire.
Parfois, dans le domaine du numérique, il y a des formes de virus qui nécessitent d’être décodées en priorité…
Parole d’Aymeril, mise en texte avec Vanessa