Parole du 17 juin mise en texte avec Jacques
Pendant le confinement, un élu d’une commune où j’avais animé des ateliers m’a dit : “Est-ce que vous seriez d’accord pour animer des ateliers en ligne avec des logiciels comme Zoom ou autre ?” Je lui ai répondu que oui, même si je ne l’avais jamais fait. J’ai alors proposé d’organiser des ateliers plutôt par mails. Finalement, ça ne s’est pas fait. Mais l’idée a germé. Et j’ai proposé des ateliers à distance, mais par mails, à LADAPT, une association de reclassement professionnel pour des personnes ayant la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), pour laquelle je fais des ateliers d’écriture habituellement. La directrice de l’association a trouvé l’idée formidable.
Elle a proposé de me payer une heure trente, alors qu’habituellement je fais trois heures trente. Ça me permettait de continuer à être payée, beaucoup moins certes, mais tous mes autres ateliers ne fonctionnant plus, je pouvais continuer à travailler. J’exerce mon activité dans le cadre d’une coopérative d’activité et d’emploi. Celle-ci m’ayant proposé d’être payée en chômage technique, j’ai finalement proposé la gratuité pour ma prestation à LADAPT. Je ne perds que cinq euros par mois. Avec une des psychologues de LADAPT qui supervise mon travail, nous avons alors organisé les ateliers d’écriture par mails. Elle m’a envoyé les adresses de toutes les personnes. Celles-ci ont reçu une sollicitation pour participer à ces ateliers en ligne. Une quinzaine de personnes ont dit oui. Habituellement, je prépare les séances dans ma tête, ou j’écris des choses très précises. Là, il fallait obligatoirement tout préparer d’avance dans un mail pour lancer l’atelier en rassurant les personnes. Les gens n’avaient jamais fait ça en ligne, et moi non plus d’ailleurs … Il fallait donc tout écrire de A à Z. J’ai envoyé un mail avec le thème et la méthode, puis les participants m’ont renvoyé leur texte, par mail également. Les thèmes des ateliers que je proposais collaient à l’actualité du moment : “Le monde à ma fenêtre”, “Cuisine confinée” ou encore “Voyage immobile”.
Les textes que je recevais des participants, que je n’avais d’ailleurs jamais vus, étaient tous très différents en partant pourtant de la même consigne. Peu à peu, en lisant ces textes, j’ai appris à connaître la “petit musique” intérieure des différents participants. Les commentaires qu’ils partageaient avec moi manifestaient leur joie d’écrire qui éloignait d’eux la difficulté à vivre ce moment de confinement. Les textes de l’un d’entre eux revenaient toujours à raconter des événements très puissants de son passé. Je l’ai encouragée à écrire sa biographie, c’est alors qu’il m’a dit que sa famille aussi l’y encourageait ! C’est ainsi que des liens très personnels se sont tissé avec chacun d’entre eux.
Habituellement, après les ateliers, je récupère tous les textes, je les emmène chez moi et je les diffuse sur mon blog après avoir corrigés l’orthographe. Je les envoie aussi aux référents des stagiaires et à la direction de LADAPT. Les personnes qui suivent les ateliers le savent et peuvent demander l’anonymisation. Je les rends la semaine suivante. Je ne corrige jamais les idées bien évidemment.
Pour cette opération particulière à distance, j’ai renvoyé à tous l’ensemble des textes corrigés. Il y a eu cependant un événement regrettable. Une personne m’a dit qu’elle arrêtait parce qu’un participant avait critiqué son texte en lui disant qu’il était “nul”. En présentiel, c’est plutôt le contraire, les participants sont étonnés de la qualité de leur propre texte, et de ceux des autres. C’est très très rare que quelqu’un se moque. Pourtant certains se dévalorisent en disant en début de séance qu’ils “ne savent pas écrire”. J’essaie toujours de créer une atmosphère compréhensive et respectueuse. Je n’avais pas vu venir ce coup qui est terrible pour le groupe. J’ai appris après que la personne qui était critiquée était psychologiquement fragile.
Tous les jeudis, j’anime deux ateliers d’écriture d’une heure et demie chacun à LADAPT, avec dix à douze personnes chaque fois. Ces ateliers font partie du programme. Les personnes sont incitées à y participer, mais ils ne sont pas obligatoires. Les participants sont des personnes en situation de fragilité, pas forcément des personnes en fauteuil roulant. Des personnes qui ont besoin de se reclasser professionnellement, suite à un handicap de naissance, à un accident de la vie. Il peut y avoir des personnes cardiaques, ça peut être aussi des caissières ayant des troubles musculo-squelettiques qui ont besoin de se reconvertir.
Ma coopérative facture à LADAPT et, avec l’argent qu’elle en retire, elle me fait mon salaire. Pour pouvoir travailler pour LADAPT, je suis passée devant un jury et j’ai expliqué mon projet.
Les ateliers que j’anime à LADAPT ne sont pas purement récréatifs. Ils ne sont pas non plus thérapeutiques. Il y a des aspects ludiques, réflexifs, ou de transmission culturelle. On a fait un atelier sur le secret d’Aragon par exemple, ou des ateliers sur le Surréalisme. On a fait aussi des ateliers dans un musée. Je tiens essentiellement à conserver l’aspect ludique. Parce que toute la semaine, ces personnes sont en formation, souvent très intensive, alors qu’elles n’ont pas mis les pieds à l’école – certaines l’ont quittée à dix ou douze ans – depuis bien longtemps. C’est aussi un temps d’ouverture vers les autres. Parfois, ça peut être un exutoire. Quand on a travaillé sur le thème du secret, je ne voulais pas connaître les secrets de chacun, bien entendu. Mais une des participantes est venue me voir une semaine après la fin de l’atelier pour me dire qu’elle avait réussi à faire part à son père de son homosexualité. C’est un cas particulier mais très marquant. Pour moi, finalement, dans ces ateliers, il y a quand même une fonction thérapeutique en toile de fond, même si ce n’est pas l’objectif. Une personne m’a dit un jour : “Je ne ferai plus jamais mon CV comme avant depuis que j’ai participé à vos ateliers d’écriture”.
Cette année, avant la crise sanitaire, j’avais trois contrats : celui dont je viens de parler, qui a commencé en 2013, avec LADAPT, un second avec un lycée (vingt heures) et un troisième avec un foyer-restaurant pour des personnes retraitées.
Dans tous ces ateliers, qui appartiennent à des univers différents, je fais des propositions d’écriture diverses et variées. Ça peut être de la poésie, de la prose, écrire des haïkus, “Écrire sur son travail”, les thèmes sont très variés. C’est fonction aussi de l’actualité : pour les élections j’ai fait un atelier sur le thème “Quel est le candidat idéal ?”. Le ton peut être humoristique, délirant ou très sérieux. Pour la coupe du monde de football, j’ai fait un atelier sur le thème du sport. A Pâques, c’était sur le thème du chocolat. On a mangé du chocolat et on a écrit, à partir de nos cinq sens, notre perception du produit.
Un atelier classique se passe comme ça : on est tous autour d’une table, souvent j’utilise un tableau, parfois je fais passer des images, des textes ; parfois une même feuille circule entre les participants et chacun note des mots ou dessine. Je participe moi-même à l’atelier à chaque fois que c’est possible. Les résultats sont très variables. Certains savent à peine écrire et ils produisent des textes extraordinaires. Je leur dis : “Ce qui compte ce n’est pas la calligraphie ou l’orthographe, ce sont vos idées”. L’atelier dure une heure trente et durant le dernier quart d’heure chacun lit à haute voix son texte. Lors du partage avec les autres, l’émotion est parfois si forte que certains ne se sentent pas capables de lire leur texte. Il y a parfois des pleurs, ça peut être quelqu’un d’autre qui lit le texte, parfois c’est moi. Parfois aussi, un participant dans l’impossibilité d’utiliser un stylo s’installe à l’ordinateur et certains me dictent leur texte quand ils ont trop de mal à rédiger, par exemple pour une personne dyslexique.
Les méthodes sont toujours bâties sur le même schéma, mais elles peuvent être très différentes selon les sujets abordés et les milieux concernés. Dans un lycée, on a pu écrire des scènes de théâtre, des nouvelles, des contes ou des journaux de voyage. Dans une école, il s’agissait d’écrire un journal. J’ai même animé des ateliers d’écriture sur le thème de la rose pour un événement qui se déroulait au Parc de la Tête d’Or à Lyon. On est allés dans la roseraie observer la couleur des fleurs, les sentir, les toucher. Ensuite, on s’est rendus dans une salle. J’avais acheté de la confiture de roses… On goûtait donc les roses, adultes et enfants mélangés.
Comment est-ce que je m’y prends, en pratique, pour réussir à faire produire des textes à des gens dans les ateliers d’écriture ? Sur le thème du chocolat, à Vienne, en Isère, par exemple, j’ai demandé aux personnes de ne pas se précipiter : ne pas croquer immédiatement le carré de chocolat qui est distribué, mais l’observer, le casser pour écouter le bruit qu’il fait, le goûter et ensuite seulement écrire tous les mots qui leur viennent à l’esprit en utilisant leurs cinq sens. Je leur demande ensuite de trouver un mot par sens qui représente le mieux ce qu’ils ressentent, puis de prendre toutes les lettres de ces mots et de les mélanger. Ensuite, ils ont réutilisé ce matériau pour écrire un autre mot sur le thème du chocolat ou sur un autre thème. Je peux aussi leur demander de choisir un mot et, par association, d’en trouver un autre, ou un antonyme, puis de produire un texte sur le thème avec ce matériau.
Nous avons fait un atelier sur le thème “Elle entre dans l’ascenseur et les portes se referment”. Pour lancer l’écriture, j’ai demandé à chacun de dessiner un ascenseur. Ensuite, chacun passait sa feuille à son voisin et celui-ci devait écrire un commentaire sur le dessin. La feuille revenait ensuite à la personne et avec tous les mots écrits par les participants, en jouant sur le “pôle idéel” et le “pôle matériel”, elle devait écrire quelques mots et, avec tous les mots ainsi récoltés, elle devait écrire un texte commençant par “Elle entre dans l’ascenseur et les portes se referment”…
Les ateliers d’écriture, je pourrais en parler pendant des heures. Mais c’est aussi un métier. Je n’ai pas de diplôme, je n’ai pas fait d’école pour animer des ateliers d’écriture, je suis complètement autodidacte. Je participe à énormément d’ateliers d’écriture animés par d’autres avec toutes sortes de personnes. Il n’y a pas de diplôme reconnu par l’État, mais il y a des formations, à l’Université par exemple, ou dans des organismes spécialisés qui coûtent très cher. Pour résumer, c’est vraiment pour moi un métier-passion que j’exerce après avoir travaillé pendant 25 ans comme assistante sociale. C’est d’ailleurs un métier qui a quelque chose à voir avec le social, un vrai métier…
J’ai eu l’occasion durant ma carrière d’assistante sociale de faire une formation à la médiation et cela m’est utile quand il s’agit de réguler le fonctionnement d’un groupe un peu difficile. Mon ancien métier demandait de toujours être à l’écoute des personnes dans toutes leurs dimensions et c’est vraiment l’écoute qui fait le lien entre mon ancien métier et mon activité d’animation d’atelier.
L’objectif général des ateliers d’écriture, c’est de permettre aux personnes de prendre conscience qu’elles sont toutes capable d’écrire, comme le dit le Groupe Français d’Education nouvelle. Le principe est que les consignes que je donne et l’animation que je développe doivent débloquer l’imaginaire, même chez les personnes qui se disent sans imagination.
Parole de Martine, le 17 juin 2020, mise en texte avec Jacques

Souvent, quelques mots découpés dans une revue peuvent faire surgir l’idée d’un texte.
Stagiaire en formation dans le cadre de mon orientation professionnelle à Ladapt à Lyon, j’ai participé aux ateliers d’écriture à distance animé par Martine.
Pendant le confinement, c’était vraiment bien de pouvoir garder de la créativité dans cette période de manque de liberté.
Sensation de sortir, évasion, tout en restant chez-soi, liberté d’expression, pas de censure, juste des petits conseils éclairants.
Du baume au cœur!
J’en garde un excellent souvenir et cela à était pour moi un vrai moteur pour ma motivation, pour continué ma formation en télétravail.
J’exprime mieux mes idées depuis, à l’oral comme à l’écrit, j’ai gagné de la liberté à me dire.
Je vous remercie très sincérement pour tous les partages que nous avons eu et les belles idées qui grâce à vos thèmes ont pu me germer en tête.
Evelyne.
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