Soigner le cancer 4/20 – « Tout va bien aujourd’hui »

Manon, manipulatrice en radiothérapie

[…] Le patient que j’ai accueilli en cabine ce jour-là ne m’a même pas laissé le temps de lui demander son nom ni sa date de naissance, comme la procédure m’y oblige. Il me les a donnés de lui-même. Et il enchaîne « Tout va bien aujourd’hui. Mais vous n’avez pas de chance : enfermés dans votre bunker, vous ne voyez pas qu’il fait beau cet après-midi… ». Sa bonne humeur fait plaisir à voir. Elle est le signe que mon binôme et moi avons su instaurer une relation de confiance.

Je le laisse se préparer. Lorsque nous avons fini de prendre en charge le patient précédent, je le fais entrer dans la salle de radiothérapie. Pendant qu’on l’installe sur la table, on parle de tout et de rien tandis qu’une musique de fond égrène ses notes sous le ciel virtuel qui éclaire le plafond. […]

[…] Chacun est accueilli comme il est, avec son sourire ou avec la douleur qui l’accable, avec son humour ou sa tristesse, sa gouaille ou ses silences. Nous ne traitons pas les patients à la chaîne. On se connaît. Il y a des petits rituels, des phrases fétiches, des habitudes. À la longue, des signes de complicité apparaissent et se transforment en une sorte de connivence pour agir ensemble contre la maladie.

[…] Le soir, je quitte la clinique et ma blouse blanche, et je me retrouve dans la rue au milieu de passants inconnus parmi lesquels il m’arrive de croiser des patients. Ils sont entre deux séances, ou ont fini leur traitement. Sans ma tenue de soignante, ils ne me reconnaissent pas. Ils me dévisagent en ayant l’air de se dire : « Mince, sa tête me dit quelque chose… ». Et ils passent leur chemin. Nous nous reverrons peut-être dans le contexte de la clinique si l’on se croise lors d’une visite de contrôle ou lors d’une prochaine séance de radiothérapie. Alors, on retrouvera aussitôt la complicité qui nous réunit dans le même objectif : venir à bout de cette fichue maladie… 

Manon, manipulatrice en radiothérapie

Au fil des séances, je pense que j’ai épuisé la lecture des magazines entassés en vrac dans le porte-revues de la salle d’attente de radiothérapie. Je choisis, à chaque fois que c’est possible, la chaise la plus proche de cette provision de rêves sur papier glacé. […] Les patients qui entrent dans la cabine de déshabillage ou qui en sortent me ramènent à la réalité. Près de moi, mon épouse sort un livre de son sac bleu : c’est un ouvrage de Pierre Desproges qu’elle n’a pas oublié d’amener à mon intention. Parmi les citations, il y en a une qui nous fait rire : « Le cancer, je ne l’ai pas et je ne l’aurai jamais. Je suis contre ! ».

La porte s’ouvre, un manipulateur appelle mon épouse. Elle le reconnaît : c’est celui qui fredonne des airs pendant la mise en place sur la table de radiothérapie. Quelquefois, au début de la séance, sa collègue s’excuse : « – Il chante tout le temps…  J’espère que ça ne vous dérange pas… – Au contraire ! Surtout, laissez-le chanter… C’est bien ».

Pierre, accompagnant

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