Je ne suis pas une femme de distance

Pia, syndicaliste aux Hospices Civils de Lyon

Parole de décembre 2020, mise en texte avec Martine

Mon travail et la première de mes responsabilités c’est d’aller physiquement voir les personnels dans les services hospitaliers, c’est comme ça que la parole se délie. J’y vais souvent accompagnée par mes collègues syndicalistes, au moment de la pause la plupart du temps. On ne prend pas rendez-vous quand on va dans les services de soins, on sait qu’il y a un vrai besoin.

On essaie d’être le moins dérangeant possible, même si c’est compliqué aux urgences par exemple, on n’arrive pas toujours au bon moment. Les agents n’ont plus le temps de se déplacer pour venir nous rencontrer dans nos locaux syndicaux, les gens n’osent pas venir nous voir alors qu’ils sont en grande souffrance. Donc si je ne vais pas à leur rencontre il peut y avoir des situations qui nous échappent. Sur la première vague de l’épidémie de Covid19 c’était très compliqué, on ne pouvait pas rentrer dans les services covid, les échanges se faisaient par téléphone, par mail ou par visio avec WhatsApp. Ça a très bien fonctionné. Sur cette deuxième vague c’est plus simple parce que les restrictions sont un peu moins importantes. Ainsi, je peux connaître leur état d’esprit, et surtout je suis à l’écoute. Je prends un carnet et je note. C’est ce qu’on appelle chez nous faire des « tours de service ». Souvent, on y va parce qu’on a des informations à leur apporter, ils sont très demandeurs et leurs retours en tant que professionnels nous sont nécessaires. Et notre rôle, c’est de transmettre toutes leurs difficultés aux directions des établissements et de les obliger à trouver des solutions. 

Je suis responsable de la coordination CGT pour l’ensemble des groupements hospitaliers des Hospices Civils de Lyon et secrétaire du syndicat CGT du siège administratif, mais mon métier c’est préparatrice en pharmacie hospitalière. J’essaie de continuer à exercer mon métier, même si c’est de plus en plus compliqué, j’ai beaucoup trop de responsabilités à assumer.

En effet, je suis en lien direct avec la Direction Générale (DG) des Hospices pour tous les problèmes que l’on rencontre sur les différents groupements hospitaliers. Je suis seule devant la direction, mais ce n’est pas mon avis personnel que je défends, on travaille beaucoup les dossiers en amont, je suis porte-parole de la CGT auprès de la DG. Il y a un CHSCT par établissement, j’ai les retours de chaque secrétaire de syndicat. Et si, localement, ils n’arrivent pas à régler une situation, je prends le relais, je fais remonter les difficultés. Je siège en effet aux réunions du comité technique central d’établissement où je représente mon organisation syndicale. Elles se tiennent régulièrement sous la houlette du directeur général des Hospices Civils de Lyon. En plus des réunions que j’ai en centrale, je participe à toutes les réunions avec la direction ressources humaines et des affaires sociales.

Je suis en télétravail aujourd’hui mais c’est exceptionnel, je ne suis pas une femme de distance, je n’ai pas le choix et je dois être force d’exemplarité mais je le préfère le bugne à bugne. Et puis je me rends compte que je suis beaucoup moins virulente et sûrement moins efficace en visio que quand j’ai quelqu’un en face de moi car je je n’hésite pas à couper la parole. Je me rends en métro dans les bureaux à Lyon mis à notre disposition par les Hospices Civils de Lyon (un syndicat CGT par groupement hospitalier).

Il faut rappeler que, sur la période que nous vivons, les problèmes sont nombreux, les personnels sont en grande souffrance psychologique, ils subissent cette deuxième vague de plein fouet. Lors de la première vague il y avait une incertitude sur ce qui était en train d’arriver, nous étions donc tous dans l’expectative. Personne ne savait à quoi on allait être confronté. On s’en est rendu compte très vite. Ce qui a été le plus mal vécu, particulièrement incompréhensible et difficile, à accepter par les personnels c’était le manque de moyens matériels. Nous sommes le deuxième CHU de France, ce qui n’est quand même pas rien ! On nous a dit qu’on allait manquer de masques, de tabliers. On nous a même demandé, à un moment, d’utiliser des sacs-poubelle ! On avait des moyens financiers parce que le gouvernement avait promis une compensation financière vis-à-vis du covid mais on était confrontés, comme le plus grand nombre d’hôpitaux, à une demande bien plus importante que l’offre.

Le fonctionnement de l’hôpital a été complétement réorganisé pour faire face à cette vague de covid. Comme le personnel ne sort pas du chapeau, on a carrément fermé des services. C’est la conséquence de ce que l’on dénonce depuis des années. C’est aussi sur ce point que je suis très vigilante et que je demande régulièrement à avoir des informations. On nous dit que l’on n’a pas le choix et que l’activité ordinaire va reprendre mais c’est impossible avec des services de réanimation qui sont à la limite de la saturation. Il faut qu’on soigne, mais pas dans ces conditions. J’insiste sur ce point : je constate un véritable épuisement professionnel car tout le monde fait le maximum pour tenir le coup. Je ne sais pas si la population peut le comprendre. Physiquement, c’est quelque chose d’intenable et psychologiquement c’est pire. Être confronté à la mort et à la souffrance et même si la plupart des personnels y sont prêts, mais là, c’est trop ! Et ça devient parfois vraiment compliqué de prendre ses jours de repos, RTT ou congés annuels et pourtant ils ne peuvent pas être mis de côté. Donc l’un de mes autres rôles est de m’adresser directement au directeur de l’établissement ou au directeur des ressources humaines et de lui demander des explications quand le refus de RTT ou de congés annuels n’est pas suffisamment motivé, j’estime même que c’est une question urgente. Je suis là pour porter la parole des soignants, c’est mon travail. Les vacances de Noël arrivent, l’une des premières demandes les agents : va-t-on pouvoir partir ?

Je siège également au conseil de surveillance où je représente l’ensemble du personnel non médical des Hospices Civils de Lyon. C’est une instance très politique puisque le président du conseil de surveillance est le maire de Lyon. Lors du dernier conseil de surveillance, le premier où siégeait Grégory Doucet, le nouveau maire de Lyon, je suis allée le saluer et me présenter. « Bonjour, Pia Boizet, représentante syndicale de la CGT au conseil de surveillance ». Il me répond qu’il ne me connaît pas. « C’est normal, je lui ai dit, mais vous n’allez pas tarder à me connaître ! ».

Bien sûr j’écris et je lis pour mon travail. Cela me prend beaucoup de temps, à la CGT je suis toute seule à le faire, je scrute et j’analyse tous les décrets qui sortent régulièrement au Journal Officiel et aussi toutes les informations quelques soient leur origine, quand elles ont de possibles répercussions pour le personnel hospitalier. Mais, pour moi la meilleure façon d’informer le personnel, à part bien sûr les mails, les tracts et les réunions, c’est de mettre ces informations sur Facebook. Je réponds aussi à des interviews. Quand on a lancé un préavis de grève, pendant la deuxième vague par rapport au service de réanimation, j’ai été très sollicitée en tant que responsable CGT par les les radios, journaux, télévision. C’est mon rôle mais ce n’est pas celui que je préfère. J’aimerais mieux que ce soit des gens plus jeunes et que ça ne soit pas toujours la même. J’ai un petit peu de mal à mettre en place le groupe communication mais je pense que je vais y arriver. Répondre médiatiquement sur des sujets aussi importants c’est une obligation, on a besoin d’informer la population. Ce combat que l’on mène : besoin de personnel, de lits, de matériel, ce n’est pas parce qu’on est militants syndicaux, ou pour embêter la direction générale. C’est pour nous, c’est pour nous faciliter le travail, mais c’est surtout parce qu’on a besoin de soigner, et de soigner correctement. Et le seul vrai relais que l’on a, malheureusement ce sont les médias.   

Mais je ne suis pas toute seule. Pendant cette période de crise sanitaire, la plus prégnante, et difficile, on a un point régulier une fois par semaine avec la DG des HCL pour qu’elle nous tienne informés de l’évolution. Je fais d’abord un point avec les militants de la CGT sur les questions que nous souhaitons aborder puis, fait rarissime, parce que c’est assez compliqué d’habitude, on travaille avec les cinq autres organisations syndicales. Ce matin encore j’ai demandé un point spécifique à la DG parce qu’il y a des annonces médiatiques qui nous disent que l’on va déconfiner le 15 décembre. Mais nous, à l’hôpital, on est loin d’être satisfaits de ce qui se passe puisque le nombre de patients en réanimation ne diminue que très très lentement. Ce qui veut dire que notre capacité d’accueil est encore très limitée.

Dans mon travail de militante syndicale ce que je n’aime pas faire c’est négocier et être obligée de faire des concessions, difficile de ne pas trahir les agents dont les idées sont parfois en contradiction avec mes convictions de militante syndicale CGT. Par exemple, certains sont contents de leur rythme de travail parce que ça limite le nombre de jour de présence à l’hôpital. Ils travaillent douze heures d’affilée, ont un repos, puis font encore deux fois douze heures et après ils ont trois jours de repos. Ce que l’on essaie de leur expliquer c’est que tant que l’on est jeune, ça va. Mais les agents sont complètement déréglés physiologiquement. Et plus l’on vieillit, plus ce rythme va devenir pesant. Et on n’arrive pas à les convaincre malgré les statistiques que nous leur communiquons. Cette organisation est assez récente à l’hôpital, sept ans tout au plus. Et on commence maintenant à en voir aujourd’hui l’impact. Les métiers qui sont très sollicités comme les aides-soignants, sont physiquement fracassés ! Et après ils sont mis en invalidité parce qu’ils ne peuvent plus travailler à l’hôpital, c’est dramatique. Le matin ce qui fait me lever c’est souvent ma colère, parce que j’ai ruminé toute la nuit sur toutes les choses que je dois faire. Il y a un truc que je ne supporte pas c’est l’injustice, j’ai cette force-là de dénoncer toutes les dérives, c’est ma première motivation. Je défends le service public bec et ongles parce qu’on en a vraiment besoin. Et tout le monde devrait comprendre, après ce qu’on a vécu, que si on n’avait pas eu les hôpitaux publics, pour faire face à la crise, on serait vraiment allé à la catastrophe sanitaire ; malgré un poids hyper important sur le personnel, on a une énorme capacité d’adaptabilité.  

Nous sommes dans une période transitoire aux HCL puisqu’à partir de l’année prochaine, et selon une application locale du décret de la fonction publique, il y a beaucoup de choses qui vont changer. Notamment la suppression de la note chiffrée, ce qui angoisse énormément le personnel. Les années précédentes les avancements de grade se faisaient d’abord grâce à cette note et à l’ancienneté dans le grade. Maintenant ce sera laissé à l’avis du cadre, et s’il décide de te barrer, c’est dramatique. On connaît les situations des agents vis-à-vis de certains cadres. Les organisations syndicales n’auront que peu leur mot à dire.

Être syndiqué c’est important parce que c’est la force du syndicat et malheureusement il y a de moins en moins de gens qui se syndiquent. Bien sûr nous sommes très sollicités sur la défense individuelle, par contre la deuxième démarche qui serait d’adhérer au syndicat parce que c’est ce qui fait notre force, on n’y arrive pas et pourtant ils votent pour nous. Il est vrai aussi que je ne propose pas l’adhésion, c’est peut-être là où bât blesse, c’est un automatisme que je n’ai pas. Mais ça, c’est mon côté social.

Se faire engueuler ça fait partie des choses qu’on doit accepter, on ne peut pas satisfaire tout le monde, les gens le comprennent. La CGT est la première organisation syndicale au Hospices, c’est que les agents nous font confiance. Dernièrement, en réunion de direction générale, le secrétaire général a demandé ce que les agents apprécieraient. Les autres organisations syndicales ont proposé un soutien psychologique, ce qui peut être intéressant. Moi, je savais très bien que pour Noël, ils préféraient une reconnaissance financière. Chacun des 23 000 agents (et les contractuels !) a obtenu des bons pour une valeur de 150 €. Pour les Hospices ça fait une sacrée somme ! Ah ! Je suis fière de moi ! Le tract est prêt…

Parole de Pia, décembre 2020, mise en texte avec Martine

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