Le métier de guide conférencière à l’épreuve du virtuel

Émilie, guide conférencière

Parole du 15 novembre 2020, mise en texte avec Christine

Pour découvrir son travail sur le terrain, voir aussi le texte « Versailles pour tous les publics »

Au mois de mars, j’ai eu de grosses angoisses à l’annonce du confinement général. À Versailles, nous nous étions tous dit « à dans quinze jours ! » quand ils ont fermé le château. Mais j’avais très peur que la RMN, la Réunion des Musées Nationaux, nous mette en chômage technique, donc à 80% de mon salaire. Quant à mon autre activité, de guide conférencière indépendante…

Par chance, la RMN a mis les guides conférenciers en télétravail sur de nouveaux thèmes de visites, donc elle m’a payée à 100%, chez moi alors que j’ai une heure et demie de transport pour aller à Versailles. Et un de mes groupes habituels, pour qui je travaille en tant qu’auto-entrepreneure, m’a très vite appelée en me proposant des conférences virtuelles. J’ai pris un abonnement sur zoom et on a décidé d’en faire une par semaine. J’ai alors démarché mes autres groupes. Mais en mars je n’en avais que deux qui voulaient ces conférences en vidéo. Ça a beaucoup réduit mon activité privée, sur laquelle je compte financièrement.

Au confinement de novembre, d’autres groupes m’ont tout de suite dit « on passe à zoom ». Les gens ont pris le réflexe d’aller vers le virtuel. Je m’en sors mieux qu’au printemps, même si cette année je ne ferai pas la moitié de ce que je fais normalement avec mes conférences privées. En principe je fais les trois quarts de mon année à l’automne, dont les expositions sont toujours plus accrocheuses que celles du printemps.

Néanmoins, j’ai du mal à dire que c’est dur pour moi parce que j’ai aussi mon salaire à la RMN, je peux payer mon crédit, je peux manger. Un de mes amis n’a pas travaillé depuis le 28 février, une autre a vendu son appartement, elle est partie chez ses parents, une autre encore prépare le concours du CAPES d’Anglais… Pour eux c’est la catastrophe, alors que c’était déjà dur avant. Les touristes américains ont mis deux ans à revenir après les attentats de 2015, il y a eu ensuite les gilets jaunes, puis les grèves de transport. Et aujourd’hui on nous explique que la culture ce n’est pas essentiel !

Dès que la RMN a été mise en ordre de marche, j’ai reçu du travail à faire chez moi dans mes deux spécialités : les visites guidées du château de Versailles et l’art moderne et contemporain. J’aime beaucoup Versailles, j’ai écrit mon mémoire de fin d’études sur le XVIII° siècle, mais j’aime aussi parler d’autres sujets. A la RMN, je fais partie des conférenciers « étiquetés » XX° – XXI° siècles. Par exemple, le 28 novembre j’en ferai une sur le Pop’art. Ensuite, j’aurai un cycle d’art contemporain. Le manager qui s’occupe du pool de conférenciers de Versailles m’a chargée de reprendre une visite que l’on fait habituellement et de réaliser une trame pour les collègues qui ne traitaient pas ce thème. Quant à la manager qui s’occupe des conférences auditorium, c’est-à-dire un power point devant un amphi, elle m’a demandé des conférences d’histoire de l’art, en me donnant des jours pour faire ce travail.

L’activité de préparation des conférences fait partie de mon travail à la RMN. J’ai pu le faire chez moi parce que je disposais des ressources documentaires. Je fais de l’histoire de l’art depuis vingt-cinq ans, j’ai une bibliothèque très fournie sur mes sujets de cœur. Pour le Pop’art, non seulement j’étais au point, mais j’avais les livres à ma disposition. En mars, les bibliothèques étaient totalement fermées. Aujourd’hui, en novembre, nous n’avons pas d’attestation de l’employeur nous permettant d’aller à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Bouclés chez nous, confinés, nous n’avons pas forcément les ressources nécessaires pour télé-travailler. Pour ma part, je devais reprendre une visite que j’avais déjà travaillée pour des adultes et des abonnés. Il s’agissait de la remodeler, la réduire en temps et d’alléger le discours pour qu’elle soit plus accessible aux scolaires et à ce qu’on appelle le champ social, c’est-à-dire les publics éloignés du musée. C’était facile, j’ai eu de la chance.

J’ai donc rendu ma trame, extrêmement synthétique, où j’ai inscrit la problématique, les lieux et les sujets abordés. Et bien entendu, l’essentiel : la bibliographie. Le risque de ce genre d’exercice est de livrer un contenu réutilisable par des intervenants divers. Les musées comprennent qu’il y a de la propriété intellectuelle derrière ce travail et donc ne nous demandent pas des trames trop détaillées. La propriété intellectuelle, une question qui est devenue vraiment importante en ce moment !

Une conférence sur zoom peut très bien s’enregistrer. Tout va alors dépendre de la confiance que j’ai envers les gens qui sont derrière l’écran. Une de mes clientes me dit que son public est trop âgé pour se connecter à des conférences en direct. Alors même si je pense qu’elle sous-estime ses auditeurs, j’enregistre les conférences, toute seule devant mon ordinateur. Ce n’est pas le plus agréable. Ensuite, elle la diffuse via une plate-forme, Viméo. Normalement ce n’est disponible que pendant quatre jours et on ne peut pas enregistrer la vidéo. Mais il y a bien des gens qui entrent dans les systèmes informatiques du Pentagone ! Alors… Et qui me garantit que ma cliente ne vend pas ma conférence à d’autres personnes ? Alors, je prends le parti de me dire que je travaille avec elle depuis dix ans et que je la crois loyale, bien qu’elle n’ait pas tout à fait compris mes réticences initiales quand je lui ai parlé de propriété intellectuelle. Je me dis aussi que je ne dois pas être trop rigoureuse sur ces aspects, parce qu’en ce moment on ne peut pas se le permettre avec le manque à gagner de la crise sanitaire.

Alors bien sûr, quand je présente une exposition à un groupe, par exemple de photographies, ce n’est pas mon exposition. En revanche, c’est ma manière de me l’approprier, d’expliquer la photographie, de faire des références à d’autres photos qui ne sont pas présentées dans l’exposition. Ma manière sera différente de celle de quelqu’un d’autre. Alors mon travail peut être récupéré. Bien sûr une conférence sur zoom n’a rien à voir avec une visite guidée dans l’exposition. Avec le groupe que j’avais hier soir sur zoom autour de l’exposition Man Ray et la mode, nous attendons avec impatience la réouverture des musées. Nous comptons bien aller visiter ensemble l’exposition Matisse à Beaubourg. Elle est prévue jusqu’au 21 février.

Émilie, guide conférencière, parole du 15 novembre 2020, mise en texte avec Christine

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