Parole du 21 décembre 2020, mise en texte avec Christine
Est-ce que le militantisme est un travail ? En tous cas, c’est le travail que je me donne, avec l’association HumaPsy, où il faut avoir eu une expérience de la psychiatrie en tant que patient pour être membre actif, et où les tâches sont partagées, ça tourne. La notoriété d’HumaPsy est encore faible mais les réseaux sociaux fonctionnent bien.
C’est Fred qui s’occupe de Face Book et du blog. Avec lui et Mathieu, le président, nous formons aujourd’hui le bureau ; le conseil d’administration est composé de sept personnes . Ils ont créé l’association HumaPsy, avec d’autres patients du centre Antonin Artaud, en décembre 2011, l’année où a été votée la loi dite du 5 juillet. Je les ai rencontrés dans des manifs parisiennes contre ce projet de loi qui me touchait directement car j’étais en « rupture de soin », comme disent les services de psychiatrie. La loi promettait une avancée des droits avec l’introduction d’un juge pour vérifier la légalité des hospitalisations sous contrainte. Avancée « mesurée », comme le montre bien le film « 12 jours » de Raymond Depardon. Mais, surtout, elle introduisait la possibilité d’imposer aux patients des « soins » sous contrainte, en ambulatoire, en dehors de l’hôpital. Sous la menace d’une ré hospitalisation.
De mon côté, à Paris, j’avais eu affaire à une psychiatrie totalement à l’opposé de la psychothérapie institutionnelle qui est pratiquée au centre Artaud. J’en ignorais tout, comme la plupart des gens. Je m’attendais à ce que la riposte contre ce projet de loi vienne uniquement des patients et de leurs proches, car j’imaginais que tous les soignants étaient comme ceux que je connaissais. Ils devaient donc se frotter les mains puisque cette loi allait leur faciliter la tâche pour imposer aux patients de suivre leurs traitements au long cours. Et là, j’ai découvert un collectif de professionnels qui s’inquiétaient, qui dénonçaient cette loi sécuritaire, expliquaient que le « soin sous contrainte », ce n’est pas du soin. C’est comme cela que j’ai commencé à militer, début 2011, au collectif des 39. Et que j’ai rencontré les patients du centre Artaud dans les manifs, derrière l’Assemblée Nationale, devant le Sénat, et enfin place de la République en juillet, quand on avait perdu. A la tribune il y avait deux gars de Reims, avec écrit sur leurs tee-shirts : les Fous Autonomes de Champagne ! Alors quand ils ont fondé HumaPsy, je suis allée en train à Reims pour adhérer. Ça devait être début 2012, puisque je me souviens avoir fait le voyage dans le même wagon que François Hollande, alors en campagne électorale…
Au début, la bannière de notre blog était : « des humains impatients pour une psychiatrie humaine ». Maintenant c’est « des humains psykotiks, psykophrènes, psykolaires, psychopprimés ». Nous sommes une soixantaine de membres « actifs », la plupart à Reims et quelques-uns qui ont adhéré depuis Paris, Lyon, Grenoble et Caen. Une centaine de membres « d’honneur » nous soutiennent mais ne sont conviés qu’à l’assemblée générale une fois par an, et n’ont pas le droit d’y voter pour élire le C.A.
La première chose que l’on a faite, en 2012, c’est le Forum Fou, pour créer de la rencontre et discuter, au-delà des gens qui sont déjà acquis et qui pensent comme nous. Nous avions loué une barge à Paris, « Le petit bain », avec une salle pour les débats. C’était un gros travail d’organisation : penser l’événement, faire le programme, distribuer les tracts, mettre des affiches dans les cabines téléphoniques de l’hôpital Sainte-Anne…
Il y a aussi les Semaines De La Folie Ordinaire, à Reims, au moment des Semaines nationales d’Information sur la Santé Mentale. La SDLFO pendant la SISM ! C’est une sorte de contrepoint au cahier des charges officiel, dont les patients ont eu l’idée pour prendre en main la communication qui les concerne. Le programme est conçu entre soignants et soignés et ils proposent des débats, des spectacles, des expositions. HumaPsy a contribué à les développer à Paris. Là, c’est plus ambitieux parce que l’on va tisser des liens avec des gens qui ne se connaissent pas, que ça entraîne davantage de monde. C’est moins confortable aussi, parce qu’il faut convaincre des gens avec qui on n’est pas forcément d’accord et se faire comprendre. Ce n’est pas évident quand on n’arrive pas avec les mêmes regards sur la psychiatrie, avec les mêmes expériences du « soin ».

En 2014, nous avons été parmi les associations qui ont lancé la première Mad-Pride en France. Pour nous c’était une façon de créer un espace de revendication qui ne soit pas limité aux discours convenus, pour déstigmatiser les personnes psychiatrisées. Concrètement, cela veut dire louer un camion plateau, fabriquer des tonnes de pancartes, venir avec une sono et un groupe électrogène, inviter les gens, essayer de faire passer le concept de Mad-Pride. C’est beaucoup mieux quand plusieurs associations s’y mettent, ça fait davantage de chars ! Certains ont refusé tout de suite : « Quoi ? Défiler dans la rue avec un entonnoir sur la tête ? Non mais vous me prenez pour un zozo ou quoi ? ». Avec d’autres nous en parlions depuis longtemps, mais ce n’est pas facile, parce qu’on devait faire consensus entre des gens qui ne racontent pas la même chose, voire qui disent des choses qui sont pour moi très problématiques. Il faut aller vers le plus petit dénominateur commun. Par exemple, pour le logo, nous avions apporté celui de la Mad-Pride de Toronto. On nous a dit, « pas assez souriant le personnage », « et puis on ne voit pas ses jambes ». Quelqu’un a même dit « vous ne trouvez pas qu’on dirait une femme en … heu … une musulmane, quoi ? » On a compris le message et on est revenus avec une proposition fabriquée maison. Le bonhomme qui brise ses chaînes avait un grand sourire, mais il n’a pas fait l’unanimité non plus … alors on l’a gardé pour nous, pour HumaPsy. Finalement, ils ont repris le logo d’une Mad-Pride irlandaise : un clown grimé… Grrr !
Ce n’est pas facile non plus de travailler avec les associations de familles. Elles sont souvent en première ligne avec leur proche, c’est à dire chargées de la bonne observance du traitement… On comprend qu’elles se sentent soulagées si les patients sont obligés de prendre leurs médicaments. Qu’elles aient pu se dire que la loi de 2011 allait contraindre les équipes à suivre les patients après l’hôpital. Moi, je me bats pour des lieux où on ne propose pas que du médicament, où la relation est l’essentiel du soin psychique. C’est une conception très différente, surtout aujourd’hui où une certaine psychiatrie s’occupe du cerveau et considère que le psychisme n’est pas son boulot. Donc, je me donne pour travail de faire connaître une psychiatrie que nous savons plus humaine.
Bref, ce n’est pas toujours simple de travailler avec les autres. J’essaie de les comprendre, surtout si leur discours m’apparaît comme totalement adversaire. Par exemple, si j’entends parler d’un psychiatre qui est très admiré ou très suivi, je veux comprendre pour quelles raisons. Je vais alors écouter tout ce qu’il a dit sur YouTube, ses conférences, sa communication, pour comprendre comment il articule ses arguments, les choses sur lesquelles il semble faire consensus même si certaines m’horrifient. C’est ce que nous faisons tous, ensuite nous en parlons, nous échangeons au sein de l’association.
Il arrive de temps en temps que l’association soit conviée par une école, d’éducateurs, d’infirmiers, de psychologues, pour raconter des histoires de patients sur la psychothérapie institutionnelle. Là, j’ai une position qui n’est pas celle du savoir intimidant d’un professeur. Ça aide à ouvrir les oreilles sur cette philosophie des soins, parent pauvre des programmes de formation.
Parfois la demande peut arriver par des étudiants, comme ceux de Lyon qui étaient venus nous écouter au Forum Fou de 2012 à Paris. Ils n’avaient jamais entendu parler de psychothérapie institutionnelle dans leur fac. Souvent, c’est à l’initiative d’un professeur qui cherche un témoignage pour étayer son cours. C’est ce que j’ai fait deux ans de suite avec Fred et Mathieu à l’IRTS – Institut Régional de Travail Social – de Montpellier. Fred et Mathieu ont expliqué leur expérience du centre Artaud. Moi, je suis venue en complément pour décortiquer les discours dominants qui cachent de l’idéologie sous la science, qui répandent l’idée que la maladie mentale serait une maladie comme les autres, comme le diabète. Manière de vous dire que vous aurez des médicaments à vie et que la psychothérapie ne servirait à rien.

Je n’ai pas d’intervention écrite préparée. Chacun de nous trois parle un peu pour expliquer les objectifs de l’association, puis les étudiants posent leurs questions. Nous utilisons souvent un film : « de l’écoute, pas que des gouttes ». Quand les étudiants l’ont vu avant notre intervention, ils ont réfléchi à leurs questions, et on est instantanément dans le dialogue. C’est là que c’est le mieux. Ces jeunes n’auront peut-être jamais l’occasion de pratiquer la « psychothérapie institutionnelle », mais on se dit que nos interventions soutiennent leur désir d’être des soignants, leur vocation du côté de la relation, que donc cela sert à quelque chose.
Nous intervenons peu, une ou deux fois par an les bonnes années ! Je pense que nous devrions construire une proposition et la diffuser. En effet, il est devenu très à la mode de faire appel à des « patients experts ». C’est l’endroit où je me sens le plus utile. En général, nous sommes souvent les trois mêmes à intervenir. Je nous appelle « HumaPsy mobilité ». Pour les autres adhérents, c’est plus compliqué, soit qu’ils habitent loin de Reims, soit qu’il leur soit difficile d’envisager un déplacement. Sauf pour la Mad-Pride à Paris : là, tout le monde est venu en bus, en train…
Et nous publions des informations sur nos actions sur le blog d’HumaPsy, ou les articles qui parlent de l’association, mais je m’en occupe peu. J’ai beaucoup de facilité à trouver des slogans, mais pas pour écrire des textes, ni même des mails parfois. Mais comment faire sans l’écriture dans le militantisme ? Facebook est efficace pour relayer des informations : on partage des articles écrits par des gens qu’on aime bien, des choses que l’on pense utiles côté patients. Par exemple, pendant le confinement, quand enfin il y a eu une case pour les personnes handicapées dans les attestations de déplacement, sans limite de temps, on a mis l’information. En espérant que la police était aussi au courant !

Avec ce confinement, toutes les activités supposant que des gens soient réunis dans une même salle étaient annulées. Il n’y avait plus que Facebook et Zoom. Dans une certaine mesure, le confinement du printemps était presque un moment de soulagement, tout était en pause. Sur le balcon les marguerites ont passé l’hiver. J’ai fait pousser les graines d’un potiron.
Parole d’Olivia, du 21 décembre 2020, mise en texte avec Christine
Une réflexion sur « Pour une psychiatrie humaine »