Parole du 9 juin 2021 mise en texte avec Roxane.
Depuis 2 ans je fais partie de la Commission des usagers de l’hôpital Quimper Concarneau. C’est une des instances considérées par le ministère de la Santé comme organisant la démocratie sanitaire en France. La Commission des usagers travaille sur les réclamations courrier ou téléphoniques déposées à l’hôpital par les patients ou leur famille. Des réunions de conciliation peuvent être proposées entre le patient ou sa famille, un membre de la Direction, le médecin conciliateur et un représentant de l’usager. Par exemple, une famille s’est plainte du manque d’empathie du service d’accueil en face du patient et de la famille en visite. Après étude des dossiers de l’année précédente, nous proposons des axes d’amélioration pour faire en sorte que les choses s’améliorent.
Retraitée de la fonction publique hospitalière, j’ai travaillé à l’hôpital de Montluçon à la DRH et au secteur hébergement des personnes âgées. J’étais administrative et non pas soignante. Quand j’ai arrêté de travailler, j’ai pris le relais sur le comité de défense de l’hôpital de Montluçon. Puis quand je suis arrivée à Concarneau en 2014, je me suis inscrite dans celui de l’hôpital de Concarneau dont je suis l’une des quatre porte-parole. Je suis aussi membre du bureau de la Coordination Nationale, l’organisme qui regroupe l’ensemble des Comités de défense de l’hôpital, créée en 2004 après la lutte pour la défense de l’hôpital de St Affrique.

L’hôpital de Concarneau disposait de tous les services pour un bassin de population de 50 000 habitants. Malgré de longues luttes, depuis 92, contre des fermetures, cet hôpital a été remanié. Aujourd’hui le Centre Hospitalier Intercommunal (CHIC) situé à Quimper avec un site sur Concarneau est le résultat de la fusion entre l’hôpital de Concarneau et celui de Quimper. Lors de la fermeture de la chirurgie et de la maternité, l’Agence Régionale d’Hospitalisation, l’ancêtre de l’ARS, avait garanti le maintien des urgences 24 heures sur 24. Malgré cela les urgences ont fermé la nuit, elles ont fonctionné dans un premier temps de 7 h à 20 h. Depuis plusieurs années elles ne sont ouvertes que de 9 h à 19 h. Ce n’est plus un service d’urgence ! Les gens sont obligés d’aller sur Quimper après 19 h, ce qui, pour beaucoup de communes du bassin, est au-delà d’une demi-heure. Depuis 2018 nous n’avons plus de SMUR (Service Mobile d’Urgence et de Réanimation) la nuit, malgré une forte mobilisation de la population, des élus et des médecins urgentistes du pays.
Au sein de la Commission des Usagers de l’hôpital, à Quimper la direction nous sollicite beaucoup. La difficulté des établissements de santé est la conséquence d’une politique d’austérité menée depuis des années. On est confronté à des mesures qui relèvent de la politique nationale de santé et du manque de moyens accordés au niveau national. Par exemple, on nous a présenté un service qui s’appelle « service de gestion des flux » chargé de l’occupation des lits à l’hôpital Quimper Concarneau. Il y a un cadre infirmier et trois infirmières à 80 % qui gèrent le flux des patients notamment suite au passage aux urgences. Ces quatre personnes passent tout leur temps à jongler avec le nombre de lits disponibles sur l’établissement. C’est évident : il n’y a pas assez de lit ! Cet état de fait dépend du gouvernement. La Commission des usagers n’a pas de pouvoir décisionnel, c’est juste une instance consultative. Tout ce qui relève du manque de moyens et d’effectif ne va pas bouger. En plus, nos requêtes ne remontent pas plus haut que le niveau de l’établissement. Je doute que le directeur le fasse, il n’est pas là pour ça, il est là pour appliquer ce qui tombe du ministère et de l’ARS. Il gère la crise. Il est fréquent, lors des réunions de la commission des usagers que l’on me réponde : « On peut ne peut pas faire autrement. » « Madame Derrien on n’y peut rien ! »
Nous avons peu de relation avec l’ARS. La dernière fois que le Comité de Défense a été reçu, ce fut en 2019, à la fermeture du SMUR de nuit, alors que les élus s’étaient mobilisés. C’est quand nous avions fait du forcing en pique-niquant devant ses locaux à Quimper. On a distribué des documents expliquant l’état des lieux et les manquements. Il y a eu des petites avancées : l’équipe des urgences au quotidien a été renforcée par un cardiologue et un médecin généraliste, mais ce n’est pas suffisant. Pour ce qui ne semble pas relever de l’urgence, à Quimper comme à Concarneau, les gens sont réorientés vers la médecine de ville où vers SOS médecin (uniquement sur Quimper). A Concarneau il va y avoir l’ouverture d’une maison médicale de garde avec des médecins libéraux qui assureront des permanences aux horaires où les cabinets médicaux sont fermés … de 19 h à minuit, les samedis après-midi, les dimanches et jours fériés ! Mais cela reste de la médecine de premier recours.

Ce ne sont pas de véritables avancées. La tendance est de considérer que le service d’urgence ne doit répondre qu’aux urgences vitales : infarctus ou corps en miettes. Ce qu’on estime être l’utilisation abusive des services d’urgence, ce qu’on appelle souvent la bobologie, concerne relativement peu de personnes. Aujourd’hui pour une entorse il faut aller voir le médecin généraliste qui vous prescrit une radio. Dans le meilleur des cas vous aurez le rendez-vous dans les 15 jours si tout va bien. Vous avez donc deux consultations à payer : le généraliste et la radio. Et votre entorse continue d’enfler ! Aujourd’hui les médecins généralistes ne suturent plus les plaies. Alors que faire ? Sur pas mal de territoires, il n’y a plus de médecins généralistes. Donc la seule solution, c’est d’aller aux urgences. Un autre problème est le coût. Pour les personnes en difficultés socio-économiques, le service des urgences permet une prise en charge sanitaire sans avance de frais, c’est une donnée importante à prendre en compte dans le contexte social actuel. Aujourd’hui tout le monde devrait avoir de quoi se soigner et ce n’est pas le cas. Si les urgences ne fonctionnent pas ou mal, qui d’autre aujourd’hui peut permettre l’accès aux soins urgents ou ressentis comme tels ?
La Coordination nationale ne compte qu’une quinzaine de représentants dans les instances hospitalières en France. Ce qui est très très peu. Même si la Coordination Nationale est agréée auprès du ministère, en tant qu’association d’usagers de la santé, nous avons très peu de réponses positives quand on présente des candidatures. Les ARS désignent plutôt des personnes proposées par France Association Santé, anciennement CISS (Collectif inter-associatif en santé), association qui regroupe des associations de malades, comme la Ligue contre le cancer, l’UNAFAM pour la Psychiatrie…
France Asso-Santé a été créée par décret suite à la loi « ma santé 2022 », ce qui pour la Coordination Nationale, comme pour trois autres associations, représentait un déni total de démocratie, raison pour laquelle nous avons fait un recours en Conseil d’Etat. Si nous n’avons pas obtenu gain de cause, le rapport précisait que France Asso Santé ne pouvait pas avoir le monopole pour la désignation des représentants dans les instances, ni pour leur formation.
Malgré tout, notre représentation reste très limitée dans les instances et, surtout, nous avons du mal à nous faire reconnaître comme organisme de formation pour nos adhérents. Être dans ces instances nous permet aujourd’hui d’avoir de l’information sur le fonctionnement de l’établissement, qu’on n’a pas forcément par ailleurs. Ainsi on fait aussi des propositions sur des situations qui peuvent aboutir dans l’établissement. Pour Concarneau Quimper, sur les dossiers de 2020, on a énoncé 50 propositions d’amélioration sur ce qui relève de l’organisation interne de l’hôpital et qui portent sur des procédures. Par exemple, le patient qui sort du service des urgences n’a pas toujours toutes les informations qu’il devrait avoir. Nous avons proposé l’élaboration d’une check liste, pour qu’il n’y ait pas d’oubli et que le patient ressorte avec toutes les informations nécessaires. En effet, Il est arrivé qu’un patient ressorte avec un cathéter qui n’avait pas été enlevé ou bien qu’un patient sorte sans que l’on ait pu s’assurer qu’il pouvait rentrer au domicile en toute sécurité… Ce document peut aider les soignants, qui travaillent dans des conditions de plus en plus dégradées, faute de moyens, et les patients. On a proposé, aux urgences, du personnel qui ferait le lien entre le moment où les patients sont pris en charge dans les box et la salle d’attente où sont les accompagnants. Cela pallierait le manque d’information actuel qui génère la plupart du temps de l’angoisse. Ce pourrait être un personnel en reclassement professionnel. Ça progresse ! Une fiche de poste a été élaborée et des entretiens ont déjà eu lieu. Mais cela veut dire que la direction accepte de mettre les moyens financiers dans le contexte d’un déficit Global de 31 millions d’euros ! Si cette proposition se met en œuvre, ce sera certes une petite avancée mais ça ne palliera pas le manque de médecins urgentistes.
En ayant fait la quasi-totalité de ma carrière en Territoriale et à l’hôpital, je suis animée par la défense des services publics parce qu’ils sont les outils du « bien commun ». Ils font société et activent le vivre-ensemble. Défendre le service public c’est faire comprendre pourquoi il est essentiel… C’est ça qui m’anime. Récemment sur Concarneau, des services hospitaliers viennent d’être attribués à des structures associatives. L’une d’elle est l’UGECAM, structure de la sécurité sociale qui gère les établissements. Ce sont des organismes à but non lucratif mais qui ne sont pas des services publics. À partir du moment où les choses sont prises en charge, les gens ne font plus de différence entre structure associative et structure étatique. Ils ne comprennent pas la nécessité du service public qui nous appartient, qui est financé par l’impôt, par les cotisations sociales issues de notre travail. Le statut des personnels fonctionnaires est une garantie pour l’usager presque plus que pour le personnel lui-même. La neutralité, l’égalité d’accès aux soins, la garantie de continuité sont en train de se perdre et c’est quelque chose qu’il faut qu’on défende bec et ongles. Ce combat pédagogique sur les valeurs est aussi important que le combat au coup par coup.
Parole d’Hélène, le 9 juin, mise en texte avec Roxane