C’est la grande démission ! Soignant.es, aides à domicile, employé.es des restaurants ou ouvrier.es du nettoyage et du bâtiment, et même enseignant.es, fuient en masse un travail insoutenable.
Le Grenelle de la santé, malgré une hausse tangible des salaires, n’a en rien enrayé l’exode qui menace d’effondrement l’hôpital public : en pleine pandémie, des milliers de lits ferment, faute non plus de crédits mais de personnel.
Les magistrat.es ne veulent plus d’une justice en lambeaux.
Des jeunes diplômé.es refusent de s’embaucher chez les majors du CAC 40 et partent en quête d’un travail qui ait du sens. Aux États-Unis aussi, les démissions flambent depuis le printemps et la presse titre sur la « Great Resignation ».
Bien sûr, avec la hausse des prix et la flambée des profits des entreprises, les revendications salariales fleurissent. Mais ne nous y trompons pas : autant que du pouvoir d’achat, les salarié.es veulent du pouvoir d’agir sur leur travail. Ils et elles veulent avoir leur mot à dire sur l’organisation et les finalités de leur travail, afin de faire un travail qui préserve leur santé et soit utile aux autres et à l’environnement.
Bref, reprendre la main sur leur travail.
Pourtant, dans le débat électoral, la démocratie au travail est absente.
Passons sur la droite, qui ne brandit une soi-disant « valeur travail » que pour mieux stigmatiser les chômeurs. Mais à gauche ? Les candidat.es veulent augmenter le Smic et les rémunérations des travailleuses du care, reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, renforcer la médecine et l’inspection du travail, rétablir le compte-pénibilité quasiment supprimé par Emmanuel Macron.
Les plus audacieux (Mélenchon, Poutou, Roussel) proposent une loi pour réduire le temps de travail. Mais comment éviter que la RTT, comme lors du passage aux 35 heures, ne dégrade les conditions du travail ? Plus généralement, comment redonner du pouvoir aux salarié.es sur leur travail, par exemple pour permettre aux aides à domicile de réduire l’amplitude horaire de leurs journées et de bien prendre soin des personnes dépendantes ?
Certes, les programmes de Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel annoncent un renforcement des pouvoirs des élus du personnel. Dans une récente tribune (Libération, 11/12/2021), Yannick Jadot, François Desriaux, Eva Sas et Sophie Taillé-Polian, proposent « l’instauration d’un droit à la délibération sur la qualité du travail » et la « restauration d’une instance représentative du personnel dédiée à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail et dotée de réels pouvoirs ».
Mais quelle délibération, pour quels pouvoirs ?
Ce « droit à la délibération sur la qualité du travail » rappelle aux plus anciens le « droit des salariés à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » instauré par les lois Auroux en 1982. Les salarié.es pouvaient s’exprimer dans des groupes d’expression présidés par l’encadrement. En pratique, ces groupes se sont transformés en cercles de qualité ou réunions de service. Le droit d’expression directe est tombé en désuétude sans jamais avoir été abrogé.
Pour éviter de répéter ce coup d’épée dans l’eau, deux conditions sont nécessaires.
En premier lieu, pour que la prise de parole soit libre, elle doit être organisée par les salarié.es et leurs représentant.es de façon autonome par rapport aux managers. Il importe de construire, par la confrontation d’expériences entre pairs, un point de vue collectif sur ce qui est fait, ce qu’on ne devrait pas faire et ce qu’il faudrait faire dans le travail. Notons que cela suppose une formation préalable des élus du personnel à l’accouchement, souvent difficile, de la parole des salarié.es sur leur travail réel (au-delà du travail prescrit par l’organisation). Ensuite seulement, la confrontation avec le management peut être féconde.
En deuxième lieu, les résultats de la délibération doivent peser dans les décisions : rien n’est pire que la pseudo-participation sans conséquences. Il faut donc que le management soit tenu légalement d’apporter des réponses écrites argumentées à ces demandes. En cas de désaccord important, les instances représentatives doivent être dotées d’un pouvoir de veto suspensif, ouvrant un recours auprès de l’inspection du travail ou du juge. Dans les plus grandes entreprises, dont l’impact sur la société et l’environnement est majeur, la loi pourrait prévoir des formes de collaboration entre les instances élues du personnel et les parties-prenantes extérieures (associations, collectivités…) pour mieux asseoir leurs demandes.
Pourquoi ne pas combiner RTT et nouveaux droits démocratiques au travail ? Une heure hebdomadaire serait alors consacrée à ce travail de délibération sur le travail, rémunéré mais hors subordination hiérarchique. La RTTS (réduction du temps de travail subordonné) pourrait commencer à vraiment redonner du sens au travail et à la démocratie. A quand un vrai débat sur la démocratie au travail1 ?
Pour en débattre, les Ateliers Travail et Démocratie organisent le samedi 15 janvier une journée « Ne lâchons pas le travail » ; renseignements https://www.billetweb.fr/ateliers-travail-et-democratie
Retrouvez les histoires de travail publiées par les Ateliers Travail & Démocratie, sur leur blog, hébergé par le Club de Médiapart