Pour l’administration tout est marqué dans les ordinateurs, pour les soignants des urgences la relève est indispensable

Yann, aide-soignant aux urgences d’un hôpital du sud-est

Parole du 26 janvier 2022, mise en texte avec Christine

Un patient qui arrive aux urgences a forcément mal quelque part, ou peur. Tant qu’il est en stress par rapport à sa douleur ou à son angoisse, il aura du mal à répondre à mes questions. Des informations importantes pour sa santé ne lui reviendront que lorsqu’il sera apaisé. Alors j’essaye de le calmer, le rassurer, lui dire qu’il est pris en charge, en attendant que les médicaments antidouleur fassent leur effet. Le moment où je le déshabille est important aussi pour sa prise charge médicale. Si la personne peut le faire elle-même, je lui dis d’enlever les vêtements du haut, que je vais fermer le box et que l’on viendra après pour les examens. Sinon, je vais la déshabiller, si besoin avec l’aide d’un collègue. Là, j’observe.

Je cherche des cicatrices caractéristiques comme celles de la pose d’un pacemaker ou d’un suivi en chimiothérapie. Je regarde si des marques sur sa peau indiquent un manque d’oxygène. Si la personne a fait une chute, j’examine les points d’appui. Si l’infirmier d’accueil est pris par ailleurs, je peux aussi faire l’interrogatoire d’arrivée de la personne. Toutes ces observations vont aider le médecin à se faire un tableau général avant de l’examiner. Une fois que la personne est déshabillée, je prends ses constantes : tension, température, fréquence respiratoire. Je peux aussi faire l’électrocardiogramme, encadré par l’infirmier. Ce dernier anticipe de son côté le bilan sanguin que j’irai porter au labo. S’il nous semble que le patient devra aller au bloc nous faisons le test PCR, parce que les autres services ne l’accepteront pas sans ce test. Des patients ont besoin d’un toilette, selon leur état sanitaire. Pour certains, je dois utiliser le brancard douche, pour d’autres faire une simple toilette intime pour un change de protection. Aux urgences, le travail de toilette des patients n’est pas tout à fait le même que dans les autres services, parce qu’ils ne séjournent pas de manière pérenne chez nous.

Mes relations avec les patients sont très individuelles, au cas par cas. Avec certains, le courant passe très bien. Avec d’autres, il y a de l’énervement qui peut virer à la violence. J’ai remarqué que ce sont souvent les gens dont l’état n’est pas trop grave qui sont les plus agressifs. Alors je vais chercher un moyen, au feeling, d’établir un contact, de trouver les paroles justes. Cela dépend beaucoup de l’heure, j’ai davantage de patience en début de journée. D’autant que la grosse affluence aux urgences commence généralement vers 16 heures. Si des gens montent en pression en fin de journée, j’ai plus de mal à prendre sur moi. Surtout quand j’estime que la personne aurait mieux fait de s’adresser à un médecin de ville plutôt qu’aux urgences. Mais il y a une pénurie catastrophique en médecins traitants. 

J’ai beaucoup de mal à gérer la violence qui peut monter quand je ressens par ailleurs de la lenteur médicale. Selon les médecins qui sont de garde, je sais si ma journée sera longue ou pas. Certains vont aller très vite. Ce qui ne veut pas dire que c’est bien ou mal fait. D’autres seront moins réactifs, plus lents dans leur prise en charge. Certes, je comprends qu’ils soient fatigués. Ce sont des humains. Ils montent des gardes interminables, peuvent accumuler deux-cent-cinquante heures dans le mois. Ils voient arriver en renfort des intérimaires qui gagnent trois fois plus qu’eux pour leurs vacations, tout en ayant moins de responsabilités. Pourtant je ressens parfois du freinage médical, des situations où l’on va “sur-bilanter” le patient. De la part d’un interne, je trouve cela normal. Il va faire tous les bilans puis aller voir son senior. Les autres nous disent qu’ils prennent des précautions par nécessité médico-légale. Ils ont peur des risques de suites juridiques. Mais faut-il vraiment scanner toutes les fractures avant d’admettre les personnes au bloc si les radios sont bien détaillées ? En sachant que le patient devra attendre au moins deux heures pour accéder au scanner. Pendant ce temps-là il attend, il nous voit attendre, et le ton peut monter, de sa part ou de la part de sa famille.

Dans l’engrenage des arrivées, nous avons tendance à oublier les familles. Souvent, la secrétaire de l’accueil nous alerte et c’est celui qui le peut, infirmier, aide-soignant ou médecin, qui ira leur parler. Moi, je vais d’abord aller voir le médecin et lui demander ce que je peux dire à la famille qui aimerait le voir. Ensuite, je vais expliquer aux proches ce qui se passe, où on en est dans les examens, bien sûr sans donner les résultats, et les informer que le médecin arrive pour leur en dire davantage. Cela apaise les gens. Nous avons eu pendant six mois une stagiaire qui faisait ce lien entre les familles et le corps des urgences. C’était super … et cette médiatrice est repartie à la fin de son stage. Depuis la crise sanitaire, c’est malheureusement plus facile avec les familles, puisqu’elles ne rentrent plus.

Tout au début de la pandémie, les urgences ont été très calmes parce qu’il y avait un confinement total. Mais nous n’avions pas de matériel : pas de masques ni de blouses. On ne connaissait pas cette maladie, on ne savait même pas quel masque utiliser. On ne savait rien, on n’avait rien. Des gens de l’extérieur nous ont apporté de leur matériel : des combinaisons de peintre, des équipements d’agriculteur, des masques FFP2 provenant de nos collègues pompiers. Quand l’administration l’a su, on est venu prendre tout notre stock en nous disant qu’on allait le redistribuer. Nous avons fini par en cacher dans nos casiers. Bien nous a pris parce que nous n’avons jamais vu arriver cette redistribution. Après avoir examiné les directives de l’OMS, nous avons utilisé les masques chirurgicaux pendant quatre heures. Nous l’avons fait contre l’avis du médecin hygiéniste de l’hôpital, qui disait que nous utilisions les masques n’importe comment. Dans les étages de l’hôpital les soignants n’avaient qu’un masque par jour. Ce n’était pas ce qui était préconisé, mais comme il n’y avait pas de matériel ! Nous nous sommes débrouillés pour organiser le service des urgences pour assurer notre protection et celle des patients. Je sais que mon chef est rentré plusieurs fois en conflit avec l’administration, notamment parce que nous avions aménagé un système d’accueil en installant une tente à l’extérieur des urgences pour les patients Covid. Le protocole changeant presque tous les jours, ma cadre de santé, très aidante, très compréhensive nous a aussi beaucoup soutenus. Depuis, nous nous sommes rôdés. Je porte toujours le FFP2 et la blouse, mais je dois convenir que je relâche un peu mes gestes depuis la triple vaccination, comme tout le monde ici, par exemple sur les lunettes, la charlotte, les gants, les surchaussures. Finalement, jusqu’à l’arrivée d’Omicron, les urgences étaient le seul service de l’hôpital où personne n’avait attrapé le covid au travail. Notre chef de service avait réussi à obtenir au début de la pandémie, pour les box où nous installions les patients covid, des filtres très efficaces et rapides pour la désinfection de l’air. Je pense que nous avons aussi bénéficié des défauts de nos locaux : un grand couloir de cinquante mètres, très mal agencé, mais très bien aéré.

Dans ce couloir, je parcours entre sept et quinze kilomètres par jour. Quand j’arrive le matin, à 7 heures, je commence par prendre un café avec ceux qui terminent la nuit. En théorie, il n’y a pas de temps de relève entre les équipes. Pour l’administration tout est marqué dans l’ordinateur. En pratique, nous faisons toujours une relève, le matin comme le soir. L’équipe descendante reste pour passer les informations à l’équipe montante. Bien sûr, je termine ce que je suis en train de faire avant de passer la relève, même si cela déborde au-delà de 19 heures. Surtout si je suis avec un patient covid et que je me suis habillé pour cela. La relève des aides-soignants est assez rapide, surtout celle du matin où il y a généralement moins de monde dans les box que le soir. Mais je prends aussi le temps d’écouter la relève des infirmiers. Ils passent en revue chaque patient un par un, ça peut durer un bon quart d’heure.

Le matin, je commence mon travail par les nettoyages bio : désinfecter les box, les brancards … tout sauf les sols, qui sont faits par l’agent de service hospitalier. Aux urgences, nous avons encore des agents de l’hôpital. Nous avons aussi des intérimaires d’une entreprise d’insertion. Ce sont surtout des dames. Quand elles arrivent, elles ont le planning de ce qu’elles doivent faire mais ne possèdent pas toujours les notions des protocoles sanitaires. Alors je leur explique, par exemple, comment doser les produits de nettoyage. Je m’occupe aussi de réagréer les box en linge de toilette, draps, protections pour le cas où nous aurions des personnes âgées qu’il faudrait changer, et en kits de soin. Si une personne se repose dans le box, je n’allume pas, je travaille discrètement, je me limite à changer le désinfectant. Je reviendrai plus tard…

Actuellement, quand je suis de “secteur covid” comme on dit, je termine mon service lessivé. Je dois sans cesse mettre et enlever l’équipement spécial, recevoir de nouveaux patients tandis que d’autres n’arrêtent pas de sonner à côté. Mais si la journée s’est bien passée pour les patients, je suis content, même si les choses ont été intenses, qu’il y a eu beaucoup de monde – jusqu’à cent-cinquante patients par jour pendant les vacances – ou qu’il y a eu des événements forts, comme des décès. Là, tout dépend, pour moi, de la manière dont la personne est partie. Lorsque c’est un jeune qui a eu un accident, j’ai toujours un sentiment d’échec, même si je n’y suis pour rien, même si je sais que nous avons tous fait notre maximum. Lorsque c’est un ancien, une fin de vie, et que tout a été fait avec les médecins et la famille, que j’ai fait ses soins de confort, je me dis que j’ai aidé à le faire partir avec moins de souffrance. Je suis allé le voir régulièrement. S’il transpirait j’ai changé ses vêtements, ses draps, j’ai renouvelé ses changes, j’ai fait toutes les petites choses qui apportent du réconfort. Je sais que j’ai fait au mieux

Parole de Yann, le 26 janvier 2022, mise en texte avec Christine

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