La confiance se met en place petit à petit

Marie psychologue du personnel dans un hôpital psychiatrique

Parole du 6 mai 2022, mise en texte avec Roxane

À l’automne 2021, dès que je suis arrivée sur mon poste (c’est une création) de Psychologue clinicienne du travail, j’ai lancé une note d’information  pour que les agents de l’hôpital psychiatrique où je travaille me connaissent et m’identifient. Les agents c’est le personnel soignant et tous les autres : personnels administratifs et techniques. 

Je suis rattachée à la Direction des ressources humaines. Quand les personnels consultent le médecin du travail, ils savent que le secret professionnel est garanti. Avec moi les agents ont besoin d’éprouver la qualité de cette confiance. Je me dois de répéter souvent la confidentialité des entretiens. Sauf, bien sûr, s’ils m’autorisent à faire le lien avec la DRH.

Il m’a donc fallu  conquérir et affirmer la confiance. Petit à petit, elle se met en place, mais il faut du temps ! Par ailleurs, il m’a été très important de définir mes tâches, pour qu’elles ne se superposent pas avec celles des psychologues dédiés aux patients  et aux familles. J’ai dit : « coucou je suis là… ». Il me fallait trouver ma place, ni prendre la leur, ni qu’ils se sentent exclus. Ce fut délicat.

Les agents me contactent pour  un rendez-vous. Ils s’adressent à moi directement sans passer par un cadre de santé. Il se peut aussi que ce soit l’un d’eux qui me signale un cas d’événement traumatique.

Je rencontre toutes les problématiques de souffrance au travail : des conflits interpersonnels, des situations de violence, comme des agressions venant de malades, ou des événements difficiles dans le contexte de la crise sanitaire actuelle. Je peux aussi intervenir au niveau des équipes, des groupes de travail. Nous avons mis en place une procédure qui concerne l’accompagnement psychologique des agents qui ont été victimes de violences physiques ou psychologiques lors d’événements traumatogènes. Mais en fait, je constate que les agents viennent, la plupart du temps, me consulter pour des raisons personnelles. Je peux alors commencer avec eux une psychothérapie individuelle. Il est très important pour moi que je ne m’arrête pas aux souffrances au travail car c’est par le biais des problématiques personnelles qu’on arrive aux souffrances au travail, parfois  aux traumatismes vécus personnellement,  il y a des années. 

Chacun vit des situations très délicates de souffrance. Les personnels se sentent  tellement mal qu’ils se mettent en arrêt maladie. C’est un peu la désertion de l’hôpital. Suite à la crise Covid, conjuguée à celle de l’hôpital, c’est le corps, au double sens, des soignants qui est en train de lâcher. Depuis pas mal de temps, tous alertent sur leurs conditions de travail, sans jamais recevoir de réponse. Ils s’épuisent et se mettent en arrêt pour s’auto-préserver. L’arrêt de travail est un signe d’autoprotection mais aussi une protestation.  Quand on fait remonter des fiches d’événement indésirable plus de quinze fois et qu’il n’y a pas de réponse, on déserte. On fait avec les moyens qu’on a. 

 Tous les services de l’hôpital psychiatrique  sont touchés par l’absentéisme, dans une ambiance très particulière. Les arrêts de travail  impactent  aussi le personnel administratif, qui a été très sollicité pendant cette crise. Le climat de tension s’est aggravé entre soignants et administratifs à qui on demandait des contrôles accrus de l’exigence vaccinale. Chacun de son côté avait l’impression qu’on lui demandait toujours plus. Et puis la dégradation des effectifs et donc des conditions de travail demande de faire appel à du personnel de réserve. Cela crée un turn-over qui fait souvent obstacle. Les réunions sont supprimées. De toute façon, le nombre de soignants nécessaire pour faire fonctionner les services reste insuffisant. Et de l’autre côté les indications cliniques  montrent que les patients aussi sont en crise. Les soins relationnels nécessaires étant défectueux, les soignants mettent en place des procédures de contention. Dans un service de 25 à 30 patients, quand l’un d’eux devient agressif, agité, ou en crise, en face de seulement deux soignants, ces derniers ne peuvent « contenir  psychiquement »

La contention ou l’isolement d’un patient relève d’une prescription médicale et le soignant seul ne peut en principe pas  prendre cette initiative sans en référer aux médecins. C’est très encadré par la loi, au sens d’une restriction des libertés. Même si dans les faits certains médecins psychiatres « contournent »  le cadre légal en faisant une prescription de contention qui court depuis des jours, voire parfois des mois alors que cette prescription doit être réévaluée régulièrement. 

Mais je l’ai dit, les agents ne se tournent pas vers moi pour ces problématiques. Ce n’est pas le moment. Il y a chez eux, quelque chose de l’ordre de la résignation, de la banalisation ou de la méfiance. Ils viennent pour des problématiques personnelles familiales, de rupture, d’incommunicabilité, de divorce. En ce moment, les angoisses tournent autour de la guerre en Ukraine. « Venir parler à la psychologue du travail ne sert à rien » pensent certains. Finalement tout le monde se sent impuissant, en état de colère vis-à-vis de la gouvernance de l’hôpital en face de qui ils ont l’impression de ne pas être entendus.

Ma difficulté c’est de comprendre pourquoi ça leur est impossible de parler de leur souffrance au travail. Quand je suis intervenue récemment sur un collectif de travail  dans un EHPAD rattaché à mon l’hôpital, très fortement impacté, récemment, par  la dernière vague covid,  je me suis heurtée  là aussi à une forme de résistance collective. Et la seule chose qui en est sorti finalement c’est que les violences, les difficultés sont les risques du métier.  «On sait bien que quand on travaille en EHPAD on va être confronté à des décès de patients. Finalement c’est pas nous qui avons le plus besoin d’aide. Allez voir l’équipe à côté » disent-ils. Réponse défensive et projective.

 Alors je m’interroge. Quand un interlocuteur est dédié à écouter la souffrance qu’est-ce qui fait que ce n’est pas possible de lui en parler ?

Par ailleurs pour avoir côtoyé, les équipes soignantes en psychiatrie, je sais qu’il existe une banalisation de toutes les situations de violence, auxquelles les agents sont exposés, comme les tentatives de suicide des patients. « C’est les risques du métier. »

 Ils prennent comme un aveu de faiblesse le fait de faire remonter ces souffrances.

Mais d’un autre côté, ils sont tout aussi déstabilisés si on ne leur propose pas  un soutien spontanément quand ils ont été victimes d’agression. Les risques du métier ne sont pas les mêmes en psychiatrie qu’en cancérologie. À la fois, il nous faut être au plus près de leurs préoccupations et faire en sorte que ce soient eux qui fassent la demande d’aide. L’ aide  aux souffrances au travail est plus difficile en psychiatrie qu’en hôpital général. Je crois qu’on est des artisans du soin psychique. On fait du sur-mesure et cette pratique artisanale s’acquiert avec le temps, la patience et l’expérience.

Par ailleurs, j’interviens sur tout ce qui est qualité de vie au travail, risques psychosociaux et prévention des risques professionnels. Ainsi, avec une collègue, chargée de prévention, nous avons un projet « cocon ». Ce serait la mise en place d’ateliers axés sur le bien-être pour le personnel hospitalier. Nous en sommes à l‘écriture. Nous  proposons  des temps de massage, de tai-chi…  des temps de pause. Moi, je me dis que la parole c’est compliqué et que peut-être passer par le corps, par le groupe… ne pas mettre tout de suite des mots sur ce que l’on vit,  ne pas passer par des grands discours peut permettre de se lâcher. Donner aux personnels  des moments autres que le faire et la routine ! Nous avons besoin de l’aval des représentants du personnel et des supérieurs hiérarchiques.

Quant aux autres aspects difficiles de mon métier, je déplore que les services soient trop cloisonnés. Le manque de communication et le  turn-over  du personnel  de réserve et des personnels en général compliquent considérablement la tâche, la communication et empêchent de mettre en place des actions qui permettraient d’intervenir plus rapidement dans un service. Par exemple pour les interventions collectives, je ne peux pas solliciter l’équipe, parce que les agents changent tous les jours dans les services, par roulement, et je dois passer par le filtre des médecins et des cadres pour proposer des dispositifs. Je préférerais ne pas avoir d’intermédiaire. 

Mais chaque service a ses habitudes, son histoire, son mode de fonctionnement et moi qui arrive, psychologue du personnel, je ne peux pas tout révolutionner. 

In fine tout le monde se rend compte que l’hôpital est en fin de vie, il est sous perfusion  permanente. La  crise du covid a été un catalyseur, on ne fait que du palliatif. Personne ne peut plus faire son travail correctement. Je pense que l’hôpital peut disparaître. Avec la tarification, il y a toute une partie des activités qui vont partir vers le libéral. 

Parole de Marie, le 6 mai 2022, mise en texte avec Roxane 

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