Propos recueillis et mis en texte par Roxane – Février 23

Mon papa, sur son lit d’hôpital, m’a dit : « Vas-y, fonce, moi j’aurais rêvé faire un truc comme ça !» Lui, il était mécanicien auto, doué de ses mains. Il bricolait tout : sculpture, électricité, bois… Il était fort en tout ! Quand j’étais petite, je le suivais sur les brocantes, les bourses d’échanges et je voyais ses yeux de collectionneur pétiller devant les jouets anciens, les Dinky Toy, les automates… De son lit, il disait « Parle-moi des jouets. Je t’aiderai, je te donnerai des conseils.» Et moi à son chevet, je lui racontais la création des « Jouets de Fanny ». On était en novembre 2010. Et j’étais libérée : j’avais choisi et j’avais l’aval de mon père.
Choisi, après avoir passé 5 ans en formation, 3 ans comme éducatrice spécialisée, puis 2 ans en pédopsychiatrie où j’ai fait mon mémoire sur l’art-thérapie. Mais pendant toutes ces années, les mains me démangeaient et j’avais envie de les faire travailler. J’étais malheureuse dans mon métier d’éducatrice en pédopsychiatrie et c’est là que j’ai commencé à penser à une reconversion, mais je n’osais pas y aller, je n’osais pas passer le cap. C’est Stéphane, rencontré alors, qui m’a donné l’élan qui me manquait pour y aller. Stéphane, lui, était alors plus avancé que moi puisqu’il avait une formation de menuisier, alors que moi je n’avais rien du tout dans ce domaine. La maladie de mon père m’a aussi fait prendre conscience qu’il fallait que j’ose faire ce que j’aime. Alors je suis partie en 2009 à Decazeville faire une formation menuiserie pour adultes. Là, je me suis vue la seule fille au milieu de quinze gars, avec ma salopette rouge, derrière l’établi à apprendre à dégauchir et à raboter. C’était génial je baignais dans un univers nouveau et j’avais déjà dans l’idée de faire des jouets. Mais alors ce n’était encore qu’un rêve ! C’est plus tard, quand j’ai commencé à fabriquer des jouets en bois, que j’ai compris que ça venait de mon papa. Il a vu le tout début de la création des « Jouets de Fanny » puis il est mort en juin 2011.

Avec Stéphane, à l’issue de ma formation, nous avons trouvé un lieu pour nous installer. Lui au début, a fondé une entreprise de menuiserie générale et moi une fabrique de jouets en bois. Au bout de peu d’années, on s’est retrouvés tous les deux sur le projet des jouets. On a choisi le côté passion plutôt que le côté rémunération et sécurité. Notre habitation et notre atelier sont à côté l’un de l’autre. Dans notre atelier commun, aujourd’hui les rôles sont bien répartis, même si nous passons à tous les postes respectivement. Stéphane est un peu plus spécialisé sur le gros œuvre, tout ce qui est corroyage du bois, et moi à l’atelier de finition. Le corroyage, ce sont les étapes de base de la transformation du bois. D’abord le délignage : couper en long les planches, ensuite le dégauchissage à la dégauchisseuse pour faire un plat sur un chant et le rabotage à la raboteuse sur l’autre plat et l’autre chant. Ce sont les étapes de base de la menuiserie, quoi qu’on fasse, du meuble, du plancher ou des jouets. Quant à moi, dans l’atelier de finition, je fais du montage, je colle, je peins, je vernis. Je mets les jouets ” en couleur ”. C’est moi qui dessine les modèles, ou je m’inspire de jouets existants, d’antan ou d’aujourd’hui. On n’invente jamais rien. Je les mets au goût du jour avec mes dessins, mes couleurs, mes formes, mes essences de bois. Je me fais parfois aider par un ami designer et/ou une graphiste pour des dessins spécifiques. J’aimerais avoir plus de temps pour la création qui, elle, est ma partie. Je suis trop prise par toute la production et le reste : travaux administratifs, communication…
Le matin pendant le café, nous faisons une petite réunion de chantier. Moi j’aime bien. Stéphane pas trop. J’aime bien qu’on se répartisse les rôles. Ce n’est jamais très formel. Ni l’un ni l’autre n’a pieds et poings liés sur un poste de travail. Quand c’est trop répétitif, on change de poste. Depuis peu, on a embauché une amie qui fait des petits travaux. Ça soulage, ça rebooste, c’est très moteur d’avoir quelqu’un dans l’atelier. Ça me libère du temps pour d’autres tâches, ça me déculpabilise. Je me dis « Je ne suis pas dans l’atelier et ça avance quand même.”
Donc, après le café, je passe juste une porte pour arriver dans l’atelier peinture et puis une autre porte pour l’atelier machines. C’est vite fait. Je jongle d’un côté à l’autre. Parfois je retourne du côté de l’habitation pour étendre une lessive, ou faire le repas. Pas besoin de prendre la voiture. Simon, notre fils, va à l’école tout seul dans notre petit village. Depuis qu’il est petit, il vient me voir dans l’atelier, il y fait souvent ses devoirs et me donne parfois un petit coup de main. J’aime le contact avec les gens et j’ai à cœur que notre atelier soit ouvert au public l’été, afin de montrer, expliquer, nos étapes de fabrication en train de se faire. J’aime vendre aussi, dans les boutiques La Fabrik à Aurillac et à Salers. C’est l’occasion de parler de notre travail et d’avoir des retours de la clientèle afin de toujours s’améliorer.
Reste un problème majeur, comme pour tout artisan, celui d’anticiper le stock et surtout de le produire. C’est le nerf de la guerre, surtout avant les salons et les marchés. Pour cela nous essayons d’être mieux organisés et de dégager aussi un peu de temps, pour Simon et notre couple. Mon amie Coco, une artisane du cuir, me dit souvent : « Vous bossez et habitez sur votre lieu de travail, tout est mélangé, où sont vos moments de couple ? » Les quatre premières années, ce «tout mélangé» associé au fait de ne jamais s’arrêter, nous a fait craquer. Maintenant, nous avons appris à mieux nous organiser, y compris pour aménager des pauses. C’est essentiel pour tenir sur la longueur, sinon ce n’est pas supportable. Voilà douze ans que nous fabriquons des jouets. C’est une belle revanche parce qu’on nous a souvent dit : «Ne vous bercez pas d’illusions ! ». Peu de personnes croyaient en notre projet. On a bien fait d’y croire et de passer outre. Aujourd’hui c’est superbe. Je m’aperçois que les drames de la vie, comme la mort de mon père, peuvent être porteurs d’optimisme et de création. Après réflexion, je pense que je n’étais pas faite pour être éducatrice spécialisée. Je suis allée sur ce chemin pour tenter de comprendre, à travers ce métier, les soucis psychologiques qu’avait mon frère, mais ce n’était pas vraiment un métier dans lequel je pouvais m’épanouir personnellement. Au fil du temps, j’ai fini par trouver et je ne regrette pas. Il a fallu se battre et ma passion m’a aidée. Aujourd’hui nous avons des retours hyper positifs. J’entends parfois autour de moi « Dans le Cantal, Fanny, tout le monde connaît tes petits jouets !» C’est très agréable de voir que l’on commence à reconnaître notre travail.
Fanny
A suivre, avec le récit de Stéphane