“C’est une très belle chose de devoir prouver à l’autre parce que ça oblige à se  prouver à soi-même. »

Jennifer couturière – Salers août 22

Propos recueillis et mis en texte par Roxane – novembre 2022

Jennifer dans la boutique de Salers

Nous ne connaissions pas du tout le Cantal, ni famille, ni amis. Nous avons regardé le taux d’ensoleillement, le taux de pollution et nous y sommes partis en vacances, par deux fois. Ça nous a plu. Conquis, on s’y est installé. La raison majeure ? C’était surtout ma fille… elle  est asthmatique. Ça explique beaucoup de choses ! À Lille où nous habitions, la pollution était terrible. Ici, ma fille va beaucoup mieux. Au fil du temps, j’ai pensé que notre intégration était dûe à nos enfants. Nous avons  été bien accueillis dans notre village,  tout de suite, à l’école, nous  avons rencontré  d’autres parents et nous nous sommes fondus dans un petit groupe d’amis. Et ça a continué. Un jour, en me baladant à Aurillac, dans les rues, j’ai vu : « La Fabrik », une boutique d’artisans créateurs. Vivement intéressée, j’ai postulé pour exposer mes produits en tant que couturière. C’était en 2017 et, dans le même temps, je créais ma marque : « Coquinette et Coquinou ». Coquinette ma fille et Coquinou mon garçon, c’est des petits surnoms qui disent bien ce qu’ils veulent dire. 

Quelques créations de Jennifer

 Je n’avais jamais travaillé dans des collectifs d’artisans, ni dans une boutique, d’ailleurs. À Lille, où j’étais tapissière à mon compte, j’allais chez les gens pour refaire leurs sièges. Je tenais à ce que ce soit moi qui me déplace chez eux, pour créer un climat de confiance. Dès que j’ai eu les enfants, c’est devenu plus compliqué et donc j ’ai décidé de m’occuper d’eux,  d’aménager  mon temps et ma présence autrement. J’ai troqué mes outils, clous, corde, crin et toile contre une machine à coudre. Au tout début, quand j’ai créé ma marque « Coquinette et Coquinou », ça a été un peu compliqué avec mon mari. Est-ce que ça va fonctionner ? Vais-je avoir des rentrées d’argent ? Pour lui, mon projet était « un peu de la mumuse ». Ce fut dévalorisant pour moi, d’autant plus que cela venait de mon mari. J’ai tenu bon. J’avais accepté ses choix tels qu’ils étaient. Avec notre arrivée ici, il était devenu salarié dans une auto-école, alors qu’il était patron de sa propre affaire auparavant. Il a dû accepter les miens. Et j’ai dû faire mes preuves. Cependant je comprends la crainte de l’inconnu, de l’incertitude, surtout quand on a des enfants ! Et, à la limite, je trouve que c’est une très belle chose de devoir prouver à l’autre parce que ça oblige à se prouver à soi-même que cela peut marcher. Aujourd’hui il voit que mon affaire fonctionne et il me tire vers le haut. J’ai confiance en lui, quand je dois partir faire des permanences en boutique, je peux compter sur lui pour les enfants.   

Donc je suis rentrée à « La Fabrik » à Aurillac, cette association d’artisans. J’ai commencé par faire des dépôts-ventes de mes produits et ils m’ont intégrée dans l’équipe.  Je tiens permanence régulièrement, en alternance, avec les autres artisans. Mais, en plus, j’ y assure la comptabilité. À « La Petite Fabrik », une boutique éphémère à Salers, village hautement touristique, j’ai un autre stand de couture où je tiens permanence, l’été. Je m’implique aussi dans une autre coopérative à Turenne en Corrèze, petite ville distante de chez moi d’1h 20. J’y dépose mes objets et je vends en alternance.

 Au début, j’ai eu peur, dans ce trou perdu, moi qui venais de Lille, allais-je réussir à faire ma place ? Aujourd’hui, en comptant bien, j’ai une triple place, sans compter celle de comptable. Je vis ainsi dans les interactions constantes.   Avec les artisans de « La Fabrik » nous sommes dans la même optique, nous avons les mêmes regards sur le monde : être au plus près de la création dans nos objets fabriqués et être solidaires. Pour consolider les liens et les rendre amicaux, on se fait des fiestas. Je m’y sens en famille.  

La Fabrik est ouverte toute l’année. Vendre ne me dérange pas, à la base j’ai un diplôme commercial et j’aime le contact avec les gens. « La Petite Fabrik », à Salers est une boutique saisonnière, les gens sont en vacances, détendus, je parle avec eux du Cantal, j’échange sur les petits coins que j’ai découverts, ceux que les cantaliens ne connaissent pas ! Comme j’habite à Saint-Paul-des-Landes près d’Aurillac, à 3/4 d’heure de route, pour assurer mes deux jours de permanence, je dors chez mes beaux-parents, pas très loin. Parfois je vais au camping pour me faire une petite pause en dehors de mes très proches. 

Mais quand même à  la maison, j’ai voulu être disponible pour mes enfants, c’était ma priorité, donc il fallait que j’aie mon atelier. J’ai la plus grande pièce de la maison, mon mari a été sympa ! C’est mon domaine, je suis la seule à y entrer. Les enfants touchent à tout, alors je n’aime pas trop qu’ils y soient. Je me lève tôt, à 6 h 30. Je prépare le petit déjeuner des enfants et quand ils sont à l’école, je décide de travailler, ou pas. Je n’ai pas d’emploi du temps fixe. Je peux passer 15 heures d’affilée à l’atelier, la couture me détend, j’y prends plaisir.   

Comme je suis assez désordonnée, la première chose que je fais, c’est ranger mon atelier. Puis, je commence par découper mes tissus si par exemple, ce matin-là, j’ai décidé de faire des trousses pour lesquelles j’avais auparavant dessiné les patrons. J’assemble toutes mes pièces en cousant et l’objet prend vie. Je le stocke alors avec mes autres créations : des accessoires, trousses, coussins, porte-monnaie, serre-tête, bandeaux pour les cheveux et des produits réutilisables en coton : des lingettes en tissu lavable, des petits sacs pique-nique. Mon idée c’est d’éviter de jeter. Ainsi je fabrique des emballages, comme le sac-à-salade en coton enduit avec étamine à l’intérieur. Il conserve la salade lavée que l’on met dans le frigo. Pour les emballages au quotidien dans la maison, plus besoin d’utiliser l’aluminium, la cellophane ou le plastique ! Je fabrique des pochettes alimentaires réutilisables en bee-wraps1 que j’enduis de résine, d’huile et de cire. 

Les produits réutilisables, c’est ici !

Je dis « produits réutilisables » plus que « zéro déchet », autre concept à la mode, parce que du déchet j’en fais ! Les petites chutes de tissus partent soit à la poubelle, soit remplissent des enveloppes de coussins. Quand mes objets sont finis, je les étiquette et les distribue dans les différentes boutiques. Il m’arrive de faire des dépôts dans d’autres lieux de vente quand on me le propose, et sur quelques marchés, surtout  en Aveyron, plus loin. Tout simplement parce qu’ici la concurrence, dans le créneau couture, est très grande. La concurrence je pourrais la rencontrer sur des sites internet et c’est ce pourquoi, en autres, je n’ai pas fait de site parce que je sais que je n’arriverai pas à assurer son suivi. C’est un boulot à plein temps ! Je me contente de proposer mes produits sur mes réseaux, Facebook et Instagram sur ma page « Coquinette et Coquinou». Pour commander, les clients me téléphonent ou m’envoient un mail.  Pour ce qui est de la comptabilité, je tiens à jour celle de la FabriK, et pas toujours la mienne. Mes comptes sont faits certes, mais je n’ai pas de cahier.
Voilà pour la vente. En ce qui concerne les fournisseurs, depuis que je suis dans le Cantal, j’achète mes matériaux sur internet. Je vais aussi dans une petite mercerie à Aurillac où je trouve énormément de produits. À Lille, j’allais souvent en Belgique, mes fournisseurs de tissus étaient plus à portée de main. Là-bas, je n’avais pas besoin d’internet et je me déplaçais en métro ou à pied. Ici je me sers de “la toile” et beaucoup de ma voiture : 1/4 d’heure pour aller à Aurillac, mais beaucoup plus pour Salers et Turenne. Hélas, je consomme de l’essence ! Tout compte fait, quand même, je me sens épanouie ici . Mes revenus me suffisent parce je ne suis pas une grande consommatrice et j’ai une place reconnue parmi mes collègues. Et puis le métier salarié de  mon conjoint nous permet de vivre pas trop mal. On s’en sort.   

Je crois qu’on a fait le bon choix avec les milieux ruraux du Cantal. S’il me fallait changer de métier, on n’est jamais à l’abri ! j’aimerais bien refaire de la tapisserie sur des sièges ou sinon ouvrir un petit food-trucks…Le plus important pour moi c’est de ne jamais retravailler pour quelqu’un dans une boutique. Je veux rester indépendante, même si c’est synonyme de stress quant aux lendemains. 

Jennifer


1 Le Bee wrap est un morceau de tissu enduit de cire d’abeille ou de cire végétale, qui va se substituer au traditionnel film plastique ou aluminium, et jouer le rôle d’un emballage alimentaire écologique

… à suivre, avec le récit de Karine, céramiste plasticienne

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