« Je donne une nouvelle vie à des objets abandonnés. »

Karine Céramiste plasticienne – Salers août 2022

Propos recueillis par Roxane et mis en texte par François – mars 2023 

Créations à partir d’objets récupérés

Petite fille, comme beaucoup d’enfants, je passais mes vacances chez mes grands-parents. Ils habitaient un petit hameau à l’écart de tout. Cependant il y avait ce qu’à l’époque on appelait un dépotoir. C’était pour moi un terrain de jeu et je m’y rendais avec mon grand-père. Nous récupérions de vieux objets que les gens avaient abandonnés. À  la maison, il les rafistolait pour en faire des jouets, des trottinettes… Je sais que mon activité d’aujourd’hui a un lien avec ces moments partagés. Prendre des objets que je trouve beaux même s’ils sont oxydés et abîmés est passionnant. Leur usure, leur patine sont la marque du temps et je discerne un vécu, une histoire, une époque. Outre leurs formes, j’apprécie tout particulièrement les objets qui ont conservé un peu de leurs couleurs, surtout quand elles sont vives. Par expérience, je sais qu’ils vont m’offrir plus de chance d’aboutir à une création qui va me satisfaire. Ainsi, je donne une nouvelle vie à des objets abandonnés, des objets qui ne servent plus.

J’habite à Jussac, un petit village à côté d’Aurillac, situé à quarante minutes de Salers. Mon atelier, un local assez grand intégré dans ma maison, est un petit capharnaüm ! J’y entasse beaucoup d’objets que je vais recycler ainsi que des pièces de céramique en cours de séchage. Je les cuis dans le four situé dans un garage extérieur à ma maison.

Comme je suis assez matinale, je déjeune seule, car mon mari a besoin de plus de sommeil que moi. Mon chien m’accueille toujours joyeusement, il est le premier à me souhaiter le bonjour. Après la balade du chien, je prépare mes affaires, soit pour me rendre dans mon atelier, soit pour rejoindre une boutique. Dans ce cas, je prends mon ordinateur. Entre deux clients, j’en profite pour mettre à jour ma comptabilité. Quand je suis à notre domicile, je ne dissocie pas mon activité professionnelle de la vie quotidienne. Je peux quitter un moment l’atelier pour mettre en marche une lessive ou préparer des légumes. 

Néanmoins, j’aime être seule, ne pas avoir de bruit autour de moi. Aussi, je ferme la porte de mon atelier et rechigne quand quelqu’un toque à ma porte, notamment les enfants : il leur faut un « laisser passer » ! Parfois mon mari me donne un coup de main pour réaliser des soudures même si cela n’est pas son métier ou pour démonter des trucs un peu lourds.

Cet espace est à moi, c’est là que je dessine, croque des esquisses qui seront ou pas la base de réalisations. Sur mes petits carnets, j’accumule des ébauches, certaines ont été réalisées hors de l’atelier, à la terrasse d’un café, en pleine nature, dans une boutique où j’expose…. Il y a aussi des feuilles volantes qui seront oubliées ou qui me serviront des semaines ou des mois plus tard pour une création. Pour les autres étapes, je réalise régulièrement des tests de couleurs sur de petites palettes, des essais de températures… cela c’est la partie très technique qu’il faut maîtriser.

Étant d’origine bretonne, j’ai suivi un cursus universitaire d’art plastique à Rennes. A mes débuts, je réalisais majoritairement des peintures en grands formats, un travail sur la matière et sur le geste. Ce fut mon registre durant des années. Puis, avec l’arrivée de mes enfants, c’est devenu un peu compliqué. Je me suis alors orientée vers la sculpture, des objets plus petits dont je pouvais suspendre la réalisation plus aisément en les plaçant sous plastique. Plutôt que d’exposer mes travaux dans des galeries d’art ou des salons, j’ai choisi des marchés de créateurs et de potiers. 

Créations, toutes différentes

Je pourrais dire que je suis passée de l’art à l’artisanat. Mais cela serait réducteur. Je n’ai pas abandonné l’art car, à part quelques séries, mes créations sont uniques. Quand je réalise ce qui pourrait être perçu comme des séries, tels mes chiens, ils ont certes un air de famille mais ils sont tous différents.

Pour une partie de mes créations, j’utilise une vaste gamme de matériaux : c’est mon côté artiste plasticienne. Certains sont récupérés dans la nature tels des bois flottés, des bouts de fer rouillés, des boites en fer blanc, des fouets ménagers, des théières hors d’usage, des clous… 

Chez moi, chiner est presque une seconde nature. Je farfouille dans des endroits où des objets ont été abandonnés, parfois pour partie enfouis dans la terre. Mais je fréquente aussi des vide-greniers ou des vide-maisons. Je chine des objets auxquels je vais donner un nouveau propriétaire, une nouvelle vie. 

Ainsi, pour la sculpture de certains personnages, je vais utiliser des clous de vieilles charpentes, ils vont par exemple me servir à réaliser les cornes de minotaures ou d’animaux fantastiques… Des ressorts de matelas vont devenir des perchoirs à oiseaux sur lesquels mes petits bonshommes vont se balancer. Ceux-ci sont modelés en argile puis cuits une première fois à 980° avant une seconde cuisson pour l’émaillage qui se fait à plus haute température. 

Je suis aussi céramiste. Pour colorer mes pièces blanches, j’utilise des argiles décantées qui vont constituer l’engobe. Pour préparer mon engobe, je récolte différents types d’argile dans la nature. Je les place dans un récipient plein d’eau afin que les différentes impuretés telles des petits cailloux se déposent au fond. Je vais uniquement utiliser la partie supérieure de cette matière un peu crémeuse. Sur les pièces blanches encore crues mais néanmoins un peu durcies, je vais appliquer mon engobe avec un pinceau. Cet état, nous le nommons « consistance cuir ». C’est une autre opération, l’émaillage, qui va donner toutes sortes de brillances. Au choix de l’artiste, l’émail peut être appliqué sur toute la pièce mais aussi ne l’être que sur certaines parties, créant ainsi des contrastes.

Pour donner à mes pièces une coloration originale, pour souligner le temps qui passe, je pratique l’enfumage. Pour cela, je vais envelopper de végétaux des pièces blanches partiellement émaillées. Je fabrique ainsi une sorte de papillote. J’emmaillote celle-ci de journal puis de papier d’alu avant de placer l’ensemble dans un bidon rempli de copeaux de bois. C’est à ce moment que je vais enflammer l’ensemble pendant quelques instants puis éteindre le feu pour optimiser le dégagement de fumées. La pièce va lentement se colorer grâce à la fumée qui imprègne les parties poreuses, celles qui n’ont pas été émaillées. De manière aléatoire, au terme de la cuisson, les endroits où j’avais placé des plantes vont demeurer plus clairs en contraste avec ceux imprégnés de fumée.

Il existe une technique d’enfumage inverse, dénommé le raku. Elle se pratique à partir de pièces chaudes sorties du four. En les plaçant dans de la sciure on va les refroidir brutalement. De la fumée va alors se dégager et noircir fortement les parties poreuses et l’émail va se fissurer. Le raku est fondé sur un choc thermique qui peut briser les parties délicates des pièces. Je l’ai pratiqué, mais comme je réalise des sculptures délicates, je l’ai abandonné.

Pour vendre mes créations, je suis membre de La Fabrik, une association d’artisans qui tient boutique à Salers. L’été, j’assure une permanence d’une douzaine de jours. Là, je suis en contact avec des clients. J’explique mon travail sur les objets mais je présente aussi les différentes productions de mes camarades. Ce sont des moments que j’aime bien, il m’arrive de répondre à des questions tout à fait incongrues. C’est l’envers de mon atelier où je suis toute seule. 

Je suis entrée dans La Fabrik, il y a à peu près quatre ans et ce, un peu par hasard. Je faisais des expositions d’artisanat d’art et j’ai croisé quelques personnes de ce collectif. Elles ont regardé mon travail et elles l’ont apprécié. Au début, elles m’ont proposé de mettre quelques œuvres à la Fabrik à Aurillac, c’est une autre boutique plus grande, ouverte à l’année. Elle accueille une dizaine d’artisans différents. C’était un contrat de trois mois puis, finalement, je suis restée : mois après mois, année après année. J’y ai mis en dépôt des créations. Les expositions ont des durées variables, certaines de six mois, d’autres plus courtes comme pour les fêtes de Noël. Petit à petit j’ai décidé d’entrer davantage dans ce groupement. D’abord à Salers l’été et à présent depuis le mois d’avril, j’expose à plein temps à Aurillac.

J’apprécie d’en être membre car l’ambiance est cordiale, il y a de l’entraide à distance tout au long de l’année mais aussi quand on est de permanence dans la boutique et qu’un client nous pose une question sur un prix, un détail…. Nous échangeons des messages, parfois des visio’… Nous nous rencontrons aussi en amont de la saison pour préparer chaque exposition. De temps en temps, nous nous retrouvons pour des petits repas. Au sein de La Fabrik règne un excellent état d’esprit. Cela tient au fait que l’on se choisit. Même s’il existe des différences dans nos productions, nous avons une conception partagée de ce que doit être notre collectif. Nous veillons à ce que la boutique présente harmonieusement nos créations. Notre style est résolument contemporain. 

A côté de Salers et d’Aurillac, j’expose mes créations dans d’autres endroits. J’ai fermé récemment un dépôt à Cordes sur Ciel après quatre ans. Il faut savoir se renouveler, d’où un nouveau dépôt cet été sur l’île de Ré et l’hiver dernier, une boutique à Mâcon et en ce moment à Figeac. En outre, je suis présente sur divers marchés d’artisanat, des marchés de potiers, des salons d’art et d’artisanat … Avec ces différents lieux et mes sculptures, je parviens à obtenir des revenus corrects de ce travail et je complète mes revenus avec une autre activité. Quand je réfléchis sur mon activité, il me semble qu’il convient de distinguer les pièces artistiques des objets artisanaux. Dans les premières, j’intègre un « plus ». L’œuvre d’art, ce n’est pas un objet dont on va se séparer facilement à la différence d’un petit objet d’artisanat. Lui, va juste faire un passage dans notre vie. Il ne génère pas l’émotion et la réflexion qui est attachée à une œuvre d’art. 

Karine

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

%d blogueurs aiment cette page :