« En oncologie, il faut y aller en douceur »

Christine, kinésithérapeute – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »

Se lever, aller aux toilettes ou prendre une douche : de petites choses anodines auxquelles les bien-portants ne prêtent pas attention. Mais les gestes de la vie quotidienne sont d’une grande importance pour une personne malade. Maintenir ces gestes élémentaires valorise le malade qui n’est plus, alors, condamné à rester  au fond de son lit : il retrouve des activités qui le rapprochent un peu de la normalité. Ne seraient-ce que quelques pas dans le couloir le font sortir un petit peu du contexte de la maladie.

Quand les patients  sont capables de marcher, je leur dis très souvent : « Quand la famille vous rend visite, l’après-midi, allez faire un petit tour ».  Même si c’est en fauteuil roulant pour aller à la cafétéria,  il est important qu’ils sortent du cadre de la chambre, symbole de la maladie et de l’hospitalisation.  Mes prises en charge de kinésithérapie ne se cantonnent donc pas à des actes techniques médicaux. J’essaye de voir ce que je peux apporter à la personne pour améliorer son quotidien, aussi bien physiquement que psychologiquement, afin qu’elle conserve – dans la mesure du possible – une activité normale. 

J’interviens toujours le matin, dans la chambre. Éventuellement dans le couloir lorsque les personnes ont suffisamment d’autonomie et de force pour marcher. Quelquefois on peut même aller dans les escaliers, de manière à faire travailler un petit peu plus. En oncologie, je n’amène jamais les patients jusqu’en salle de rééducation, les prises en charges sont trop courtes. Un quart d’heure c’est déjà beaucoup pour des personnes fatiguées et fatigables. Il ne faudrait pas non plus que je plombe leur journée en les épuisant complètement. II faut que je leur laisse un petit peu de forces ! Je propose, j’essaye mais je n’insiste pas si je vois que c’est trop douloureux. J’explique, selon la localisation de la douleur, comment se lever en essayant d’effectuer les transferts – les changements de position – avec le maximum de confort. C’est du travail par tâtonnements, par ressenti, où il faut être très à l’écoute. Mon rôle est aussi de stimuler. Mais si c’est peine perdue, je ne vais  pas plus loin. Une séance faite contre le gré du patient n’apporterait rien. Il y a des jours où il n’est pas en état d’effectuer les efforts que je demande : il sort de chimio, il va subir des examens, ou on vient de lui faire une annonce un petit peu compliquée… 

Certains malades  veulent qu’on leur dise clairement les choses qui concernent la gravité de leur maladie, d’autres  ne veulent ou ne peuvent pas les entendre. Ça se comprend, c’est difficile d’accepter une situation qui empire. Je pense à un patient dont on savait qu’il ne pourrait pas guérir  mais qui ne pouvait pas l’accepter. Il nous demandait énormément de choses qu’on savait impossibles. Par exemple, une personne atteinte de métastases au niveau de la moelle épinière perd en partie la motricité et la sensibilité de ses jambes. Je sais qu’elle ne pourra probablement pas les récupérer. Mais je ne vais pas le lui dire aussi brutalement. Surtout si elle est encore dans l’idée de marcher, de se mettre debout. C’est compliqué. 

J’ai la chance de ne pas avoir à annoncer le pronostic  au patient. Je viens après le médecin qui s’en est chargé, et  qui m’a dit comment il a expliqué les choses. De mon côté, je vais aller dans le même sens que le médecin, essayer de trouver les mots pour que ça fasse son chemin petit à petit dans la tête du patient. Je commence par lui expliquer la situation : il se passe ça, qui entraîne telle chose sur le plan médical. J’essaye, en fonction de la personne que j’ai en face de moi, d’avoir des mots bien compréhensibles, de lui présenter toutes les possibilités. Mais je suis  un peu sur la corde raide : ne pas trop donner d’espoir sans trop être négative. D’autant plus que je peux me tromper, penser que ce malade ne va pas récupérer alors qu’en fin de compte il y aura de l’amélioration. Il ne faut donc pas fermer les portes dès le départ. Ensuite, au fil des jours, je vois dans quel sens ça évolue.

L’état de santé des personnes dont je m’occupe suit une courbe  en « montagnes russes » : ça va bien, ça descend, ça remonte… La plupart du temps, la dégradation est progressive. Je constate les petites choses qu’elles ont de plus en plus de difficultés à faire. Tel  patient qui pouvait marcher ne peut plus, ou marche de moins en moins. Il fatigue davantage. Il doit faire demi-tour plus vite. C’est plus dur, pour lui, de se lever, de sortir du lit. Les aides-soignantes  ont davantage de difficultés pour faire sa toilette. A ce moment-là, mon travail est d’assurer son confort. Je laisse alors de côté la revalidation et la stimulation, qui sont les objectifs de mon métier de kiné. Lorsque le malade  n’est plus capable de répondre physiquement, je passe aux massages, aux mobilisations dans le lit pour que le patient se sente un petit peu mieux. Et puis on parle de la pluie du beau temps… 

Qu’il s’agisse de  revalidation ou de soins de fin de vie, en oncologie, c’est l’apport de confort qui prime. On s’est rendu compte, en effet, que plus les gens étaient immobilisés, plus ils développaient des complications. L’immobilisation peut aussi entraîner des douleurs. Il est donc important que les gens puissent bouger un petit peu. Ça facilite aussi le travail des  aides-soignantes et des infirmières qui peuvent lever le patient pour lui donner sa douche, l’aider à se rendre aux toilettes. C’est un peu différent des prises en charge que je réalise  en chirurgie. Les gestes, les principes sont les mêmes. Dans les deux cas, je fais attention à la douleur de chacun, à ses possibilités. Mais en chirurgie, je suis un peu plus dans la stimulation, je suis plus directive. Dans le service d’hospitalisation complète, en oncologie, il faut s’adapter, y aller en douceur pour obtenir, dans les gestes de la vie de tous les jours, des améliorations qui profitent aussi bien au le patient qu’à l’équipe. 

Le travail d’équipe est très important ici. Si l’équipe estime qu’il y a besoin d’une prise en charge kiné, ou que l’on pourrait faire un peu de revitalisation avec une personne alitée depuis longtemps, elle en parle au médecin qui prescrit sur la base des observations de tous. Les aides-soignantes, en particulier, ont un rôle primordial. Les infirmières, le médecin ou moi-même, passons ponctuellement dans les chambres pour des gestes techniques. Elles, elles font les toilettes, elles touchent à l’intimité des personnes, ce sont les mieux à même de percevoir les signes de mal-être, de détérioration, qui peuvent appeler des soins de kinésithérapie. 

On travaille vraiment tous ensemble. Les équipes m’apportent les informations dont j’ai besoin pour mes prises en charge. En retour, je leur explique ce que je fais avec les patients. Parce que ça peut aussi les aider dans leur travail. En général je vois les membres de l’équipe le matin, dans leur salle ou dans le couloir où y a beaucoup de passage, où l’on se croise, où circulent aussi les informations. Ça nous permet d’échanger rapidement et plus facilement que dans les chambres. Quand j’arrive, je vais voir l’infirmière pour faire rapidement la liste des personnes dont je vais m’occuper. Quel est  leur état de santé? Tel ou tel patient a-t-il changé par rapport à la dernière fois ? Son état s’est amélioré ou a-t-il empiré ? Ensuite, je fais mes prises en charge, puis je vais la revoir pour la tenir au courant : « Ça s’est bien passé, rien de particulier », ou: « Il y a eu ça comme difficulté, ou ça comme amélioration ». On échange sur la manière dont l’équipe peut tirer profit des progrès que j’obtiens. Par exemple, lorsqu’un patient réussit à se remettre debout progressivement en commençant par s’asseoir au bord de son lit, cela permet de mieux faire une partie de sa toilette ou de servir ses repas plus confortablement. Quand il réussira à faire quelques pas, il pourra se déplacer jusqu’au cabinet de toilette pour les soins d’hygiène. 

Ici, toutes les personnes de l’équipe sont capables d’arrêter ce qu’elles sont en train de faire pour vous écouter et répondre à vos questions. J’ai trouvé ça fantastique quand je suis arrivée dans le service et que j’avais besoin de demander pas mal de choses. J’imagine que les familles bénéficient de la même attention. 

On échange beaucoup et on se soutient les uns les autres parce qu’il nous arrive à tous d’être particulièrement touchés par les patients que nous approchons de si près. Même si on essaie de se faire une carapace, de mettre un petit peu de distance, d’avoir un œil professionnel, c’est compliqué. Alors, retrouver l’équipe, avoir le regard de personnes qui ont un peu plus d’expérience, est une aide précieuse. Vous n’êtes plus seule à porter ça, c’est rassurant de se dire que vos collègues vivent la même chose que vous.  

Christine, kinésithérapeute

Depuis de nombreuses semaines, le sommeil de mon épouse est troublé par une respiration rauque qui dégénère en apnée. On a vu des soignants entrer précipitamment dans la chambre  en croyant à une détresse respiratoire. La kinésithérapeute vient faire quelques exercices d’expectoration. La voix ferme et encourageante, elle pose la main sur le sternum : « Vous allez inspirer… et souffler, lèvres serrées… ». Mais la fatigue est revenue, le moral s’en est allé. « Soufflez encore ». Pas de motivation. Epuisement… La kinésithérapeute a beau se faire gentiment persuasive… « On va essayer encore une fois ». Mon épouse s’est arrêtée, a fermé les yeux. Pour un peu, elle s’assoupirait. Il vaut mieux en rester là. 
Le lendemain matin, j’arrive dans une chambre en désordre. Le lit est défait, la table roulante est jonchée de serviettes. On m’explique que mon épouse a vomi. La nuit a été mauvaise. La médecin de l’étage est pessimiste. Dans la journée, mon épouse retombe dans une sorte de semi-coma. Le soir est venu sans amélioration. Je décide de demander un lit de camp pour rester. Je me penche vers elle : « Je vais dormir ici, à côté de toi ». Elle entrouvre les yeux et me souffle distinctement, avant de replonger: « Je sais que tu es là…»

Pierre, accompagnant

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