« Les effets s’amplifient au fur et à mesure des séances »

Mélissa,  manipulatrice en radiothérapie – Les inédits de « l’urgence c’est de vivre »

Après avoir rencontré le médecin radiothérapeute, le patient est invité à venir consulter un manipulateur qui lui détaillera le déroulement et les étapes du traitement prochain. Lorsque je reçois un patient pour une telle consultation, je lui explique qu’il passera d’abord un scanner de repérage. Les images en trois dimensions qui seront alors obtenues permettront de déterminer la balistique du traitement et la position dans laquelle il sera placé sur la machine. Il sera, par exemple, allongé sur le dos, avec un oreiller sous la tête, tandis que ses pieds seront calés dans un repose-pied… Il ne devra pas hésiter à dire comment il se sent ainsi parce qu’il sera installé dans la même position à chaque séance.

La reproductibilité, en radiothérapie, est très importante. Tous les jours, les manipulateurs contrôleront ce positionnement en comparant les images réalisées lors de la séance avec les images obtenues lors du scanner de repérage. Je lui montre des photos des différents appareils et en particulier celles des trois machines de traitement à propos desquelles je peux évoquer les différentes techniques de radiothérapie. Je lui explique comment la tête de l’appareil tournera autour de lui… Il entendra juste quelques bruits et ne sentira rien parce que les rayons sont indolores et transparents. Puis, je lui rappelle les consignes propres à son traitement. Il devra, par exemple, venir au scanner de repérage vessie pleine et rectum vide. Quand je vois que c’est nécessaire, je lui note ces consignes. Ensuite, je lui parle du temps que cela va durer : nombre de séances, durée de prise en charge de chaque séance. Cela peut aller d’une séance flash jusqu’à quarante-deux séances. Les cellules tumorales se régénèrent moins vite que les cellules saines, c’est pourquoi on délivre une petite dose tous les jours, du lundi au vendredi ; ainsi, elles n’ont pas le temps de proliférer. J’avertis le patient que le médecin choisira une des trois machines en fonction de la localisation et du traitement retenu : sein, crâne, prostate, rectum, poumons, sphère ORL…

J’aborde ensuite la question des effets secondaires de la radiothérapie. Ces effets ne se ressentent jamais lors de la séance elle-même mais apparaissent avec l’accumulation des doses, généralement après la deuxième, voire la troisième semaine de traitement.  Pour qu’il comprenne plus facilement, j’explique au patient que c’est comme s’il allait au soleil. Il y passe une heure sans problème. Mais au bout d’un moment, la peau va rougir et commencer à chauffer. En radiothérapie c’est la même chose, les effets s’amplifient au fur et à mesure des séances. Même si on essaie d’épargner au maximum les tissus non cancéreux, on va malheureusement toucher aussi les cellules saines d’organes comme la peau. Les effets secondaires seront plus ou moins importants selon la localisation de la tumeur et selon la tolérance du patient. Si, par exemple, le patient a une peau claire, il risque des effets secondaires plus importants. S’il a le teint mat mais qu’il fume, il aura également des effets secondaires majorés parce que sa peau est fragilisée par le tabac. La peau d’une patiente qui a une poitrine volumineuse risque de suinter au niveau des plis du sillon mammaire. Je précise qu’en cas de réactions trop importantes, j’alerterai le médecin. C’est lui qui décidera de la conduite à tenir : crème, pansements, arrêt du traitement durant quelques jours…  Aujourd’hui, il est rare que l’on arrête un traitement à cause d’effets secondaires. Les machines et les techniques d’irradiation ont beaucoup évolué. Enfin, j’avertis le patient qu’on lui demandera tous les jours son nom, son prénom et sa date de naissance. Nous y sommes très vigilants et, dans l’ensemble, les patients sont coopérants. Parfois le patient refuse de répéter quotidiennement son nom mais nous arrivons à le convaincre que c’est une sécurité très importante. 

Cette consultation d’annonce est plus ou moins longue, selon que le patient est bavard, qu’il vient seul ou pas… Je considère que prendre le temps d’expliquer tout le déroulement du traitement, étape par étape, fait vraiment partie de mon travail. C’est une activité qui, comme l’assistance aux tâches de programmation – que je fais aussi par rotation-, l’encadrement des stagiaires ou la rédaction des procédures, permet à chacun de s’investir dans le service selon ses propres centres d’intérêt. Ce que je préfère, dans mon métier, ce sont les prises en charge des patients sous l’appareil de traitement et les consultations d’annonce car j’aime le contact avec les patients. 

Avant que ne débute son traitement, et une fois qu’ont été effectués le scanner de repérage, le contourage, la dosimétrie et la validation du médecin et du physicien, nous recevons le dossier du patient au poste de traitement. Nous préparons alors les notes utiles: matériels, décalages, position du patient…  Ainsi, quand ce dernier arrive à la séance de mise en place, nous avons toutes les informations pour l’installer et le centrer conformément aux préconisations.

Lors d’une séance, j’appelle le patient dans la salle d’attente. Je lui demande son identité, comme tous les jours. Je reprécise le rendez-vous du lendemain qui peut avoir été décalé à la suite d’une urgence. Surtout, je lui demande systématiquement comment il va. Il y a des gens plus réservés. Je dois parfois un peu aller à la pêche aux informations pour savoir s’il va bien. Ensuite, il se déshabille dans la cabine et patiente jusqu’à ce que l’on vienne le chercher.  J’ai dans son dossier une petite carte avec sa photo et un code barre. Nous en avons besoin pour lancer son dossier informatiquement, à chaque séance. Puis nous installons le patient sur la table, nous réalisons les images de contrôle de sa position. Nous déclenchons le traitement qui ne dure pas plus d’une à deux minutes. Enfin on le libère. Il retourne en cabine et nous préparons la salle pour le patient suivant que nous faisons entrer sans tarder. On enchaîne. Cela représente, le plus souvent, un traitement toutes les dix ou quinze minutes. Rester toute une journée sur ma machine de traitement, cela me convient très bien même si je commence à trouver certaines facettes du métier un peu trop répétitives.

Nous travaillons obligatoirement en binôme, c’est une sécurité. Cela permet une double vérification du centrage, des calculs pour un éventuel décalage et pour la mobilisation du patient sur la table qui peut parfois être difficile (patient en fauteuil, perfusé, corpulent)… Nous vérifions également nos images quotidiennes ensemble. C’est important, en cas de doute, nous pouvons nous appuyer l’un sur l’autre. Nous n’entrons pas dans la salle quand l’appareil délivre le rayonnement, nous restons au pupitre de traitement. Lors de la fermeture de la porte blindée qui sépare le pupitre et le bunker, nous sommes très vigilants de n’enfermer dans la salle personne d’autre que le patient. Nous recevons moins de dose qu’en radiologie, mais nous portons un dosimètre qui est analysé par l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire). 

En général, une fois que nous sommes sortis de la salle, nous communiquons peu avec le patient. Lors de la délivrance des rayons, nous disposons cependant de caméras et d’un interphone pour parler avec lui. Dans tous les cas, nous avons toujours un œil sur lui parce qu’il peut parfois être anxieux ou agité. Si le patient tousse, bouge ou ne se sent pas bien, nous stoppons le faisceau et nous allons le voir. Cela ne se fait pas en deux secondes : il faut quand même que la grosse porte blindée s’ouvre. Si c’est nécessaire, nous repositionnons alors le patient et nous réalisons de nouvelles images avant de poursuivre le traitement. De leur côté, les accompagnants restent en salle d’attente. Parfois, ils peuvent venir en cabine afin d’aider le patient à se préparer ou à communiquer avec nous s’il ne parle pas Français ou s’il est un peu perdu. Avec les patients en brancard ou à mobilité réduite, la prise en charge est un peu plus longue : on les aide à se déshabiller, à s’installer. Nous nous adaptons à chacun. 

La première séance de radiothérapie dure toujours plus longtemps que les suivantes parce que nous expliquons davantage de choses et que le médecin doit valider les premières images. Nous avons la chance de pouvoir prendre le temps qu’il faut – à moins qu’on ait accumulé beaucoup de retard – pour mettre alors le patient en confiance. Même si certains sont moins stressés que d’autres, tous ont de l’appréhension. Il nous arrive même que l’un d’eux nous demande de le prendre en photo pour que sa famille puisse voir ce qu’il vit. D’ailleurs, notre service est bien reconnu pour la qualité de sa prise en charge. Le questionnaire de satisfaction remis au patient lors de son traitement le confirme. Nous recevons aussi des petits mots et des présents de remerciement. Ces petites attentions nous touchent et quelques douceurs de temps en temps nous font très plaisir. Nous sommes un service très gourmand !!! 

Dans certains cas, le traitement proposé a pour but de soulager le patient plus que de le soigner, notamment lorsque nous traitons des métastases qui compriment la moelle épinière afin d’éviter des fractures de vertèbres fragilisées ou de permettre de retrouver une mobilité des jambes. Parfois, nous traitons un patient et, le lendemain, soit par la famille, soit par le corps médical ou même de manière fortuite, nous apprenons qu’il est décédé. Cela fait partie des difficultés de notre métier. J’essaie toujours de repérer si le patient est bien entouré. S’il est seul ou mal accompagné, il arrive qu’il craque. Alors, je prends plus de temps en cabine. Si nécessaire, je propose une consultation avec une psychologue. Parfois, du simple fait d’avoir pu s’exprimer, la personne va mieux le lendemain. Aussi, il m’arrive d’appeler la psychologue et de lui demander de passer voir un patient en calant un rendez-vous par exemple pendant son temps de chimiothérapie. 

Nous avons des groupes de parole avec la psychologue pour apprendre à aborder des sujets sensibles et échanger sur des cas qui nous ont touchés. Mais voilà longtemps que nous n’en avons pas organisé, par manque de temps. Ces groupes de parole, ajoutés à l’expérience, m’aident lors de la prise en charge des patients. Je suis plus à l’aise qu’au début. Souvent, mon entourage me parle de mon métier, me dit que ça ne doit pas être drôle tous les jours.  Mais je ne pense pas chaque matin : « Aujourd’hui, je vais soigner cinquante patients atteints du cancer ! » Je sais que je vais rencontrer des personnes avec qui je vais discuter de la vie de tous les jours, de ce qu’elles ont fait le week-end, de leurs enfants et petits-enfants, de leurs loisirs, de leur joli pull ou des chaussettes rigolotes qu’elles portent. Nous parlons aussi de ce qu’elles lisent, de ce qu’elles vont manger le soir ! Et nous partageons d’agréables moments entre collègues ! Les patients n’ont pas tous le sourire, ils ne sont pas tous agréables mais quand je suis au travail, je n’ai pas à faire subir mon éventuelle mauvaise humeur. J’essaie de n’avoir jamais de mots qui pourraient blesser. J’essaie de toujours rester souriante et à l’écoute du patient. Deux qualités qui sont, pour moi, primordiales pour exercer notre métier !  C’est important aussi d’être joyeuse et attentive à mes collègues pour passer une agréable journée. Si un patient m’exaspère, j’essaie de ne pas m’énerver. Ce n’est pas toujours facile de rester Zen. Parfois, j’aimerais dire à certains patients que je fais de mon mieux ! Mais je comprends que leur mal-être peut être dû parfois à leur maladie ! Je me dis que si j’étais de l’autre côté de la barrière, je ne serais peut-être pas facile à prendre en charge.

Parfois, nous partageons des moments moins agréables : odeurs, vomissements, diarrhées, trachéotomies, souffrances physiques, pleurs, solitude de certains patients…mais cela fait partie de notre métier ! Je me souviens particulièrement d’un patient qui semblait vivre en autarcie, dans une maison sans doute un insalubre. Il est arrivé avec un sac à dos raccommodé, des vêtements reprisés, y compris son slip qui n’était plus blanc du tout ! Il ne semblait pas malheureux, mais il parlait peu. Il était très réservé ! Certaines histoires personnelles parfois nous attristent et nous renvoient à notre vie personnelle : récemment, nous avons traité une jeune patiente qui venait d’accoucher – son bébé avait 10 jours ! – et qui avait deux autres enfants. Elle était atteinte d’un cancer généralisé du poumon découvert juste après la naissance. Elle souffrait ! Pendant sa grossesse, on avait mis ses douleurs sur le compte d’une sciatique. Elle est décédée très peu de temps après le traitement ! Il se trouve que j’ai quasiment le même âge que cette patiente, et trois enfants également… 

Je fais ce métier depuis douze ans. J’aurais pu travailler en imagerie médicale (radiologie, IRM, scanner) ou en médecine nucléaire. Mais j’ai choisi d’exercer en radiothérapie où la relation avec le patient me semble plus riche. Après toutes ces années au sein de la clinique, j’aspire à autre chose. C’est pourquoi j’ai fait une expérience professionnelle de quatre mois dans le maraîchage et vente de la production maraîchère. Etonnamment, j’y ai trouvé énormément de points communs avec mon métier actuel dans la santé : il faut être dynamique, à l’écoute des gens et toujours garder le sourire, mais cette fois-ci dans le domaine de la vente ! Ce fut une très bonne découverte. Pour des raisons d’organisation familiale et financière, je n’ai pas signé le Cdi proposé. Comme j’étais partie de la clinique en bons termes, j’ai pu réintégrer mon poste de manipulatrice en CDD en septembre dernier. J’aime travailler en équipe et j’aime le contact avec les patients mais une petite voix dans ma tête me dit qu’il faut que je change de voie … 

Mélissa, manipulatrice en radiothérapie

C’est une petite pièce auprès de la porte vitrée qui donne sur le parking réservé à la cancérologie. Il y a là, je crois, des fauteuils en moleskine rouge et peut-être aussi une table basse. Une manipulatrice nous y reçoit pour nous présenter la façon dont, techniquement, se dérouleront les séances de radiothérapie. Elle est accompagnée d’une collègue en formation. Est-ce que la présence d’une stagiaire nous dérange ? Non, non… Toutes les deux s’installent en face de nous de manière un peu cérémonieuse. Il y a une sorte de tension qui vient peut-être de nous… Un café ? Un thé ? Non, non, merci… 
Les différentes phases de la préparation et des séances elles-mêmes sont détaillées avec force informations concrètes et utiles. On nous montre des photos de la machine : un gros engin gris-perle dans une salle aux murs de boiserie claire,  illuminée par un plafond-ciel ensoleillé.  Est-ce qu’on a des questions ? Non, non… 
On voit bien que tout est prévu, balisé… On peut faire confiance…
A vrai dire, nous ne sommes pas très présents. Tout cela est allé trop vite, nous n’avons pas encore encaissé le choc. Pour l’heure, nous attendons surtout que les choses commencent vraiment, dans quelques jours, lorsque l’heure de la première irradiation sera arrivée…

Pierre, accompagnant

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