Propos recueillis et mis en textes par Roxane, mars 2023

Je m’appelle S., maroquinière, je travaille avec mon mari Jean-Paul maroquinier, il m’a appris son métier. Quand je me lève le matin vers 7h 30, ma première préoccupation, après la douche, est de nourrir mes cinq chats. Ensuite je monte à l’atelier au second étage. J’y vais en chausson ! C’est dire combien mon travail s’entremêle avec mon quotidien. Je consulte notre liste de fabrication pour voir son adéquation avec notre stock et avec notre répartition des tâches. C’est souvent mon mari, Jean-Paul, qui va à la presse, c’est toujours lui qui a le rôle de découpe, et moi plutôt celui de la diminution d’épaisseur du cuir avec la refendeuse.

Mais je sais tout faire. On s’est voulus polyvalents. Ainsi, il découpe les pièces des escarcelles, canons de bras[1], diadèmes, bracelets, ceintures, babouches ou d’autres objets accessoires que nous fabriquons. La presse, qui pèse deux tonnes et la refendeuse, très lourde elle aussi, sont restées au rez-de-chaussée, lors de notre installation, il y a peu, dans notre très grande maison… Quand les pièces sont découpées et refendues, je les remonte au second, pour faire la teinture à la main, les coutures à la machine, les bordures et l’assemblage final. Je m’ arrête vers 11 h 30 jusqu’à midi et demie pour faire du sport dans MA salle de sport que j’ai aménagée, j’aime bien faire du sport. Puis je m’étends une demi-heure, en méditation, et nous mangeons. Nous reprenons à l’atelier de 14 h jusqu’à 19 h – 19 h 30. Ainsi nous constituons chaque jour notre stock. Quand il pleut, nous travaillons même le samedi et le dimanche, hiver comme printemps; et quand il fait très beau nous partons en balade à pied ou en VTT, y compris la semaine. On est juste attentif à répartir notre temps de travail selon nos besoins.
Quand j’ai rencontré Jean-Paul j’étais pisteur-secouriste à Val d’Isère et à Tignes. Il m’a appris la maroquinerie, il y a une trentaine d’années. Nous avons fait les saisons dans les foires et marchés et c’est quand nous avons eu des enfants, peu de temps après, que nous sommes venus en Auvergne dans une maison après avoir vécu dans un petit appartement qui, il faut le dire, n’était pas terrible pour les enfants !
Maintenant, et depuis près de 26 ans, je vais à Salers vendre en alternance avec mon mari, quand il y a du monde certains week-ends de juillet, tout le mois d’août ou quand il est à Souvigny, une foire médiévale.
Salers, pour moi, signifie que je laisse ma maison, mes chats, mes chevaux, mon jardin … à mes enfants ou aux copains. Moi, ce que je préfère c’est la fabrication dans notre maison-atelier. Mais il faut bien vendre nos productions ! Alors j’y vais. Quand j’arrive dans la boutique du village, il me faut facilement deux jours pour retrouver mes marques et une bonne relation avec la clientèle, que je trouve souvent compliquée. Certains mettent en doute nos fabrications et croient que nos objets viennent d’ailleurs… du Moyen orient. C’est vexant. Il m’est plus facile de vendre en foire médiévale qu’en boutique ! Dans les médiévales, les gens, les badauds ou clients sont plus ouverts. Je rigole avec eux et ils ne posent pas de questions, ils achètent sans problème. Parce que c’est leur plaisir et qu’ils sont passionnés par les objets particuliers du moyen-âge. Aujourd’hui, j’ai déjà fait 25 jours à à Salers, je repars lundi et je reviens dans 10 jours pour remplacer Jean-Paul jusqu’à mi-septembre. Après c’est fini jusqu’à l’année prochaine.
Avec Jean-Paul, nous avons trouvé facilement une location de 3 mois dans le village, jusqu’en septembre. C’est un petit appartement uniquement pour dormir et manger. Le reste du temps, 7 jours sur 7, on alterne dans la boutique entre midi et deux, pour ne pas perdre de clientèle. Pour l’instant, ça va, parce que notre affaire marche bien. Mais les journées sont parfois molles, longues ou même vides, sans client et je m’ennuie.
Ceci dit, je ne voudrais pas changer de métier. Même si je préfère la fabrication à la vente en boutique. Sinon que ferais-je d’autre ? Jardinière ? J’aime faire pousser le fenouil, les petits pois, les carottes et les fleurs que je paille, pour éviter la sécheresse. Le jardinage est une de mes passions avec le sport et le VTT. J’habite dans le Puy-Dôme à côté d’Ambert, à 1000 m d’altitude dans une maison confortable, qui nous a coûté dix ans de travaux. Là-bas je suis très occupée, mais il faut le dire un peu en solitude. À Salers, je retrouve Jean-Paul et le monde de la clientèle et du village. Ça m’équilibre.
S.
[1] Le canon de bras, ou d’avant-bras, est une pièce de protection constitutive de l’armure au moyen âge. Il peut être en cuir .