Souvigny  : foire des troubadours et saltimbanques. 

Jean-Paul, maroquinier – Salers août 2022

Propos recueillis et mis en texte par Roxane – mars 2023

La boutique de Salers

Chaque été, nous nous installons à Salers jusqu’à fin septembre, et depuis 25 ans, vers la fin juillet, je laisse la boutique à S. mon épouse pour aller à Souvigny. Je suis un grand fidèle de la foire de Souvigny, pas seulement pour le business mais surtout pour l’ambiance. 

Souvigny réclame le terme de “foire médiévale ” plutôt que celui de « fête médiévale » , terme moins inscrit dans l’histoire. Elle est avant tout festive avec ses multiples troubadours, saltimbanques, cracheurs de feu et musiciens. Elle dure 10 jours, l’entrée est gratuite, c’est pour cela qu’il m’est facile de créer des liens avec les visiteurs qui, même désargentés, peuvent s’offrir un coup à boire et assister aux spectacles qui sont aussi gratuits. Ce côté très populaire me plaît bien ! Souvigny, à côté de Moulins dans l’Allier, est l’un des berceaux des Bourbons : les rois de France. Et j’aime cela, moi qui suis un féru d’histoire et plus particulièrement du moyen-âge, et,  il faut le dire, de la seconde guerre mondiale aussi.

L’ambiance du banquet médiéval

C’est pour cela qu’en m’y rendant, je joins l’utile à l’agréable et que, parmi mes  fabrications en cuir, pendant l’année, je développe certains modèles d’inspiration médiévale, style “canon de bras”, pour protection de combats, “avant-bras” pour tir à l’arc ainsi que tout ce qui se porte à la ceinture. C’est-à-dire des escarcelles, aumônières, bourses, parce qu’il faut savoir que la poche de pantalon, de vêtement, n’a été inventée qu’à la fin du 19e siècle et qu’autrefois tout se portait à la ceinture. Ainsi, je vends des ceintures particulièrement longues parce qu’à l’époque avoir une ceinture longue était synonyme de richesse. Mes clients viennent costumés en habits moyenâgeux, chercher des accessoires pour parfaire leur tenue. Le costume, c’est un certain budget. Je leur conseille de prendre du temps pour le constituer. Je leur dis : « Commencez d’abord par les vêtements et après vous vous occuperez des accessoires. Le fin du fin, c’est évidemment les chaussures, même si elles sont onéreuses. » Il faut compter 250 à 300 € la paire. Je n’en fabrique pas. Chacun sa spécialité, moi je fais de la maroquinerie. J’aime l’intérêt des gens pour la matière que je travaille parce que c’est une matière noble. De plus, les clients apprécient beaucoup que je leur explique ma manière de travailler. « Où achetez-vous les peaux,  comment travaillez-vous, avec quelle machine ? » me demandent-ils. Ils sont curieux et même étonnés que je sois fabricant, tellement habitués qu’ ils sont, à avoir des objets qui viennent d’ailleurs. Avec  ma femme S. nous travaillons  des peaux  sélectionnées en tannerie. La plus belle des récompenses que nous ayons c’est quand on nous dit : « J’aime bien ce que vous faites”.  J’en profite pour leur apprendre  que porter un diadème, un bijou en cuir orné d’une garniture, avait valeur de médication bien particulière autant pour les femmes que pour les hommes et que ça fait partie du costume. Ou à la suite de leurs plaisanteries douteuses sur la forme de mes aumônières, je les invite à lire le panneau explicatif que j’ai fait, disant que je me suis inspiré de  la bourse du pèlerin : celle qui donne et qui reçoit. Je ne suis pas un puriste, en matière de fabrication, puisque j’utilise notamment des machines à coudre. Je ne couds  pas à la main, mais je m’inspire des modèles d’époque que je transforme un peu pour être accessible au plus grand public.  Je m’inspire notamment  de l’encyclopédie de Viollet le Duc.

L’atelier de Jean-Paul

 Au bout de 25 ans on crée des liens. J’attache beaucoup d’importance au relationnel. Je connais tout le monde, que ce soient les organisateurs, les visiteurs badauds et mes fidèles clients. C’est en créant des liens qu’on fidélise la clientèle. il n’y a pas de bon commerce sans relation. Les petits vieux de Souvigny viennent me voir. Quand je vendais des sandales, ils venaient pour une petite réparation de lanières. Ainsi je discute de choses et d’autres “Ah vous êtes revenu et comment ça se passe ? Et votre femme ça va ? » Je finis par connaître les parents, les grands-parents, les enfants. Ce climat familial me plaît beaucoup. Je ne suis pas un encaisseur, je suis un vendeur. Les caissières de supermarché prennent les articles, les passent au scan, et c’est terminé. Moi, j’ai toujours le petit sourire, la petite plaisanterie qui va bien. C’est surtout un échange en espérant évidemment que ça se termine par un achat mais ce n’est pas du tout une obligation. Je tiens à préciser que je passe autant de temps à vendre un petit bracelet à 5€ à une petite fille que pour une pièce un peu plus importante. 

Ce que j’aime avant tout c’est le contact avec le public. Ça me ravi de rencontrer du monde, d’échanger, surtout aux médiévales de Rodemack ou du  Puy-en-Velay pour la fête Renaissance de l’Oiseau. Ceux qui  y viennent sont des passionnés d’histoire.

Donc, j’arrive le vendredi de l’ouverture pour aider les organisateurs de l’Association Souvigny à faire les placements. C’est tellement chaotique au début ! Ils ne connaissent pas trop « les professionnels artisans »,  moi, oui. Je sais que, lors d’un événement fâcheux “il faut mettre de l’huile pour que tout glisse”. Je m’applique à satisfaire le plus possible, avec les circonstances, les désirs des uns et des autres. Je répartis bien les différents métiers. Bijoux, cuir, nourriture…  pour créer de la diversité. Puis, dès le soir, bien sûr, je monte mon échoppe. Ce qu’il faut savoir, c’est que monter la structure, les tables avec des articles et surtout la déco me demande entre quatre et cinq heures. Une échoppe décorée attire d’autant plus le client. Pour participer de la meilleure façon, je prépare bien à l’avance mon stock pendant un mois et demi de fabrication, pour garnir  au mieux mon échoppe. Reste que je suis un artisan et non un industriel et que j’ai un nombre limité de pièces, que j’en écoule beaucoup le premier week-end, qui est le rendez-vous de tous les fondus de Médiéval. Le samedi, à 14 h, vêtu en costume moyenâgeux, je suis prêt à la vente. La foire va durer jusqu’à 1 h matin, voire 2 h, pendant dix  jours avec, en son centre, deux grosses tavernes dans une ambiance tonitruante. Parfois, avec débordements !  La gendarmerie patrouille. Comme il n’y a pas de service de gardiennage, j’installe un lit de camp dans mon échoppe. Je déjeune le matin copieusement pour tenir jusqu’à la fermeture, sollicité que je suis tout le jour. A tel point que j’urine  dans des bouteilles en plastique quand cela m’est possible, puisque je ne peux pas quitter mon échoppe.

 Pendant 10 jours, costumé, je suis en représentation du matin au soir. Je fais « mon Belmondo grande gueule » à travers mes démonstrations de mes cornes à boire. Je fais du “tatage” de glotte pour expliquer comment boire d’un seul trait. Dès  l’instant,  vers 1 h ou 2 h du matin,  où je ferme le rideau, je m’assois,  je suis KO.

Jean-Paul

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

%d blogueurs aiment cette page :