Parole du 10 avril 2020, mise en texte avec Roxane
Je suis auxiliaire de vie sociale. Je permets, avec toutes mes collègues, le maintien à domicile des personnes âgées, parfois des jeunes, handicapées ou malades dépendantes. Je suis missionnée par des plannings savants, très mouvants, pour des tâches du quotidien. Chacun·e doit s’adapter. Le personnel c’est surtout des femmes. Je vais chez des personnes du lever jusqu’au coucher, je les accompagne aussi dans les services sociaux pour les affaires administratives ou pour maintenir des liens avec les parents ou amis. J’ai des journées bien réglées.
Par exemple, je vais chez M. et Mme X. pour le lever. Je les aide à sortir du lit, à faire leur toilette. Je leur prépare leur repas et les aide à manger, je les couche. Madame X. est presque autonome, bien qu’elle soit affectée par un diabète, elle va seule à la salle de bain et je l’aide pour le reste. Elle prend son petit déjeuner et pendant ce temps, je vais m’occuper de son mari hémiplégique. Beaucoup moins autonome, il a fait un AVC, il ne marche pas trop mal, mais avec lui, il me faut faire tout le reste, je le lave tout entier jusqu’à lui reposer un «pénilex», une sonde urinale qui dysfonctionne… La famille m’avait expliqué comment faire. Je n’ai pas le droit de faire des gestes de soins, cependant en cas d’urgence je peux changer un pansement d’escarre, pour éviter d’avoir à faire revenir l’infirmier, reparti à l‘autre bout de la région. On est en milieu rural. J’aide aussi les aidants. Les malades on s’occupe d’eux, c’est sur, mais il faut regarder qui gravite autour d’eux. Des personnes suffisamment solides ? Jusqu’où peuvent-elles assurer? Elles ont besoin d’aide aussi.
C’est après avoir été secrétaire comptable que j’ai pris conscience que j’avais besoin d’aider les autres. D’abord en free lance, je fais ce métier depuis vingt ans. Si je suis maintenant dans une association 1901, c’est pour m’assurer le statut de salariée.
Au début du confinement, comme beaucoup, nous n‘avons pas eu de protections. Ce fut alors l’angoisse d’attraper ce covid et de le transmettre. Au début de la 2° semaine sont arrivés les gants, on en avait déjà, les masques et très vite aussi les kits visiteurs. Ca je ne connaissais pas. Ce sont des pochettes dans lesquelles on trouve une blouse en plastique, une charlotte, des sur-chaussures, un masque, en papier de cigarette ! Puis sont arrivés les masques chirurgicaux. Par souci d’économie, depuis le début, je les utilise deux fois, on n’en a pas en remplacement. Je les lave au savon d’abord, puis à la bétadine, je les fais sécher et je les repasse à fer très chaud. À chaque fois, on nous dit, que les nouveaux arriveront lundi … et puis rien. J’espère que ceux en première ligne, ceux pour qui c’est vital, les ont reçus, eux. Je suis en seconde ligne, dans une zone peu peuplée, honnêtement je ne me sens pas à risque. Mes bénéficiaires, les personnes aidées, ne sortent pas sauf pour des soins réguliers, comme Mme X. qui sort pour les dialyses, trois fois par semaine. C’est moi qui dois les protéger, car je circule toute la journée. Je vois cinq ou six personnes par jour. Dans nos plannings, les secrétaires ont privilégié les cas les plus lourds, ceux qui n’ont personne. Pour les autres, les familles s’occupent de leurs malades.
La relation avec les administratifs n’a pas beaucoup changé. Sauf qu’au début, comme tout le monde l’a fait, ils nous ont remerciés d’être sur le terrain. Une gratitude pas toujours sincère. L’une d’entre nous a demandé la possibilité de ne pas travailler pour s’occuper de sa grand-mère. Ça n’a pas été accepté. Ce n’est pas correct. Elle a toujours été sur le terrain depuis vingt ans. Il faut dire qu’elle les a un peu bousculés en leur mettant la pression pour qu’on ait des protections. Leur seul moyen de pression, c’est de nous mettre la misère. Aux dernières nouvelles, elle va démissionner. C’est pareil dans d’autres boutiques ! Tout le monde essaie de se dépatouiller pour que l’entreprise fonctionne encore. Nous les salariées, on reste solidaires comme avant. On se dépanne. Sur une soixante dizaine de salariées, certaines ne travaillent pas, pour des raisons diverses, il y a donc plus de travail, alors on se partage les interventions.
En ce qui concerne les autres, les administratifs, je ne les vois pas trop, sauf pour le strict nécessaire : une enveloppe, un chèque à déposer, pour éviter qu’il ne reste dans la boîte aux lettres. La crise du coronavirus démontre, encore plus, qu’on n’avait pas besoin de tous ces gens au bureau, inutiles. Ils sont payés sur notre labeur. Si moi je n’existe pas sur le terrain, eux n’existent pas, c’est moi qui fais le travail. Dès qu’il faut changer le planning, c’est la panique à bord, il faut les voir, ils sont débordés. Depuis que l’association est fédérée sur le département, on a vu fleurir les chefs, les sous-chefs, les sous-sous-chefs et le travail n’est pas mieux fait. Avant c’était des bénévoles qui s’investissaient.
Je dis tout cela parce que je suis en colère. J’ai demandé plusieurs fois à faire une formation, pour changer, pour avoir un pied sur le terrain et un sur l’administratif. Je suis sur le terrain, tout le temps, tout le temps, depuis si longtemps! On m’a refusé cette formation, qui ne leur coûtait rien pourtant. On n’a pas cherché à savoir si j‘étais compétente. Je suis blessée parce qu’il n’y a pas de reconnaissance.
Je me rends compte, en parlant, que ma colère par rapport à l’administration est apaisée parce que j’adore mon boulot. J’ai du mal à le lâcher, à partir en formation, même si parfois j’ai envie d’autre chose, envie de faire une pause. J’aime les gens, j’aime m’occuper des humains des autres … j’ai beaucoup d’empathie … avec le covid c’est top.
Parole d’Hélène, le 10 avril 2020, mise en texte avec Roxane