Les journalistes prennent des risques pour informer

Guillaume, responsable du web d’un magazine

Parole du 8 avril 2020, mise en texte avec Christine

La presse parle beaucoup des soignants, des caissiers, des routiers. Il faut le faire. Mais je trouve que l’on parle assez peu des journalistes. Or quand on sort de bonnes informations, c’est grâce à leur travail. Ils prennent des risques pour informer. Des collègues sont allés dans les hôpitaux et en sont ressortis malades. Certains ont été hospitalisés alors que ça allait mieux. Psychologiquement, c’est lourd pour tout le monde. Des journalistes se sont mis en retrait, ils ont des proches atteints de maladies chroniques ou s’occupent de leurs enfants. Ils font du travail de desk chez eux. D’autres continuent à aller sur le terrain, avec leurs cartes de presse. Certains restent dans la rue mais beaucoup rentrent dans les bâtiments. Il y en a qui sont sur-actifs, comme des malades à peine guéris du Covid qui veulent revenir tout de suite au travail. 

Il est vrai que nous sortons beaucoup plus d’article qu’avant. Les reportages sont très bons et rencontrent une audience incroyable. C’est du jamais vu. Je trouve satisfaisant de me dire que ce que l’on fait est regardé, disséqué. Beaucoup d’interviews sont faites par Skype, ce qui était déjà notre culture dans le web. Quand je vois les journaux télévisés qui s’y mettent aussi, ça m’amuse. Surtout avec tout ce qu’ils ont dit sur le web, critiqué les images, le style d’écriture que nous nous autorisions. Alors que le web c’est génial. On aborde tous les médias en un seul : l’audio, la photo, le texte, la vidéo. Tout en travaillant à distance.

Organiser l’écriture, choisir les sujets, suivre les papiers, les valider, c’est le boulot de la rédaction en chef dans un journal. Quand l’actualité est sensible comme en ce moment, je fais encore plus attention à ce que je valide. On ne peut pas être trop léger, faire trop de sujets insolites ou anecdotiques. Et il faut absolument vérifier l’information. 

Mais tout prend beaucoup plus de temps. Comme je ne vois pas les personnes, je ne sais pas où elles en sont. Je dois les appeler, essayer de comprendre les difficultés, envoyer les fichiers, valider à nouveau, redire à tout le monde ce qu’on a fait. Chez eux, les journalistes ont parfois de mauvaises connexions. Même si au service web nous avons l’habitude de travailler à distance, avec des outils collaboratifs comme les messageries instantanées, tout est plus lent et plus compliqué. D’habitude, si j’ai quelque chose à dire à un journaliste, je peux attendre le lendemain, pour le dire de vive-voix. Actuellement je sais que ça ne sera pas possible, alors j’appelle, je fais des points quotidiens avec mon équipe, j’ai des entretiens individuels avec les journalistes. J’essaye aussi de les avoir en visio pour garder le contact. C’est important de se voir. 

Quand j’y pense maintenant, les grèves de décembre dernier ont été une sorte de grande répétition. Les transports se sont arrêtés pendant plusieurs semaines et les journalistes ont été encouragés à télé-travailler. Nous savions donc que c’était possible. Mais nous n’avions pas expérimenté le bouclage d’un hebdomadaire à distance. C’est assez rock’n’roll, un vrai défi. On a réussi à le faire mais ça nous a pris énormément de temps. La sortie du journal papier est une vraie épreuve depuis le début du confinement, bien qu’on ait réduit le nombre de pages. Dans ma partie, sur le web, je bénéficie de forces supplémentaires, nous sommes une vingtaine. Il est vrai que certains services ont moins besoin de journalistes. Il n’y a pas de films qui sortent, ni de loisirs à l’extérieur. Il y a surtout un énorme appétit pour le web, avec beaucoup d’abonnements payants qui rentrent. C’est une bonne nouvelle pour la presse.

Pour l’instant nous sommes dans l’urgence, au jour le jour. Mais je pense que le bilan sera lourd. Nous dépendons beaucoup de la publicité. Les annonceurs fuient, il y aura des restrictions. Sauf si les abonnements prennent le relais. Le papier se vend de plus en plus mal. Presstalis, le distributeur de la presse, est en grande difficulté. Tout cela conjugué, ça va faire mal. Cela va rebattre les cartes sur le paysage de la presse française, sur notre modèle. 

Du point de vue journalistique, il faudra aussi réfléchir à la manière dont on traite l’actualité. On couvre une manif de soignants, on parle de responsables hospitaliers qui démissionnent, et puis on passe à autre chose. On n’a probablement pas été assez loin sur les conséquences concrètes des mesures d’austérité. 

Parole de Guillaume, le 8 avril, mis en texte avec Christine

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