Parole du 19 avril 2020, mise en texte avec Roxane
Avec le confinement j’ai repris mon travail bénévole auprès de France Alzheimer. Aujourd’hui le dispositif pour les aidants « Escale répit » mis en place par la communauté de communes et le Café Mémoire de France Alzheimer sont fermés. La responsable, une infirmière débordée, qui travaille aussi dans un EPHAD, m’a demandé de prendre en charge onze familles. Depuis le 30 mars, je les appelle, confinement oblige, une fois par semaine, pour savoir comment cela se passe.
C’est à travers la maladie de ma mère que je me suis rapprochée de France Alzheimer, en tant qu’ adhérente. Cette association montée en 1986 par des soignants et des familles, tente de répondre aux questionnements et difficultés des aidants, tout en interpellant les pouvoirs publics. Après la mort de maman en 2009, y devenir bénévole depuis 2012 m’a franchement permis de faire du lien entre ma vie professionnelle et ma vie de retraitée. J’ai arrêté le bénévolat en 2019, en leur disant que je pouvais être disponible en cas d’urgence. Et cela n’a pas manqué j’ai été rappelée dans ce moment de grande urgence.
Ma vie professionnelle était, bien sûr, axée sur l’aide à l’autre. Après différents épisodes professionnels dans ce domaine, j’ai obtenu un poste administratif, dans un Service d’Aide à Domicile, financé par la CAF et le conseil général. J’étais enfin plus disponible pour ma mère, alors malade.
Dans France Alzheimer Ardèche, nous étions quatre, secondées par une jeune psychologue, pour proposer un soutien aux personnes dépendantes ou à leurs familles. Nous tenions des permanences en présentiel ou au téléphone, organisions des événements d’information grand public, et des formations en direction des aidants.
J’intervenais en formation en témoignant de mon vécu avec ma mère. Je refusais de suivre des malades, cela me touchait trop. Ce qui m’intéressait c’était la détresse des aidants, ce que moi, j’avais rencontré et vécu. Je voulais faire découvrir qu’au delà de la maladie, le malade pouvait continuer à vivre des choses superbes et nous avec. Je reste encore irritée, quand j‘entends : « Il ne me parle plus… je ne veux plus le voir… il ne me reconnaît plus… il n’y a plus rien… » Il faut arriver à dépasser ces mots et à entendre autre chose. L’important c’est de comprendre la maladie. Dans mon enfance je n’ai pas eu de relations affectives, tactiles avec ma mère. C’est peut-être propre à notre génération. Dans sa maladie, elle ne parlait plus, il a fallu communiquer avec des gestes, j’ai alors osé la toucher. Elle ne me reconnaissait pas, certes, mais dans ses yeux, j’existais.
Aujourd’hui, depuis le 30 mars, j’appelle les aidants au téléphone. Ils sont en grande solitude, parfois en désarroi. Il faut bien faire quelque chose pour eux.
C’est la 2° semaine du confinement que la détresse des uns et des autres, est arrivée. L’une de ces aidantes, c’est souvent les femmes, madame L. me raconte qu’il n’y a plus ni accueil de jour, ni suivi médical. Elle se retrouve seule avec son mari Alzheimer un peu violent, qui l’insulte avec grande vulgarité. Un des traits de la maladie est l’inhibition, l’oubli des codes sociaux… Par ailleurs les circonstances du confinement sont telles qu’elle a dû accueillir sa fille en télétravail et sa petite-fille. Elle se doit de les protéger contre les comportements morbides du père. J’ai donc alerté l’infirmière d’ Escale Répit, celle que je remplaçais, pour lui demander de prévenir la psy. Le rôle du bénévole au téléphone ou en présentiel est de rassurer et de passer le relais aux professionnels. Ensuite j’ai repris contact avec madame L.
J’en suis à la 3° semaine, je suis toujours étonnée de voir ce qui se passe au téléphone. C’est dur d’appeler. Il me faut trouver les mots, sans être trop intrusive pour que les gens puissent parler. Je sens aussi ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas me parler. Je l’accepte bien sûr. Je pense à monsieur M., d’une santé précaire, il a une femme, malade Alzheimer en appartement médicalisé. Avant le confinement il pouvait assumer sa venue à la maison tous les week-ends. Aujourd’hui, toutes les activités de la semaine étant supprimées, elle lui demande de rentrer chez eux.
Au téléphone, il me demande ce que je pense de tout cela. Doit-il accepter ? Le peut-il ? Le travail que j’ai fait avec lui, avec mes compétences professionnelles, a été de lui faire découvrir sa réponse. A-t-il pointé les difficultés ? A-t-il vu ce qui était possible ?
Quand nous sortirons du confinement, peut-être que ces aidants, ces accompagnants, iront un peu mieux. Moi, je n’irai pas au delà. J’ai pris ma décision de quitter France Alzheimer. Ce travail de soutien mêlé à ce que j’apprends sur les conditions de vie dans les EPHAD me perturbe, m’amène à réfléchir. Ne pas pouvoir accompagner les personnes en détresse, en solitude, ne pas vivre les rituels du deuil me semble inhumain. Il faudrait qu’il y ait des commissions, un lieu de parole des familles, pour construire et faire fonctionner les EHPAD.
Ce matin jeudi, je me suis réveillée avec la certitude que je peux mourir du covid, je l’accepte, je ne suis pas angoissée, je suis sereine… Enfin je peux entreprendre, car l’important, c’est ce qui est fait et non tout ce que je n’ai pu faire. Ce temps de confinement est riche en découvertes. Vivre le moment présent, c’est peut-être ça ? Laisse couler le temps et que mûrissent les sources de vie…»
Parole de Claude, le 19 avril 2020, mise en texte avec Roxane