Parole du 14 avril 2020, mise en texte avec Roxane
Je suis ambulancier dans une entreprise privée en milieu rural. Les commanditaires des courses sont les hôpitaux, les cliniques et le SAMU qui nous demande de transporter les malades aux urgences. Quand bien même nous sommes une entreprise privée, nous travaillons pour le SAMU. J’ai des clients réguliers comme ceux que j’emmène en dialyse plusieurs fois par semaine. Quand j’arrive chez les patients, les particuliers, je fais un petit bilan de ce qui ne va pas, on prend les constantes, comme on dit. Puis je rappelle «la régule» du SAMU qui nous oriente vers des lieux de soins tels hôpital ou clinique. Je vais chercher aussi des patients à l’hôpital pour les ramener à leur domicile.
On est toujours deux en ambulance. Une personne qui conduit et une autre derrière avec le patient. C’est impératif pour lever, transporter les malades et qu’ils ne soient pas seuls. On fait parfois des sorties de maternité sur le brancard avec le bébé dans le couffin. Je n’ai jamais eu d’accouchement dans la voiture, mais une fois, ce fut limite. Occasionnellement je transporte une mamie, un papy qui ne peut pas se déplacer chez le dentiste. Même si mon travail est organisé par un planning sur 15 jours, je n’ai pas vraiment d’horaire fixe, justement pour faire face à l’urgence.
Dès le 17 mars début officiel du confinement, j’ai, comme mes collègues, travaillé comme d’habitude et ce les quinze premiers jours. J’ai surtout transporté des covid, d’un hôpital à un autre, du domicile à l’hôpital. Assez vite, mon patron nous a distribué des masques, des gants, le gel pour compléter le matériel dont on se sert tout le temps. Mais c’était sommaire, pas de combinaison, ni d’autres protections. Les hôpitaux et les ambulanciers ont été sur le même registre bien sûr. En manque. Pendant 15 jours, j’ai transporté avec mon collègue des personnes atteintes de symptômes du covid. La deuxième semaine on a eu le kit visiteur : pochette qui contient une blouse, des sur-chaussures, c’était un peu mieux. On ne s’est pas trop plaint, en pensant aux soignants, à ceux qui n’avaient rien.
Au bout de 15 jours je me suis rendu compte qu’il y avait de plus en plus de transports, avec une fréquence de plus en plus vive, de personnes avec covid ou supposé covid. Par ailleurs, la désinfection de l’ambulance m’inquiétait. C’était limite et très succinct. D’habitude, au retour d’une course, chacun de nous utilise «la marmite ». Celle-ci, remplie de désinfectant, branchée à une prise électrique, pulvérise tout l’habitacle dans ses moindres recoins. On attend, on nettoie à l’éponge et on sèche. Là, parce qu’il y avait urgence, on utilisait une simple pulvérisation de désinfectant, à toute vitesse, surtout quand il fallait repartir sur un autre covid. La désinfection de la cellule, la partie arrière où se trouve le malade, était douteuse. Et moi, ma place c’est d’être derrière auprès du malade. Je craignais pour ma santé. Je n’ai pas de grosse pathologie, mais, par expérience je sais que chez moi, le simple rhume, part en bronchite. Alors t’imagines avec le covid ? Je fais partie du pourcentage de perte, je ne fais pas partie du plus haut du panier. Entre la mauvaise, sinon douteuse, désinfection et ma santé, j’ai préféré la dernière et ai contacté mon médecin qui connait mon problème. Puis j’ai demandé à mon patron. Et J’ai été mis en maladie.
À ce jour, après un mois de confinement, les principales courses de mes collègues ambulanciers sont les covid et les personnes dialysées, tous les deux jours. L’activité baisse un petit peu, donc j’ai changé de situation, je reste à la maison mais en chômage partiel. Je me suis mis en retrait, malheureusement. Je me sens un peu coupable.
Je n’ai pas trop à me plaindre de mon boulot. Dans l’ensemble avant ce covid, ça n’allait pas trop mal, on se plaint, comme tout le monde, comme toujours, mais ça va. Mon patron je le connais depuis 20 ans, on s’entend pas trop mal. Même si je ne lui donnerais pas ma montre. Il n’en a rien à faire de ses employés, pourvu que le pognon rentre dans la société.
Je suis très bien chez moi, c’est vrai, mais avec l’angoisse pour la société devant la déconfiture économique. Je crains pour mes collègues qui sont au boulot, et ce qui va arriver après. Mon corps est en vacances, mais la tête n’y est pas. J’ai l’impression de me sauver et d’envoyer les autres “au casse-pipe”. Bon mais il y toujours quelque chose à faire dans la maison.
Parole de Philou, le 14 avril 2020, mise en texte avec Roxane