Parole du 14 avril 2020, mise en texte avec Olivier et Christine, Post-Scriptum du 29 mai
Je suis animatrice d’ateliers d’art vivant, de théâtre, avec un statut d’autoentrepreneur. J’ai commencé l’année dernière et je travaille avec des associations. Je suis partie de quatre élèves, j’en ai actuellement soixante-dix. Bref, je donne des cours de théâtre : seize heures par semaine, sans compter la préparation. Parfois j’ai en plus des ateliers de quatre heures pour les adultes.
On fait des exercices d’expression théâtrale, du texte, de l’impro, et à la fin on présente un spectacle. Dans les exercices on travaille tout ce qui est souffle, diction, adresse. J’adore travailler l’expression corporelle, je viens de la danse. Pour les textes, je pars d’une pièce existante, d’un texte que j’écris, des écrits des élèves.
Le lendemain de l’annonce de Macron, c’était le branle-bas de combat car les écoles allaient fermer. J’ai passé des heures au téléphone avec les présidents d’associations parce que cela me paraissait complètement aberrant de continuer dans ces conditions. Il y avait des discussions avec d’autres groupes de théâtre pour continuer puisque les regroupements de moins de cinquante personnes restaient autorisés. Un débat entre éthique et sécurité. Le temps d’un week-end, tout le monde s’est appelé et le lundi les cours étaient arrêtés. Les salles étaient louées pour les spectacles de la fin de l’année. Et ça s’est arrêté au moment où tout commençait : tout le monde avait ses textes, on rentrait dans le dur des scènes, dans les filages.
J’ai un super président d’association, je lui ai dit que j’aimerais bien continuer en ligne parce que les élèves étaient demandeurs. On a discuté des outils. Il m’a proposé de faire des tests et on a retenu Jisti-meet. J’ai commencé par les primaires le lundi. Avant il a fallu que tous les participants se connectent. Pour cela, textos, appels téléphoniques aux parents, création d’un groupe WhatsApp. J’ai dû gérer ceux qui sont sur Windows, ou sur Apple, ceux qui refusent Messenger parce qu’ils ne veulent pas Facebook, ceux qui ne veulent pas de Zoom, ceux qui ne veulent pas installer Skype ou WhatsApp, expliquer Jisti-meet. Donc, mettre ma casquette d’informaticienne, ce que je ne suis pas du tout.
Le lundi j’arrive à réunir un groupe de sept enfants. Et rien ne marche comme je veux. Mais les enfants sont terriblement heureux ! Moi, je saturais avec le numérique. Tous les groupes clignotaient dans tous les sens, il y avait les tchats, les échanges des enfants sur le réseau ! J’en ai pleuré de migraine et de fatigue… Cette première fois, moi, j’ai joué en mode prof de théâtre, on m’entendait de dehors ! Le voisin m’a demandé pourquoi je parlais aussi fort, alors que j’étais devant l’ordinateur. Et je continuais à crier comme si j’étais dans un cours de théâtre ! Je n’avais plus de voix !

Les parents m’ont dit que les enfants étaient tellement contents que ça m’a donné envie de continuer. Le soir, j’ai travaillé avec les adultes, avec un groupe WhatsApp plus un groupe Messenger, ça a bien marché. Et finalement, nous sommes passés à Skype. On a même réussi à mettre un élève de 83 ans sur Skype.
Mes cours durent plus longtemps qu’avant, deux heures au minimum. Il faut le temps que tout le monde arrive, se connecte. Il y a celui dont l’adresse ne marche pas. Je le renomme sur Skype, je le réintègre, le rappelle. Pendant ce temps un autre a eu un bug et m’a écrit sur WhatsApp. Je travaille plus, c’est plus long qu’avant, et ça fatigue un peu.
Au début on n’arrêtait pas de commenter les bugs, mais j’ai rapidement compris qu’il fallait accepter les aléas d’internet pour pouvoir travailler. Je leur ai dit de signaler seulement les gros problèmes, avec un smiley « je pleure ». Je leur ai appris à couper leur micro. J’ai dû aussi intervenir auprès des parents : quand l’enfant est au milieu du salon et que l’on entend tous les bruits de la maison, les casseroles, la télé… Je suis devenue la personne qui braille dans tous les foyers : « les personnes autour, silence, s’il vous plaît… » Je suis obligée d’éloigner la petite sœur, le grand frère, les parents qui veulent intervenir. J’essaye aussi d’expliquer aux familles que quand l’enfant a un cours il faut que les autres réduisent leurs usages d’internet.
Maintenant, les enfants savent gérer le micro, le tchat, les captures d’écran, parler entre eux, ils savent aussi arrêter de chatter et de parler quand il y a une scène et qu’il faut se taire. On commence par un exercice de respiration, après je fais des exercices. En fait je fais mes cours habituels. Par exemple, après la respiration je fais de la diction, de la prononciation. J’ai envoyé à chacun une photocopie des phrases habituelles. Je leur fais faire ce qu’ils connaissaient bien pour qu’ils trouvent facilement leurs marques.
Ils sont huit à douze par cours, maternelles, primaires, collégiens et les adultes. J’ai mixé des groupes en fonction du nombre et de la maturité des élèves. Je me suis tuée à la tâche mais j’ai réussi à avoir tout le monde. J’ai avancé des classes à cause des temps de connexion et des aléas. J’ai déplacé le cours des quatre/six ans au mercredi. Je n’arrivais pas à tenir trois cours le lundi.
La dernière fois, avec les primaires, on a travaillé en improvisation. On a choisi l’idée, un joueur de handball marque un but mais tous les autres le revendiquent. Ils ont créé des histoires que j’ai enregistrées avec mon téléphone. J’ai trouvé une chute, je leur ai demandé si ça leur plaisait. Ils réagissent, ils applaudissent ou ils « like ». Ensuite je réécris l’histoire pour l’étoffer, comme d’habitude.
Pour les plus petits, j’adapte des exercices qu’ils connaissent déjà. Pour eux les parents doivent être mis à contribution. Je me suis déguisée en Blanche Neige, et on a fait l’échauffement physique. Là, j’avais les larmes aux yeux. Je voyais les enfants en train de se défouler, les élèves sautant dans leur chambre, dansant comme des fous. J’en parle et je vais pleurer encore ! Pour les petits il y a un échauffement physique qu’ils ont l’habitude de faire. J’avais envoyé aux parents un lien YouTube vers la musique habituelle de l’échauffement, cela rassure les petits. J’ai été obligée de faire des exercices plus simples car ils apprennent déjà à être devant l’écran. Les enfants de 4/6 ans ne savent pas lire, alors je fais d’autres exercices, le souffle, la diction, des jeux d’improvisation de mots où on se donne des thèmes.
Je ne sais pas ce que je vais faire de ce travail. Est-ce que mon travail en ligne permet un spectacle ? J’en suis convaincue sinon je ne le ferais pas. Initialement mon objectif c’était le spectacle en salle mais cela semble compromis. Or il faut que je continue à mener des troupes !
Je maintiens l’activité, parce que je suis contente que les enfants se voient. Et les parents me remercient ! C’est un rayon de soleil dans la semaine pour eux. Ils l’expriment dans tous les messages que j’ai reçus. Malgré toutes les difficultés matérielles, les retours des élèves et des parents sont hallucinants ! Sincèrement je le fais pour cela, par conscience professionnelle, mais parce que c’est aussi ma façon de m’engager. Grâce à ça ces gamins voient leurs copains, ils retrouvent leurs textes, leurs exercices, leur prof. Pour eux comme pour moi c’est un cadre !
La motivation première de notre activité c’est la production d’un spectacle. Sortir de cette motivation n’aurait pas de sens. J’ai cru jusqu’à maintenant qu’on pourrait faire un spectacle en juin mais je commence sérieusement à en douter. Je me dis qu’on peut soit faire le spectacle en juin, de manière complètement confidentielle, soit le faire à la rentrée. Nos spectacles ont lieu dans des salles des fêtes ou dans des théâtres, des endroits qui sont déjà loués à la rentrée. Alors comment trouver des lieux à la rentrée pour faire nos spectacles ?
De notre conversation l’idée me vient qu’on pourrait créer un spectacle en ligne. Je ne me l’étais pas formulée de manière aussi claire mais ça commence à germer dans ma tête, pourquoi n’essaierait-on pas de faire un spectacle filmé sur Zoom ou sur les réseaux ? Ça serait un spectacle en ligne ouvert à tous, élèves, parents, associations, un jour à une heure donnée. Je dessine les décors, je demande à des gens d’illustrer, ou aux enfants de dessiner, ou à une copine de participer… Et après les enfants apparaissent un par un, ils sont tous en ligne et ils parlent un par un, on filme. Pour que ce soit nickel il faut que chacun gère sa propre caméra, l’ouvre et la ferme et que je gère les micros. Je pourrais peut-être aussi gérer les caméras. En fait avec Zoom je fais déjà le chef d’orchestre. Quand je montre les participants, je fais de la régie !
Avant j’étais vraiment à mille lieues de tout ça. J’avais peut-être fait deux visios dans ma vie. Maintenant je dois être à vingt-cinq heures de visio par semaine. J’ai appris énormément de choses sur la gestion d’un groupe en ligne, d’une communauté, d’un Tchat, d’une discussion, sur la gestion d’un cours en ligne et même sur la direction d’acteurs…
Je n’ai pas encore de recul sur cette expérience, mais je sais c’est que cela ouvre énormément de possibilités. Je vais pouvoir suivre sur Zoom un cours de théâtre qui se tient en Californie. Je vais revoir tous les comédiens avec lesquels j’ai joué l’été dernier. Ce qui est dingue c’est qu’on a créé des choses simples, qui d’habitude nécessitent un billet d’avion et un logement sur place.
Parole de Malvina, le 14 avril, mise en texte avec Olivier et Christine
Le 3 mai, le journal en ligne actu.fr Normandie publiait un article sur les cours de théâtre en visioconférence de Malvina avec les enfants de Vernon et Gasny
Post Scriptum : le 29 mai, tous les enfants savent maintenant gérer leur caméra, leur micro et leur fond d’écran, utiliser zoom. Je rentre des vidéos sur zoom, le film des petits, le spectacle des grands, je fais cela pour sept groupes, les horaires des uns et des autres ont changé avec le dé-confinement, c’est un travail de titan. Il me reste un mois encore, je vais apprécier mes vacances ensuite. J’ai appris en marchant, avec mes élèves en France et dans le cours que j’ai suivi avec les Etats-Unis. J’aimerais bien proposer un stage sur zoom cet été.