La téléconsultation, un écran entre le médecin et le corps du patient

Claire, médecin généraliste en banlieue sud de Lyon

Parole du 24 mai 2020, mise en texte avec Martine

Pendant le confinement dû à la crise sanitaire du Covid, j’ai perdu mes collègues de travail, les paramédicaux ne travaillaient plus et j’étais complètement seule à l’étage de la maison de santé. J’offrais la même disponibilité horaire qu’avant, c’est-à-dire quatre demi-journées et une journée complète. Au départ, les consultations ont complètement été désertées par les patients. J’ai eu des semaines avec vingt personnes au lieu de 60 à 70 en période normale. J’en ai profité pour remettre la pharmacie à flot, réalimenter le cabinet en matériel. Ça été l’occasion de ranger les papiers. Je me suis occupée du fonctionnement du cabinet. J’ai aussi relu ou mis à jour des dossiers un peu compliqués. J’ai cherché des formations. Tout ce que l’on n’a pas toujours réellement le temps de faire en « période normale ». Ça, c’était plutôt positif. 

J’ai mis en route la téléconsultation. Mon éditeur de logiciel m’avait proposé de le faire, avant le confinement, parce que l’Agence Régionale de Santé (ARS) nous pousse à faire de la télémédecine, c’est quand même dans l’air du temps et d’autant plus intéressant en zone de désert médical. Finalement, j’ai opté pour Monsisra la messagerie sécurisée des professionnels de santé de la région Auvergne-Rhône-Alpes qu’utilisent les Hospices Civils de Lyon (HCL). J’ai commencé par suivre une petite formation à distance proposée par ce site et ensuite, j’ai fait des essais, le week-end avec mes proches, pour voir comment ça fonctionnait. Ensuite je me suis lancée avec quelques patients qui me l’ont demandé. Je n’en n’ai pas fait beaucoup, au final. D’abord parce qu’il faut que les gens soient suffisamment à l’aise en informatique pour pouvoir utiliser le bon navigateur, débloquer tous les paramètres pour qu’on puisse se voir avec la caméra, ce qui n’est pas forcément simple. Ensuite, avec un écran ce n’est pas facile de distinguer des lésions cutanées type eczéma ou psoriasis, parce que la résolution de l’image n’est pas assez précise. Autre écueil, il n’est pas possible d’inscrire les gens qui ne dépendant pas du régime général de la Sécurité Sociale, comme ceux appartenant à des régimes indépendants. On ne peut donc pas envoyer d’ordonnance sur leur mail, ni à la pharmacie. Pour tous les autres, c’est un grand progrès car on n’est presque plus obligés, maintenant, d’éditer l’ordonnance papier. La personne nous dit à quelle pharmacie elle a l’habitude d’aller et on envoie directement l’ordonnance. Les patients utilisent la carte bleue pour le règlement. Et les personnes qui ont la Couverture Maladie Universelle (CMU) peuvent également en bénéficier, ça aussi c’est intéressant.

J’ai dû faire en tout cinq à six téléconsultations, très peu. Depuis la fin du confinement, je continue à le proposer, mais les gens ne s’en emparent pas. J’ai eu un patient ce matin, par exemple, à qui j’ai expliqué que s’il voulait une téléconsultation, il devait m’appeler, laisser un message sur mon répondeur vocal. Ensuite, je rappelle pour évaluer le motif de consultation et on convient ensemble d’un horaire. Pour l’instant, étant donné que c’est très peu développé, je ne peux pas me permettre de faire autrement, sachant que la téléconsultation n’est qu’un complément. Pour moi, rien ne remplace le présentiel. On a quand même été formé à examiner avec nos sens. Le jour de la consultation on voit énormément de choses ne serait-ce que la déambulation du patient entre la salle d’attente et le cabinet. On regarde sa posture, son élan, son teint, sa peau, son odeur. il ne vient pas pour cela mais il arrive que je détecte des naevus suspects ou des lipomes quand il se déshabille. La téléconsultation ça donne un peu des œillères, on ne va voir que le problème, on n’a plus nos sens pour examiner. En plus il faut faire confiance au patient. Je vais lui demander s’il a de la température, il peut dire non, mais beaucoup de patients me disent ne pas en avoir, et quand je la leur prends, ils ont un 38 qui est passé inaperçu. C’est un indice de plus. C’est grâce à l’examen clinique que l’on oriente notre diagnostic et nos questions. Si on est gagé de cet examen clinique, notre cheminement doit passer par autre chose et ça, c’est très compliqué, je trouve. 

J’avoue que n’étant pas « formée » à la télémédecine, l’absence de pratique de l’examen clinique est anxiogène. Les données sont très subjectives, il n’y a que la parole du patient. A travers nos doigts,  notre vue et notre odorat, il y a plein de choses qui passent. Et puis aussi le non verbal !  On l’a un peu à l’écran, mais ça reste quand même minime. Le non verbal dans la position et le mouvement des jambes, par exemple. On ressent l’énergie, inévitablement, on est fait de matière et l’interaction que l’on a en présentiel, on ne l’a pas à travers un écran. Ça paraît anodin mais c’est très important. Pour entrer en contact et être dans le soin, j’ai besoin de cette part énergétique, même si elle est invisible et difficile à appréhender. Avec le décalage et l’effet de la vidéo, où il faut forcément attendre que l’autre ait terminé, ça oblige à une espèce de protocole, dont le manque de spontanéité falsifie l’émotion. Je me sens complètement amputée de tout cela et c’est dommage.

Je pense que c’est une technique intéressante, clairement, mais qui doit s’utiliser en deuxième lieu. Par exemple, ce matin, j’ai eu un patient que je connaissais bien, avec un problème de cheville un peu particulier. Il avait consulté un orthopédiste qui m’avait conseillé de l’envoyer vers un rhumato très spécifique à Villefranche, qui fait ce genre de choses. Puis le patient allait beaucoup mieux, donc il n’a pas voulu aller voir le rhumato en question. Mais ce matin, il est revenu car sa boiterie, sa douleur et l’œdème de sa cheville revenaient de temps en temps. On avait tout exploré, il avait déjà eu l’IRM, un premier avis spécialisé, et c’était uniquement pour faire la lettre pour l’orienter vers le rhumato. J’aurai pu faire une téléconsultation, là, pour le coup c’était adéquat.

Un autre exemple, pour un patient qui venait pour une Maladie Sexuellement Transmissible (MST), j’attendais juste les résultats parce que je ne veux pas traiter à l’aveugle. J’ai directement envoyé l’ordonnance chez lui, et à la pharmacie. Ça évite de se déplacer, c’est très complémentaire. Mais le risque, c’est que certaines personnes, notamment des familles ne voulant pas se déplacer, disent « Vous n’avez qu’à faire par téléconsultation ». Et c’est pour ça que j’ai un peu mis des « barrières » et pas rendu les choses très simples, pour que vraiment les gens comprennent que pour moi, l’examen clinique est essentiel. 

Autre exemple, une patiente venue parce qu’elle était extrêmement fatiguée. Je prends son pouls, il était à 40, ce qui est un trouble grave du rythme pour lequel il faut absolument une prise en charge rapide par le SAMU ! Si je pars sur le fait qu’elle est fatiguée, j’explore le côté infectieux, la tension, il y a plein de choses mais en dehors de ça, elle va très bien, elle n’a pas de température, rien d’autre. Sauf qu’à l’examen clinique, son pouls est extrêmement lent. Son ressenti est très subjectif, cette patiente avait déjà attendu trois jours avec sa fatigue, elle aurait pu faire un arrêt cardiaque d’un moment à l’autre, une urgence. Les gens, parfois, minimisent ou maximalisent leurs symptômes, et l’examen clinique est là pour objectiver les choses. A distance, le risque c’est que l’émotion du patient biaise les choses dans son “autoexamen”. 

Je n’ai pas de témoignage de patient, mais pour moi, prendre soin, ça passe aussi par le physique. Palper quelqu’un, c’est au-delà de la recherche d’un diagnostic, c’est donner au patient la conscience de son corps. On vient lui dire, que oui, il est là, fait de corps et d’esprit. Et ça, je pense que le patient se dit « Elle a palpé mon ventre, elle a mis son stéthoscope, elle a écouté », et toute cette démarche, permet de rassurer le patient. À travers un écran, on ne fait pas tout ça. C’est tout ce palper, cet échange d’énergie, qui pour moi a énormément de sens pour prendre soin. On a aussi été habitué, petit, à être rassuré en étant pris dans les bras ; on ne rassure pas un enfant à travers un écran ! Et donc, inévitablement, je pense que les réminiscences du « prendre soin » passent aussi par le corps, et cet écran … fait écran. En tout cas, pour moi, la consultation c’est aussi un moment où la lumière est braquée sur le patient, je prend soin de lui, et je trouve que dans la vie, on n’a pas toujours l’occasion d’avoir un temps à soi. C’est pour cela aussi que je ne veux pas qu’il n’y ait de téléphone qui sonne. J’ai envie que ce soit un moment privilégié pour cette relation-là parce que c’est important, sinon on est toujours happé par quinze-mille choses alors que, pour moi, cette atmosphère de confiance fait partie du soin. Il y a un échange, quelque chose qui passe à travers le langage, à travers l’interrogatoire, le toucher, l’échange d’énergie. Le mot est aussi un des premiers médicaments ! Des fois on sort sans rien, on n’a pas de traitement. Peu importe, on va déjà mieux, parce qu’on a pu dire, parce quelqu’un a pris en compte le fait que ça n’aille pas, pour telle et telle raison. C’est ça qui est important, avant même de donner un médicament. Je le conçois comme ça. C’est peut-être prétentieux, mais j’ai besoin de ça. C’est ce que j’essaie d’offrir à mes patients. Cet échange et surtout cette compréhension qui fait que, inévitablement, on a pris un peu de recul sur soi et sur la situation que l’on vit, qu’on appréhende différemment. C’est cathartique et du coup cela permet de ressentir la douleur autrement ou de mieux voir comment ça se joue, pour accepter les choses avec plus de philosophie pour avancer, prendre la vie comme elle vient. 

Ce qui est très important pour moi, c’est l’alignement entre son psychisme et son corps, sinon ça ne marche pas. C’est ça, l’état de bonne santé. On a beau se bourrer de médicaments, c’est un pansement sur une jambe de bois. On peut se dire « Je prends tel médicament, je vais mieux », non, ce n’est pas ça le but. Pour moi, c’est ça être généraliste, ce n’est pas un métier très technique. J’ai choisi de ne pas être spécialiste pour cette raison, parce que dans ma vie, j’avais d’autres choses à côté desquelles je ne voulais surtout pas passer. A la rigueur, tant mieux, parce que ça m’a guidée. Je suis dans quelque chose qui me convient. On fait de la prévention, parfois du palliatif, on examine des nouveaux-nés, comme des patients âgés. On est dans la diversité du quotidien, au carrefour entre la médecine, le social et le psychologique. On est un maillon qui fait le lien entre le patient, avec des connaissances, et la chance de pouvoir orienter vers d’autres types de médecines et de bons spécialistes. Certains sont magnifiques et d’autres ne voient que leur spécialité ;  le ressenti du patient ou les conditions de vie, ils s’en fichent. 

Pour terminer, je trouve que ce qui manque vraiment, c’est la supervision de temps en temps, à plusieurs, entre professionnels généralistes ou avec des psychologues. J’ai envie de le mettre en place, c’est très important pour les situations qui posent problème, où on ne se sent pas du tout en lien avec le patient ou dès qu’il y a un écueil. Mais je n’ai pas trouvé, dommage. Quand j’étais en remplacement, j’étais avec une équipe de médecins, une bande de copains qui allaient partir à la retraite, très complémentaires. L’un était plutôt dans l’haptonomie1, un autre dans la psy, un troisième dans l’homéopathie, tous avec des compétences pointues et c’était génial ! Ça m’a permis de savoir que c’était possible. Ils avaient entièrement confiance les uns envers les autres, ils partageaient énormément. Et chacun apportait sa pierre à l’édifice. Ils s’entraidaient.

1 Ensemble de pratiques cherchant à intensifier les bienfaits de l’accompagnement thérapeutique par une attention particulière accordée à la relation, dans laquelle le toucher, notamment, prend une place particulière.

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