Gérer des payes dans la cacophonie de la crise sanitaire

Véronique, responsable d’un service de gestion des payes en sous-traitance

Parole du 15 juin 2020, mise en texte avec Roxane

Quelque jour avant le 17 mars nous devions partir en voyage à Ténérife. Pressentant les évènements, nous avons décidé d’annuler. On a bien fait, le président Macron annonçait le confinement dès le mardi 17 à midi. Le lundi, j’ai décidé d’aller travailler au bureau, à la grande joie de mes patrons.  Je suis responsable d’un service de gestion des paies, en sous-traitance pour différentes entreprises clientes, et par là, la gestion du personnel, des contrats de travail, des licenciements ou des ruptures … Chacune de mes 11 collaboratrices et moi avons récupéré une clé USB auprès des informaticiens. À tour de rôle, nous avons installé le logiciel « paie », chez nous. Ce fut facile, les dossiers sont dans le « Cloud ». D’une heure à l’autre on s’est retrouvées en télétravail sans être préparées à ça. Là, ça s’est compliqué !

La grosse problématique du chômage partiel nous est tombée dessus, en sachant que nous gérons mensuellement 4000 bulletins de salaire des entreprises clientes.  Dans un même moment toutes les entreprises nous informaient de leur fermeture ou de leur réduction d’activité, en télétravail ou pas.  Il fallait donc se connecter à l’inspection du travail, via la DIRECCTE, et déclarer les chômages partiels avec le nombre prévisible d’heures de chômage. Sauf que les sites étaient saturés,  sous-dimensionnés pour une telle affluence au même moment. Il était impossible de les joindre. Si bien qu’on ne pouvait pas faire de déclaration de chômage partiel. Ça a duré une quinzaine de jours. Je tentais de me connecter à 11 h du soir ou dans la nuit pour avoir accès au site et pas toujours avec résultats !  Les entreprises fermées devaient continuer à payer leurs salariés tout en ne recevant rien de l’État, puisqu’elles n’étaient pas déclarées. La panique ! Combien d’insultes des clients, avons-nous reçues, au téléphone, nous accusant de ne pas faire notre travail. Enfin tout quoi !

Chez moi, j’étais dans mon bureau collée devant mon écran de 8 h du matin à midi et de 13 h à 19 h. Collée aussi au téléphone avec mes onze collaboratrices, affolées de ne pouvoir « toucher la DIRECCTE», elles aussi assaillies par les clients et ne sachant comment faire. Elles gèrent une cinquantaine d’entreprises clientes, avec à chaque fois plusieurs salariés. À cela s’est ajoutée une législation qui changeait tous les jours. Quotidiennement il me fallait gérer des décisions d’annulations rétroactives, analyser tous les textes qui sortaient, les digérer, pour ensuite les expliquer à mes collaboratrices afin qu’elles les appliquent sur les paies. Ce fut compliqué. J’étais harcelée par le téléphone.  La législation du travail est un de nos premiers outils. La documentation qu’on envoie est souvent mal reçue. Soit les gens ne la lisent pas, soit ils ne la comprennent pas et cela donne des catastrophes. Au bureau, on se voit on se parle, on s’explique sur ces textes.  Le courant et les infos passent. Tandis que chez elles, elles ne s’interpellent pas. En télétravail le manager ne voit pas ce que les employés font.  

J’étais aussi au téléphone avec les clients plus qu’inquiets. Ils ne recevaient pas les codes qui leur permettent de se connecter avec un mot de passe, mais pour recevoir ce dernier il fallait avoir une habilitation et dans 95 % des cas ils ne l’avaient pas. Ils essayaient de contacter «la DIRECCTE» par téléphone, qui ne répondait toujours pas. Et pour cause, eux aussi était en télétravail ! On tournait en rond ! Le pays était paralysé, tous les salariés administratifs étaient en télétravail ou en chômage partiel. Cela a duré deux mois. Je n’avais plus de vie à la maison. Je me déplaçais jusqu’aux toilettes avec le téléphone. Je ne faisais, que ça !

Deux fois par semaine j’avais rendez-vous au bureau avec mon président pour une visio avec le Directeur général à Lyon et voir comment gérer tout cela. On avançait au niveau du cabinet en déterminant qui serait en chômage partiel, qui en télétravail. Mes collaboratrices ont eu une journée de chômage partiel car le premier jour elles n’avaient pas réussi à se connecter du tout. Des comptables étaient en chômage partiel pour garde d’enfants. Toutes les personnes ayant des enfants de moins de 16 ans étaient payées par la sécurité sociale. Il y eut des effets d’annonce du gouvernement : les personnes étant en garde d’enfants gagneraient 100 % de leur salaire habituel. Sauf qu’il n’était pas dit qui paierait. La sécu devait payer 50 % sauf que les prévoyances n’ont pas pris le relai. Ainsi c’est l’employeur qui payait les 50 % autres. Cela a provoqué un tollé chez eux, ils ne voulaient pas payer. Ils pensaient que le gouvernement assurerait, comme pour le chômage partiel. Mais pas du tout. Mes collaboratrices, en télétravail elles, ont reçu 100% de leur salaire. J’ai pu maintenir ça. Mais pas pour celles, en garde d’enfants ! 

Malgré tout, aujourd’hui à la mi-juin, je suis contente que personne n’ait lâché prise. Aucun client n’est parti. Ils ont été assez conciliants et nous ont remerciés à la fin. Gérer mes employées à distance c’est très, très compliqué. Certaines ont joué le jeu elles ont continué à travailler chez elles, quand bien même avaient-elles des enfants en bas âge et qu’elles étaient au bord du gouffre. Elles auraient pu choisir de ne pas travailler. Quand je voyais qu’elles craquaient je les appelais. J’avais prévu de faire le point téléphonique, tous les mercredis, je les appelais, un quart d’heure au début et à la fin c’était trois-quart d’heure chacune. Psychologiquement elles étaient atteintes.  Moi aussi, c’est clair. J’ai, quand même, une collaboratrice dont je n’ai pas eu de nouvelles pendant deux mois. Quand on s’est revues au bureau elle a dit que cela s’était bien passé avec les clients. Sauf que l’un d’eux a décrété qu’il ne voulait plus travailler avec elle. Elle s’est crue en free- lance, en autonomie. Elle a révélé le profil d’une personne qui sait tout, à qui on n’a rien à apprendre, mais qui fait des bourdes. Elle ne va pas rester avec nous. 

Au déconfinement, vers le 11 mai,  j’ai choisi expressément de revenir au bureau. Chez moi c’est mon lieu de vie et non de travail. Depuis toujours quand je ferme la porte du bureau, je coupe tout. Je finis tard mais je ne travaille jamais chez moi, ni le weekend ni le soir. Télétravailler c’est mélanger les deux univers et cela ne me convient pas. Avec un ordinateur ouvert, tu es toujours tentée d’aller voir ce qui se passe et tu n’as plus de vie intime. Et puis au bureau j’ai deux écrans, une imprimante super performante, à la maison elle n’a qu’une feuille.  

Quant à mes collaboratrices, certaines étaient bien installées chez elles, même avec des enfants en bas âge. Tant que l’école était fermée, elles ont voulu rester en télétravail. Mon patron n’a trop rien dit au début, puis a décidé que toutes devaient reprendre en faisant en sorte de n’être qu’une personne par bureau. C’est plus performant. A partir du 22 juin tout le monde est revenu au bureau, puisque les écoles se sont ré-ouvertes. Une cliente m’a parlé du syndrome de la cabane. Les gens ont eu du mal à se confiner mais aussi du mal à se déconfiner. Ils ont fait une introspection et se sont rendu compte qu’ils avaient « une vie de merde.» Ils ont goûté à autre chose ils sont allés ramasser des fruits, ou ont fait leur jardin et ne veulent plus travailler dans un bureau. Ils désirent changer de métier.  Ils ont fait des demandes de rupture conventionnelle, une rupture de contrat de travail d’un commun accord avec le patron. Pour ma part je suis satisfaite et plus sereine d’être retournée au bureau. 

 Propos de Véronique, le 15 juin 2020, mis en texte avec Roxane. 

Une réflexion sur « Gérer des payes dans la cacophonie de la crise sanitaire »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

%d blogueurs aiment cette page :