Parole du 19 juin, mise en texte avec Roxane
J’ai déménagé au tout début du confinement. C’était prévu. J’habite à une cinquantaine de kilomètres de Lyon. Depuis octobre j’avais commencé le télétravail, en accord avec mon employeur : 3 jours par semaine et 2 jours sur Lyon en open-space. Ce sont de grands bureaux ouverts où je suis en contact direct et permanent avec une quarantaine de personnes qui font toutes le même métier : organiser des voyages. Le 17 mars tout a été arrêté, les bureaux ont fermé. On a quitté l’agence assez rapidement.
Tout le monde a pris son ordinateur de l’open-space sans prendre son téléphone spécifique car techniquement il est difficile de le connecter chez soi. Les clients ont été avertis qu’ils ne pouvaient nous joindre que par mél, jusqu’à nouvel ordre. Déjà, j’avais conclu et répondu aux obligations de télétravail à la maison : « avoir un bureau séparé des autres pièces, ou au moins un espace clos avec un paravent.» Dans mon entreprise, les dirigeants ont besoin que chaque collaborateur, en télétravail, ferme une porte, ou un rideau et coupe avec la vie familiale. Au début, les activités de tourisme ont été considérablement réduites. Les avions cloués au sol, plus de voyage d’affaire à organiser ! Il nous restait seulement à réajuster quelques commandes, traiter des modifications de voyage, des vols annulés, des remboursements de billets… Aujourd’hui je suis encore au chômage partiel. Donc peu de travail, j’ai eu ainsi du temps à moi pour faire de la peinture, arranger ma nouvelle maison, m’occuper de mon jardin.
D’un coup je ne travaillais plus 39 heures comme je le faisais auparavant, mais qu’une demi-journée par semaine et ce jusqu’à maintenant. Passer de 39 heures par semaine à 3 heures 30, cela fait beaucoup de travail à faire d’un coup. Nous, mon équipe et moi, travaillons à tour de rôle une demi-journée par semaine. Et moi quand je travaille j’ai la tête dans le guidon pendant 3 heures 30, sans arrêt.
Pourtant le télétravail est un confort, je n’ai plus de trajet et donc plus d’embouteillage. J’ai aussi acquis du bien-être. Travailler dans un open-space c’est travailler dans le brouhaha des collègues qui parlent, qui s‘interpellent. À la maison c’est super, je suis au calme, beaucoup moins stressée. Sauf que, bien sûr, le chômage partiel engendre de l’inquiétude sur mon devenir dans la profession. Des licenciements, des fermetures d’entreprise en perspective ! Et puis je dois dire que je m’ennuie, travailler une demi-journée par semaine c’est peu ; ça me coupe du réel.
De toute façon je pense quitter ma société. S’ils font appel au départ volontaire, en étudiant bien mon projet, sans faire n’importe quoi, j’aimerais partir et changer de métier vue la conjoncture actuelle. J’ai travaillé dix ans dans cette entreprise je n’ai pas envie de démissionner, sans rien obtenir. Je voudrais ne serait-ce qu’une indemnité de licenciement. Le plan social nous pend tellement au nez. Ainsi j’ai un demi-pied dehors, j’y pense. On me dit : «Vous faites voyager, vous faites du rêve. » Moi je fais voyager une clientèle exigeante et intransigeante : des hommes d’affaires. Je suis tout le temps dans l’urgence, dans le stress. Ils prennent leurs billets la veille pour le lendemain, je gère leur retour plus tôt que prévu. Quand il y a des grèves, je dois rapatrier ! C’est un vrai service d’urgence ! Je suis loin d’être une agence de voyage de vacances.
Mon désintérêt vient du travail en lui-même. Cela fait 25 ans que je travaille dans ce métier ; j’ai bien roulé ma bosse ; j’en ai fait le tour. Et comme mes collègues, avec qui je parle, je souffre que mon travail ne soit pas reconnu et mal payé. Nous avons trop de pression. Que ce soit le confinement ou le dé-confinement tout ceci n’est pas très beau pour moi. Durant le confinement j’ai fait tellement de choses dans ma maison, que maintenant où je fais moins, je m’ennuie un peu plus. J’essaie d’aller voir des copains, des copines mais certain·es ont repris le travail. Je veux bien aller faire quelques magasins, mais le chômage partiel entraîne une diminution de salaire. Du coup j’évite. Je suis allée voir mon fils une ou deux fois dans Lyon, dans la grande distribution. Ayant beaucoup de travail, il n’a ni jours de congé, ni chômage partiel.
Je viens de parler de mon télétravail et de mon travail en général, sans grand plaisir. Hier, dans la demi- journée de travail, qui m’est impartie, ce fut un stress phénoménal, je n’ai pas eu le temps de finir ce que j’avais à faire. Je suis plutôt contrariée, fatiguée…
Propos de Sophie mis en texte avec Roxane.